Cookie wall : la Cnil offre-t-elle un simple sursis au modèle publicitaire d'Internet ?

La CNIL a publié des critères d'évaluation de la légalité des "cookie wall", qui recueillent le consentement au suivi publicitaire . Quel impact sur les modèles et revenus de la publicité en ligne ?

Cette mise au point de la CNIL était attendue de toutes les entreprises présentes sur le web ! En particulier les éditeurs qui se rémunèrent pour toute ou partie de leurs revenus grâce à la publicité : médias, e-commerçants, réseaux sociaux, plateformes... La CNIL vient en effet de publier des critères d'évaluation de la légalité des “cookie wall”, ces fenêtres qui recueillent le consentement des internautes à faire l’objet d’un suivi publicitaire pour leur afficher des publicités personnalisées.

Consentement et business model de l’internet intimement liés

Un sujet stratégique tant la question du consentement et celle du business model d’Internet sont aujourd’hui intimement liées. C’est en effet tout le modèle de la gratuité de l'information sur Internet et indirectement la capacité des annonceurs à atteindre leurs clients qui sont directement en jeu.  

Depuis l’entrée en vigueur du RGPD en 2018 qui a imposé le consentement à la collecte de données personnelles, les règles du jeu ont changé. Soucieux de préserver leur viabilité économique, les éditeurs ont appliqué la règle suivante : “ceux qui ne jouent pas le jeu (du suivi publicitaire) n'ont pas accès en contrepartie à l’information ou au service proposés”. Une pratique que la CNIL avait tenté d'interdire avant que le Conseil d’Etat n’y censure en 2020 une atteinte à “la liberté d’entreprendre et de contractualiser”, soulignant la possibilité ouverte par le CEPD, le regroupement européen des autorités de protection des données, d’offrir l'accès moyennant une contrepartie financière, c’est à dire un abonnement. Entre un modèle contraint d’accès universel à l'information qui mettait en péril leur équilibre économique et la nécessité de protéger les données personnelles des consommateurs par le biais du consentement actif, le web s’est donc adapté en proposant l’alternative du paiement, le paywall. Derrière le groupe Webedia (Allo Ciné, Jeuxvideo.com..), de nombreux éditeurs de presse ont aussi emboîté le pas.

Insécurité juridique et baisse du trafic monétisé

C’est dans ce contexte de flou juridique et de menace sur leur modèle économique que les entreprises présentes sur le web ont testé différentes options pour se conformer, maintenir leurs revenus, et pallier les effets délétères de la fatigue du consentement.

Ces éditeurs ont pour le moins senti le vent passer : effritement du trafic monétisé avec un taux de consentement stabilisé autour de 70%, révision à la baisse du nombre de partenaires publicitaires tiers, augmentation des coûts de conformité, difficulté à monétiser les inventaires non consentis et enfin logiquement chute de l'ordre de 20% à 50% des taux de clics (CPM) sources de revenus pour les éditeurs, selon une étude de Mind Media. 

Mais avec la fin annoncée des cookies tiers, ceux qui assurent le suivi publicitaire, les éditeurs savent en outre qu’ils gèrent une phase transitoire avant l’émergence de technologies préservant mieux voire complètement la vie privée des internautes. Outre le fait de préserver la vie privée des internautes, ces technologies visent également la lassitude que suscitent ces fenêtres répétitives de consentement.

La menace d’une vision maximaliste du consentement

Si la dernière mise au point de la CNIL entérine donc finalement le principe du “cookie wall”, soulagement certain pour les éditeurs, elle n’en clarifie pas pour autant l’évolution du cadre réglementaire du consentement au suivi publicitaire dans lequel s'inscriront aussi ces nouvelles approches protectrices de la vie privée, cadre qui dépend en effet aussi d’un autre texte en révision à Bruxelles : le règlement E-privacy. Pour toutes les données a priori non personnelles, tel un historique de navigation anonymisé, c’est en effet le texte qui s’appliquerait. Autrefois restreint au champ des opérateurs télécoms, certains parlementaires européens lui vouent un avenir très extensif... Déjà fragilisé, le modèle de l'Internet gratuit en sortirait à nouveau déstabilisé, rendant caduc certains modèles d’innovation, privant une partie de la population d’un accès gratuit à l’information et réduisant drastiquement la possibilité des marques d’engager avec leurs clients. Gageons que le numérique européen aura un visage différent !