Apporter Internet depuis les étoiles, le nouveau pari d'Elon Musk et Jeff Bezos

Apporter Internet depuis les étoiles, le nouveau pari d'Elon Musk et Jeff Bezos Grâce à la baisse des coûts de lancement et la miniaturisation des appareils, plusieurs entreprises font renaître la perspective d'un Internet par satellite.

Le 4 juillet dernier, jour de la fête nationale américaine, Amazon déposait solennellement auprès de la Commission fédérale des communications une demande d'autorisation pour son ambitieux projet Kuiper. Celui-ci vise à apporter une connexion Internet depuis les étoiles. C'est au total plus de 3 200 satellites que l'entreprise de Jeff Bezos entend déployer, avec pour objectif d'apporter une connexion haut débit aux zones géographiques qui doivent aujourd'hui composer avec un Internet peu rapide, voire sans.

Le géant du commerce en ligne est loin d'être le seul à nourrir des ambitions sur ce marché encore bourgeonnant. Son grand rival, SpaceX d'Elon Musk, a lancé en mai dernier, dans un spectacle pyrotechnique qui a fait le bonheur des spectateurs, les soixante premiers satellites de sa constellation Starlink, qui comptera au total 12 000 appareils.

Aux côtés de ces deux géants, bon nombre de plus petits acteurs entendent également obtenir leur part du gâteau. C'est le cas d'Astranis, jeune pousse installée à San Francisco, qui a levé 13,5 millions de dollars auprès du fonds d'investissement Andreessen Horowitz. De OneWeb, qui est soutenue par les groupes Airbus et Softbank, et prévoit un premier lancement début 2020. Ou encore de Telesat, une entreprise canadienne qui table sur une flotte plus modeste de 512 appareils.

Eliminer la fracture numérique

Si la télévision par satellite existe depuis les années 1980, Internet est aujourd'hui principalement fournis par des installations situées sur terre, et notamment par des câbles sous-marins ou enfouis dans le sol. Si ces infrastructures fonctionnent très bien pour nombre d'entre nous, elles laissent toutefois la moitié de l'humanité sur le carreau. 3,5 milliards d'êtres humains sont ainsi aujourd'hui dépourvus d'un accès à l'internet, selon Northern Sky Research, un consultant spécialisé dans l'industrie du satellite. Pour ces individus, l'absence d'un accès Internet constitue un désavantage considérable. Et si nombre des personnes concernées vivent dans des pays en voie de développement, les zones rurales des pays les plus riches ne sont pas épargnées. Plus d'un quart de la population de l'Alaska vit ainsi dans des zones sans connexion internet ou avec une connexion bas débit.

Pour faire bénéficier aux habitants de ces zones défavorisées d'une connexion rivalisant avec celle des métropoles, les différents acteurs misent sur le déploiement de larges flottes de satellites en orbite bas, soit à quelques centaines de kilomètres d'altitude. Les satellites traditionnels, utilisés par exemple pour la télévision par satellite ou le GPS, sont de leur côté situés à environ 36 000 kilomètres de la surface terrestre, où leur vitesse de rotation est plus ou moins similaire à celle de la terre. Ils font ainsi le tour de l'orbite terrestre une fois par jour, et se trouvent peu ou prou toujours au-dessus du même point par rapport à la surface de la Terre : ces satellites sont pour cette raison qualifiés de géostationnaires.

"L'ennui est qu'à une telle distance, le transfert de données n'est pas suffisamment rapide pour apporter une connexion internet haut débit, et permettre par exemple de jouer à des jeux vidéo en ligne ou de réaliser une visioconférence", explique Carissa Christensen, CEO de Bryce and Technology, un cabinet de conseil spécialisé dans le marché spatial. "C'est pourquoi les jeunes pousses qui souhaitent démocratiser l'Internet par satellite visent une orbite beaucoup plus basse, afin de réduire les problèmes de latence. Toutefois, comme les satellites volent moins haut, la partie du globe qu'ils couvrent est beaucoup plus faible, d'où la nécessité de les déployer sous forme de larges flottes." SpaceX et OneWeb ambitionnent tous deux de proposer un service opérationnel dès 2020. Astranis s'est de son côté allié avec l'entreprise de télécommunications Pacific Dataport en vue de mettre rapidement en place un projet pilote en Alaska.

