Mathieu Morgensztern (GroupM, WPP) "GroupM démarre l'usage de l'IA générative sur un nombre restreint de clients"

Rencontré à l'ouverture de Cannes Lions, Mathieu Morgensztern, CEO de GroupM France et country manager de WPP, décrit au JDN comment le groupe commence à industrialiser l'usage de l'IA générative dans la création de ses campagnes.

JDN. Pensez-vous que l'IA générative donne une autre dimension à cette édition de Cannes Lions ?

Mathieu Morgensztern, CEO de GroupM France et country manager de WPP. © GroupM / e WPP

Mathieu Morgensztern. Il est incontestable que l'usage de IA est désormais reconnu comme pertinent dans l'univers de la création, alors qu'avant elle était plutôt appliquée au seul volet média à travers le machine learning classique. Déjà l'année dernière, un des très beaux cas fortement primés à Cannes a été justement une campagne que WPP a réalisée avec de l'IA générative pour Cadbury en Inde, une première mondiale d'Ogilvy. En un an, les créatifs se sont vraiment emparés du sujet et nous verrons, je pense, beaucoup de campagnes avec une composante d'IA générative primées cette année.

A titre d'exemple, le directeur de création d'Ogilvy Paris, David Raichman, devenu un influenceur sur le sujet de l'IA générative avec plusieurs dizaines de milliers de followers sur Instagram, est très emblématique de cette génération de directeurs de création qui sont très à l'aise avec la technique. On observe un vrai changement dans le profil des professionnels qui ont compris et intégré l'IA dans leurs campagnes. Cette nouvelle génération de directeurs de création qui baigne dans la technologie prend le pouvoir, elle ne vit pas l'IA comme une menace mais comme une opportunité. Nous verrons très probablement beaucoup d'entre eux primés à Cannes cette année.

Est-ce que cela représente déjà un changement radical dans la manière de créer et diffuser les campagnes ?

A date l'IA générative ne représente pas une disruption pour les agences, tout simplement parce qu'elle est intégrée au processus créatif. Nous ne sommes qu'au début de ces modèles que nous savons déjà pousser au maximum. En effet, quand il s'agit d'intégrer les contraintes d'une marque dans le processus de génération d'images, on ne peut se contenter d'être un utilisateur comme un autre. Il nous faut aller beaucoup plus loin, travailler directement les API d'IA générative voire installer des modèles pré-entraînés que nous affinons sur nos propres machines.

Il y a à peine quelques semaines, les annonceurs se montraient encore réticents à l'utilisation de l'IA générative dans leurs campagnes, craignant les questions relevant du droit d'auteur. Quelle est désormais la position de GroupM et plus généralement de WPP ?

WPP a beaucoup investi sur ce sujet à plusieurs titres. D'abord en formation. J'ai personnellement bénéficié de la toute première formation de l'université d'Oxford dédiée à l'IA (qu'il vient de conclure cette année, ndlr.). Ensuite dans les partenariats, notamment avec Getty Images de façon à ce que l'apprentissage des IA dont nous nous servons soit fait sur un corpus d'images qui soit sécurisé en termes de droit d'auteur. Cela sécurise la profession et nous permet de quitter le statut d'expérimentation pour embrasser une période nouvelle d'exploitation. Pour cela WPP a mis au point Imagine, une plateforme à usage interne qui permet de générer des images sur des bases sécurisées, live depuis moins de deux mois.

Cela veut-il dire que vous "industrialisez" en quelque sorte l'usage de l'IA générative dans vos campagnes désormais ?

L'IA générative devient incontournable et la nouvelle génération de graphistes s'adapte à cette nouvelle réalité. Nous démarrons l'usage d'Imagine sur un nombre restreint de clients et nous le développons progressivement de manière très encadrée. Nous avons mis en place une charte pour l'usage de l'IA générative chez WPP avec un certain nombre de responsabilités, dont la première est d'en comprendre les limites. Nous avons pour cela des programmes de formation interne sur l'IA générative pour que chaque professionnel sache ce qui est possible ou non de faire avec. Deuxième principe, l'IA générative doit toujours compléter et non remplacer la créativité : son usage doit se faire sous la supervision humaine à toutes les étapes à date. Troisième principe, nous devons comprendre le modèle et connaître ses sources d'apprentissage. Quatrième principe, la transparence doit être absolue vis-à-vis de nos collaborateurs, clients et l'ensemble de la société sur le fait que nous nous servons de l'IA générative dans une création.

"Nous réfléchissons avec nos clients à la création d'un label sur l'utilisation de l'IA dans ses campagnes"

Enfin, nous encourageons nos collaborateurs à s'exprimer s'ils observent de nouveaux problèmes liés à l'usage de l'IA et nous maintenons une équipe de veille permanente sur ce sujet.

Comment voyez-vous évoluer à la fois la société, les marques et leurs agences ces prochains mois et années à l'aune de l'IA générative ?

Pour les marques et les agences, la quête reste la même : se servir de l'IA pour augmenter la pertinence de leurs messages à destination des consommateurs, c'est-à-dire être plus intéressant et avoir plus de valeur à leurs yeux. Cette pertinence doit s'accompagner de transparence. Nous avons réalisé récemment une étude auprès de notre panel propriétaire de 20 000 Français qui démontre que ces derniers sont très curieux à l'égard de l'IA (80% souhaitent comprendre ce que c'est), pensent  qu'il s'agit de la nouvelle révolution industrielle (à 65%) et donc en comprennent l'enjeu et sont très exigeants en matière de transparence (80% souhaitent que le contenu généré par l'IA soit encadré et signalé). Pour répondre à ces attentes, nous réfléchissons avec nos clients à la création d'un label sur l'utilisation de l'IA dans ses campagnes.

Dans son rapport dévoilé publié en juin 2023, GroupM estime la croissance mondiale des investissements publicitaires pour 2023 à 5,9 % et pour la France à 4,2%. C'est beaucoup moins que les 6,3% prévus fin d'année dernière pour la France alors que les prévisions pour le monde sont restées les mêmes. Quelle est votre analyse de la situation ?

Il est vrai que nous avons revu les prévisions mais nous sommes dans l'absolu extrêmement rassurés : 4,2% reste un chiffre très élevé. Cela cache certes des disparités, avec des baisses du côté des médias traditionnels et des hausses comme toujours sur l'univers du digital, mais dans l'ensemble c'est une très bonne année alors que beaucoup de problèmes économiques et géopolitiques mondiaux n'ont pas du tout été résolus. Nous prévoyons un très bon deuxième semestre. Même si évidemment les suites de la guerre en Ukraine peuvent tout changer, n'oublions pas que pendant toute cette période, depuis le début du conflit, l'économie française n'a pas cessé de fonctionner.