TikTok : qui est là ? Un futur géant publicitaire

TikTok : qui est là ? Un futur géant publicitaire Le réseau social préféré des ados veut grandir en même temps que son audience. Et son offre publicitaire, déjà bien en place, peut lui permettre de rivaliser avec les plus grands.

"Qu'il est loin le temps où certaines agences envoyaient des courriers à leurs clients en leur disant que TikTok c'était le diable et qu'il ne fallait surtout pas y aller." C'était il y a un an et demi... Mais c'est, à en croire l'auteur de cette anecdote, le directeur général de l'agence Fuse, Bertrand Nadeau, la preuve que le réseau social préféré des jeunes a de tous temps cristallisé les passions. Des passions négatives à ses débuts, lorsqu'il était accusé d'être un réservoir à pédophiles et un énième outil de censure du gouvernement chinois. Résolument positives depuis quelques mois, maintenant que les marques y voient un puits sans fond de créativité, dont la fraîcheur tranche avec l'univers aseptisé d'un Instagram. Les agences interrogées par Adtech News sont unanimes : il y a aujourd'hui une vraie "hype" autour du navire amiral du géant chinois Bytedance. Un engouement qui, en ce qui concerne les marques, va de la simple prise d'informations au lancement des premiers dispositifs.

"Une plateforme pour faire de l'awareness, en haut du tunnel de conversion"

En France, c'est la constitution d'une équipe commerciale à Paris, à l'automne 2019, qui a véritablement lancé le bal des annonceurs. Ses formats stars : le "hashtag challenge", qui permet à une marque de promouvoir un challenge qu'elle lance à la communauté TikTok sous forme de défi vidéo et le "brand take over", qui voit la vidéo de la marque être diffusée à tous les utilisateurs à l'ouverture de l'application. "Ces formats répondent à l'esprit TikTok et proposent une expérience interactive, positive et co-créative", souligne Arnaud Cabanis, managing director global business solutions chez TikTok France. Des formats qui en font "une plateforme pour faire de l'awareness, en haut du tunnel de conversion", à en croire Camille Lemesle, responsable du paid social chez iProspect. D'autant que, comme l'observe Quentin Le Merle, head of social media chez Publicis Media. "TikTok est l'un des rares où la majorité des formats pubs occupent tout l'écran."

La marque de prêt-à-porter Undiz a été parmi les premières à entrer dans la danse, en novembre dernier. Soucieuse d'accompagner un temps fort commercial, la marque y a promu sa collection de combinaisons pyjamas sous licence Disney. Le tout via un challenge qui incitait les utilisateurs à passer d'un look chic à une combinaison pyjama, en un claquement de doigts. Une opération appuyée, comme toujours chez TikTok, par un mix d'influence marketing et d'achat média. "Nous avons occupé la page d'accueil de l'application durant quelques jours et sponsorisé le challenge pour qu'il soit mis en avant au sein de la plateforme via un lien sponsorisé", résume Bertrand Nadeau. Il s'agissait à l'époque de travailler la considération de marque, "tout en espérant envoyer du trafic vers le site et en magasin", précise-t-il. Contrat largement rempli, avec plus de 40 millions de vues générées au bout des 6 jours de campagne et plus de 1  100 contenus UGC. Une performance "presque ordinaire" au sein d'une plateforme où les résultats de campagnes se chiffrent en dizaines, voire centaines de millions de vues.

"Sur un KPI branding classique comme le coût par vue, TikTok est plus performant que les autres"

Si en matière de vues, l'efficacité de TikTok n'est plus à démontrer, quel est son coût ? "Sur un KPI branding classique comme le coût par vue, TikTok est plus performant que les autres", estime Quentin Le Merle. La plateforme propose pour l'instant, comme son concurrent Snap, des packages prédéfinis. Il faut compter au moins 70 000 euros pour un dispositif comme celui auquel Undiz avait souscrit, comprenant l'affichage durant plusieurs jours d'un brand takeover, l'épinglage du challenge et de la pub infeed. "On est entre 5 et 10 euros du CPM selon les formats", chiffre Bertrand Nadeau. Ramené au CPM moyen de Facebook, qui dépasse rarement l'euro, cela peut paraître cher. Mais c'est difficilement comparable. D'une part, parce qu'à ce prix-là, on parle d'exclusivité de diffusion, là où sur Facebook les impressions de la marque sont noyées dans un flot de publicités en tous genres. D'autre part parce que lorsqu'il s'agit de cibler des ados, comme le désirait Undiz, TikTok est de loin le plus performant. "Sur Facebook, je vais payer beaucoup moins cher mais ne toucher qu'un petit pourcentage de cette audience. Donc, si l'on raisonne en CPM sur cible, TikTok est bien plus compétitif", détaille Bertrand Nadeau.