Une question de taille

Si l'idée d'un Internet par satellite peut sembler familière, c'est parce qu'elle a déjà été tentée. Dans les années 1990, des entreprises comme Teledesic et Globalstar ont investi des dizaines de millions de dollars dans des projets similaires. Mais confrontées à des coûts prohibitifs, elles ne pouvaient proposer une connexion à un prix compétitif, et ont donc fait faillite. Si d'autres acteurs pensent aujourd'hui pouvoir prendre la relève, c'est parce que les coûts d'accès à l'espace ont largement diminué depuis le début des années 2000.

L'entrée en scène de SpaceX a d'abord contribué à faire baisser les coûts de lancement. Wendy Whitman Cobb, analyste spécialisée dans le marché spatial, note ainsi qu'entre les années 1970 et 2000, ceux-ci ont peu évolué, revenant en moyenne à 18 500 dollars par kilogramme. Aujourd'hui, pour une fusée Falcon 9 de SpaceX (celles qui sont par exemple utilisées pour ravitailler la station spatiale internationale), ce coût a été ramené à 2 720 par kilogramme. Résultat : "Avant, 2009, date à laquelle SpaceX a pour la première fois mis en orbite un satellite commercial, on comptait quelques dizaines d'entreprises privées sur le marché spatial. Désormais, elles sont plus de 400", précise Chad Anderson, CEO de Space Angels, un fonds d'investissement spécialisé dans le spatial.

En parallèle, des satellites de petite taille, ou cubesats, on fait leur apparition. De la taille d'un micro-ondes, là où leurs homologues traditionnels sont gros comme un minivan, ils doivent leur essor à la miniaturisation de l'informatique liée au développement du smartphone. Ce sont ces cubesats, peu chers à produire, que SpaceX, Amazon, OneWeb et consorts entendent déployer massivement. Pour réussir, ces entreprises devront toutefois se montrer capables de produire des satellites à très grande échelle, ce qui représente un défi inédit en matière d'organisation de la chaîne de valeur, puisque aucune entreprise n'a encore travaillé sur des quantités de cet ordre. Ainsi, au cours des dix années à venir, ces acteurs prévoient de mettre en orbite davantage de satellites qu'il n'en a été lancé depuis les débuts de la conquête spatiale.

Quelles régulations pour l'espace ?

Autant dire que l'orbite terrestre risque de devenir de plus en plus peuplée, ce qui ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes. Contrairement aux satellites géostationnaires, qui, en plus d'être beaucoup moins nombreux, ne bougent pas les uns par rapport aux autres, ces minisatellites auraient de bonnes chances de se rentrer dedans. Glenn Peterson, chercheur à l'Aerospace Corporation, a calculé que si les différents projets de constellation fonctionnaient comme prévu, ils généreraient pas moins de 67 000 risques de collision chaque année. Pour les différents opérateurs de ces flottes de satellites, cela impliquerait de réaliser des centaines de manœuvres par jour afin d'éviter tout risque d'impact.

Or, changer la trajectoire d'un satellite, en plus de représenter un petit défi technique, mobilise des ressources humaines et énergétiques. Un manque à gagner important pour ces entreprises, et susceptible de menacer leur modèle économique. En outre, chaque minisatellite dispose de ressources énergétiques limitées, il est donc possible qu'en cas de collision imminente, les opérateurs n'aient d'autre choix que d'assister impuissants à l'impact. Avec, à la clef, des débris susceptibles de retomber sur terre ou d'endommager les satellites environnants. Dans ce contexte, les appels à mettre en place des régulations internationales susceptibles d'encadrer l'usage du ciel se multiplient.