Comment Iliad a dynamité le marché du cellulaire italien

Comment Iliad a dynamité le marché du cellulaire italien Avec plus de deux millions d'abonnés en Italie en quatre mois, Iliad, la maison mère de Free, y fait une entrée fracassante. Retour sur une opération rondement menée.

Comment Iliad Italia, qui s'est lancé le 29 mai dernier, est-il parvenu à conquérir plus de 2,2 millions d'abonnés en quatre mois ? Retour sur une success story minutieusement préparée même si le démarrage en Italie est un peu moins fringuant que celui de Free Mobile en France en 2012.

Pour comprendre, un petit retour en arrière. A la mi-2015, Xavier Niel, le propriétaire d'Iliad, s'offre progressivement, potentiellement et à titre personnel, jusqu'à 15,1% de Telecom Italia à travers des options d'achats à long terme. Sachant que Vivendi détient alors 20,1% de l'opérateur historique italien dont il a depuis perdu le contrôle opérationnel au profit du fonds américain Elliott.  

L'opération sur Telecom Italia tournera court sauf que l'année suivante, Iliad – et non plus Xavier Niel à titre personnel – commence à s'intéresser de près à la fusion en cours entre Wind et 3 Italia, deux des quatre opérateurs transalpins. Là, changement de stratégie, Iliad se porte  candidat à l'acquisition des fréquences que les deux opérateurs fusionnés vont être obligés de céder (soit 2x 5 MHz en 900 MHz, 2x 10 MHz en 1800 MHz, 2x10 MHz en 2100 MHz et 2x 10MHz en 2600 MHz), ainsi que 300 sites d'émission (plusieurs milliers ultérieurement), avec obligation pour sa filiale italienne d'en déployer 6 000 en propre en trois ans.

Tout va alors s'accélérer dans un marché en ébullition où Xavier Niel trouve rapidement un accord avec l'Agcom, l'autorité de régulation locale, pour décrocher une licence ainsi qu'un accord d'itinérance avec le nouvel ensemble Wind/3 Italia. "Cet accord est extrêmement plus favorable que celui négocié en France", observe Erik Lambert, un consultant basé à Rome, tout en soulignant qu'il concerne aussi bien "la rétrocession de sites d'émission, l'accès à d'autres sites ou pylônes de Wind ainsi que l'itinérance proprement dite" (dont le contrat de cinq ans est renouvelable une fois à l'initiative d'Iliad). Xavier Niel, début 2018, ne disait pas autre chose parlant alors de "conditions financières bien plus avantageuses qu'avec Orange lors du lancement de Free Mobile". Autre atout dans sa manche, la signature début 2018 d'un accord-cadre avec Cellnex, la principale "tower company" italienne avec près de 9 000 points d'émission. 

"Basta cosi"

Lors de son lancement, Iliad Italia frappe un grand coup avec une offre promotionnelle à 5,99 euros par mois (et 9,99 euros de frais d'activation de la carte SIM) avec SMS et appels illimités ainsi que 50 Go de datas, dont 4 en Europe. Avec un slogan "basta cosi" asséné par Benedetto Levi, son jeune PDG de 29 ans, lors de l'inauguration de son réseau fin mai 2018. Et ce diplômé de l'Ecole polytechnique de Turin et de l'ESCP Europe, également ancien directeur général de Captain Train en Italie, de juger :" Les gens en ont assez de payer trop cher et ils ont raison". Selon Xavier Niel, interrogé quelques semaines auparavant par Le Monde, "si on intègre tous les coûts cachés, les prix italiens sont une fois et demi supérieurs à ceux de la France".

Conséquence de ce lancement en fanfare, Iliad Italia affiche un million d'abonnés dès le 18 juillet. L'offre promotionnelle est alors prolongée aux 200 000 prochains abonnés (les prix sont ensuite remontés à 7,99 euros par mois). Début septembre, le parc dépasse un million et demi d'abonnés pour atteindre 2,23 millions d'abonnés à la fin du même mois de septembre. Certes, le chiffre d'affaires de ce trimestre est assez faible (45 millions d'euros) mais ce lancement – initialement attendu plusieurs mois auparavant – est jugé plutôt encourageant.  

L'organisation mise en place ne doit rien au hasard. L'équipe dirigeante, extrêmement jeune, est rompue au marketing. Il faut y ajouter un directeur financier, Paolo Percuoco, ancien de Sky Italia, Vodafone Italia et Pirelli et diplômé de la prestigieuse Université de Bocconi (Milan). Côté distribution, rien n'a été improvisé : neuf boutiques en propres fin juillet, 133 corners avec plus de 500 distributeurs de cartes SIM dans des centres commerciaux ou des gares et deux réseaux de distribution nationaux : Sisal, un spécialiste des jeux et des paris sportifs comportant 48 000 points de vente, et Lottomatica, un autre distributeur spécialisé dans les jeux. Sans oublier la distribution en ligne. Iliad avait d'ailleurs bien anticipé son arrivée en lançant plusieurs mois à l'avance divers relais de type "Freenaute", comme des forums ou des réseaux sociaux spécifiques.

Globalement, Iliad indique avoir investi (hors achats de fréquences) 300 millions d'euros en Italie en 2017 et autant cette année. Côté fréquence, l'opérateur vient de mettre près de 1,2 milliard d'euros pour des fréquences 5G (dont un bloc de 10 MHz dans la bande des 700 MHz. Mais l'essentiel du règlement (soit 993 millions d'euros) ne s'effectuera qu'en 2022...      

Quels appuis industriels ?

Reste une inconnue et non des moindres. Sur qui Xavier Niel va-t-il pouvoir réellement s'appuyer à moyen terme dans son aventure transalpine, alors que l'épisode Telecom Italia s'est terminé sur un échec relatif. Sachant qu'il est primordial d'avoir à moyen terme en Italie de solides appuis industriels locaux. C'est la principale inconnue de cette aventure avec le sort qui sera réservé au réseau d'infrastructures de l'opérateur historique.

"C'est très ambitieux de vouloir parvenir à l'équilibre avec 10% de parts de marché à moyen terme", relève Jean-Luc Lemmens, directeur du pôle télécoms de l'Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe (IDATE). Un constat largement partagé par Erik Lambert : "C'est un coup de poker, on se demande un peu quel est son modèle économique. Hormis les clients ou le réseau, les actifs dans les télécoms sont très volatils", rappelle-t-il. "Iliad fait sans doute le pari de la 5G avec des équipements complètement standardisés et dont les prix devraient significativement baisser par rapport aux générations précédentes. Sachant qu'on basculera alors vers un modèle dominé par le software compte-tenu du phénomène de virtualisation croissante des réseaux", poursuit-il.