"TikTok doit faire vieillir son audience. La plupart de nos clients n'y vont pas car ils veulent toucher une population plus âgée"

Au dernier comptage, fin 2019, 70% de l'audience de TikTok était âgée entre 13 et 24 ans. Un atout pour des marques comme Undiz mais un repoussoir pour bien d'autres… "La plupart de nos clients n'y vont pas car ils veulent toucher une population plus âgée", reconnait Bertrand Nadeau. Il est d'ailleurs peu probable qu'au cours de votre navigation au sein de l'application, vous soyez tombé sur une publicité pour une voiture ou un service bancaire. Un problème pour TikTok puisque ces deux secteurs sont parmi les plus gros annonceurs du digital.

Ainsi, son enjeu principal est de "faire vieillir" son audience. Un passage obligé pour attirer toutes les typologies d'annonceurs. "On voit que l'accent est mis sur le recrutement de créateurs de contenus à destination d'une audience un peu plus âgée", remarque d'ailleurs Bertrand Nadeau. La plateforme a d'ailleurs profité du confinement pour séduire un public plus large, étirant sa pyramide des âges vers le haut. Parmi les dernières recrues made in France, on peut citer des youtubeurs comme Squeezie et Sananas, le directeur artistique de Balmain, Olivier Rousteing, et même les grisonnants Cauet et Jean-Luc Reichmann. Autant de pointures mainstream qui installent un peu plus l'application dans le quotidien des Français.

Bientôt une plateforme d'achat en self-service

L'autre gros chantier, c'est celui de la plateforme d'achat en libre-service, dont le lancement est prévu pour bientôt en France. Un produit indispensable pour accélérer le mouvement auprès des agences, en leur offrant plus de souplesse. "On n'aura plus besoin de dépenser un budget minimum pour y aller et surtout on pourra tout gérer nous-même", explique Quentin Le Merle. Ce sont les équipes de TikTok qui gèrent pour l'instant la diffusion des campagnes, dans une logique de managed services. Pas optimal pour certaines agences rompues aux codes du programmatique. D'autant que les formats stars de TikTok, le challenge sponsorisé et le brand takeover, s'accompagnent d'une garantie d'exclusivité (toucher toute l'audience de TikTok) qui devient d'autant plus coûteuse que l'audience de l'application augmente en France. "La ratecard de TikTok augmente tous les trimestres, tellement son audience croit vite", ajoute Quentin Le Merle. Cette dernière a quasiment doublé en l'espace de 6 mois en France. TikTok y a attiré 7,4 millions de visiteurs uniques en mars 2020, selon Médiamétrie//Netratings, contre 3,2 millions au moment du lancement de l'offre commerciale en novembre.

"Il est important que l'on ait une grille de lecture commune avec Facebook, Instagram ou Youtube pour pouvoir comparer les performances de chacun"

Côté interface, TikTok n'a pas eu à chercher bien loin au moment de mettre sur pied son Ad manager. "Les outils de suivi et de bilan des campagnes font beaucoup penser à ceux de Facebook", témoigne Camille Lemesle qui a déjà pu tester l'outil. Les options de ciblage sont à l'avenant : par tranche d'âge, genre, pays, device, mode de connexion… "Mais ce n'est pour l'instant disponible que pour le format pub in-feed", nuance Quentin Le Merle. Les deux options stars de Facebook, le ciblage par centre d'intérêt et le croisement des bases de données (custom audience) sont également en cours de déploiement.

Alors que TikTok a fait l'objet, il y a quelques mois, d'une polémique sur la réalité des vues organiques qu'il communique (une vidéo est comptabilisée comme vue dès son lancement), ses bilans de campagnes devraient être exempts de tout doute sur ce point. "On sera sur une optimisation des campagnes en fonction des vidéos vues plus de 6 secondes", précise Camille Lemesle. Ici encore, TikTok devrait se conformer aux standards du marché. "Il est important que l'on ait une grille de lecture commune avec Facebook, Instagram ou Youtube pour pouvoir comparer les performances de chacun", estime Bertrand Nadeau. La bonne nouvelle c'est que TikTok a l'air bien plus ouvert sur ce sujet-là que ses concurrents. Alors que Facebook a longtemps rechigné à ouvrir ses portes aux mesureurs (et encore il ne le fait que partiellement aujourd'hui encore), TikTok s'appuie sur l'Open Measurement SDK mis en place par l'IAB pour laisser les annonceurs mesurer les performances de leurs publicités en matière de fraude et de visibilité. Déployé dans l'appli, le SDK Open Measurement envoie des signaux que les tags des mesureurs exploitent pour produire les indicateurs. "On récupère bien l'information à la source, contrairement à Facebook", détaille un mesureur. TikTok teste, selon nos informations, cette intégration avec les trois plus gros acteurs du marché : IAS, Moat et Double Verify.

"On sent que TikTok s'efforce d'être irréprochable sur le sujet. Sans doute parce qu'il a longtemps été accusé d'abriter beaucoup de contenus douteux", analyse Quentin Le Merle. Une réputation qui n'est, à en croire Bertrand Nadeau, plus justifiée. "Il y a autant de problèmes de brand safety sur TikTok que sur Facebook. Et sans doute moins que sur Snap où on reste dans le registre de la communication interpersonnelle." La mesure de la brand safety n'est pas le seul secteur à bénéficier de cette ouverture. "On peut déjà faire appel à Doubleclick et Sizmek pour la mesure des impressions et des clics, Kochava, Adjust, Appsflyer pour l'app install, Nielsen et Kantar pour le brand lift", énumère Camille Lemesle. C'est simple, les plus gros acteurs de la mesure sont intégrés ou en passe de l'être. "La confiance est basée sur la transparence et c'est un élément clé de notre relation", justifie Arnaud Cabanis.

"TikTok est un écosystème ouvert. Cette stratégie de ruissellement des contenus permet à la plateforme d'augmenter son attractivité"

Une transparence suffisante pour faire de TikTok l'alter ego du duo Facebook et Google ? Il est bien sûr trop tôt pour le dire. Mais la plateforme a une vraie carte à jouer, tant elle a fait de l'expression et de l'engagement le cœur de sa matrice. Un terrain de jeu idéal pour les marques à la recherche de contenus UGC. Le format du challenge sponsorisé, qui n'a pas d'égal chez les concurrents, en est la meilleure preuve. "C'est une vraie force, estime Bertrand Nadeau. Il vaut mieux avoir une offre atypique plutôt qu'un énième positionnement généraliste." Sous réserve toutefois de ne pas vous faire copier. Snap, dont la plupart des innovations ont fini chez Instagram, en sait quelque chose. Le danger est d'autant plus grand pour TikTok qu'il a fait le choix d'un écosystème ouvert, qui permet à l'ensemble de ses contenus de vivre en dehors de son application. Sans doute avez-vous déjà aperçu, au cours de votre navigation sur Facebook, Twitter ou Instagram, l'une de ses vidéos watermarkées TikToK. "Cette stratégie de ruissellement des contenus permet à la plateforme d'augmenter son attractivité", analyse Bertrand Nadeau. Notamment de convaincre un annonceur, dont l'audience n'est pas forcément bien représentée chez TikTok, d'y lancer un challenge car il sait que celui-ci dépassera les frontières de l'application s'il est réussi.

"Côté awareness, il n'y a rien à redire au regard des millions de vues générés C'est plus mitigé d'un point de vue conversion"

Mais pour continuer à grappiller des parts de marché, TikTok va surtout devoir élargir son arsenal de produits publicitaires. Les annonceurs cantonnent pour l'instant l'utilisation de la plateforme à des problématiques branding. Arnaud Cabanis a beau assurer avoir "une offre qui s'adapte à chaque problématique du tunnel marketing", dès qu'il s'agit d'acquisition, c'est du côté de Facebook, Instagram et Pinterest que les regards (et les budgets) se tournent. "TikTok n'est pas encore assez mûr sur ce sujet-là", estime Bertrand Nadeau. Notre expert revient sur la campagne Undiz. "Côté awareness, il n'y a rien à redire au regard des millions de vues générés et du coût par vue extrêmement compétitif. C'est plus mitigé d'un point de vue conversion." Les utilisateurs qui se rendaient sur la page du challenge d'Undiz avaient, en effet, deux options : regarder la vidéo promo ou aller sur une landing page dédiée. "90% d'entre eux ont préféré rester au sein de l'application." Preuve qu'il est encore difficile de faire sortir les utilisateurs de l'univers TikTok. Un problème quand on veut aider des marques à vendre.

Le lancement d'une toute nouvelle fonctionnalité baptisée "Shop now", qui enjoint l'utilisateur à se rendre sur un espace dédié pour acheter le produit mis en avant, fera peut-être bouger les choses. La marque Levi's a été la première à la tester, communiquant sur une croissance d'au moins 200% des vues sur la page "Future Finish" de son site. On est encore loin de la démonstration implacable de l'efficacité de TikTok en matière de ventes mais on avance dans le tunnel de conversion…

Cet article a également été publié dans Adtech News, supplément papier du magazine CB News, dédié à l'adtech et au martech. Dans l'édition de juin, un dossier consacré à TikTok, une interview de Danone, le baromètre du programmatique, un focus sur le déconfinement des retailers et  un sujet sur Monibrand.