Le coronavirus force les opérateurs de transport à renforcer la prévision de trafic

Le coronavirus force les opérateurs de transport à renforcer la prévision de trafic RATP, Transdev ou SNCF ont dû déployer de nouveaux outils pour compter précisément puis prédire l'affluence sur leurs réseaux, afin de respecter la distanciation sociale.

Pour les opérateurs de transport, compter précisément et prédire les volumes de passagers a toujours été une préoccupation, par exemple pour évaluer l'ampleur de la fraude ou anticiper les besoins d'adaptation des réseaux. Mais avec le coronavirus, c'est aussi devenu une obligation pour tenter de respecter la distanciation sociale imposée par l'Etat dans les transports en commun. "Si les transports étaient très peu fréquentés en mai, nous sentons une montée en puissance depuis juin et cela devient problématique aux heures de pointe", explique Elisabeth Oger, directrice client pour le groupe Transdev à l'échelle mondiale. "Il faut trouver des solutions pour identifier les risques de surcharge et adapter l'offre", résume-t-elle.

Pour y arriver, il faut d'abord être en mesure d'évaluer correctement la fréquentation du réseau, ce qui est plus difficile qu'il n'y paraît. Si les opérateurs peuvent compter la fréquentation via les validations de pass et de tickets, cela est loin de leur offrir une vision complète. D'abord parce que ces chiffres ne prennent pas en compte les resquilleurs. Mais aussi parce que les validations indiquent où les usagers montent, mais ne permettent pas de savoir à quelle station ils descendent, ni la correspondance qu'ils prennent. Une information cruciale pour comprendre comment évolue la fréquentation d'une ligne durant son trajet.

Peser le métro

Traditionnellement, ces données de validation sont donc complétées par des comptages manuels, ainsi que des enquêtes de terrain, aussi chères qu'imprécises : elles peuvent coûter jusqu'à 100 000 euros sur les plus grands réseaux, ne donnent rien de plus qu'une photographie sur quelques jours, et sont seulement réalisées tous les quatre ou cinq ans.

Ces méthodes sont en train d'évoluer. A la RATP, une équipe de data scientists rattachée à la DSI travaille sur ces problématiques. En plus des données de validation, la régie parisienne a également installé des capteurs sur les rames de métro, qui lui permettent de connaître en temps réel leur poids, donc d'en déduire une estimation de sa fréquentation. "Nous restituons ces données aux postes de commandement, pour nourrir une carte en temps réel de l'affluence dans le métro, ce qui permet notamment de rediriger les régulateurs de rames aux heures de pointe," explique Van-Ngu Vo, directeur technique de la RATP.

Suivre les smartphones

Chez Transdev, l'outil Flowly est en développement depuis deux ans et demi. "C'est une solution qui retrace les flux de mobilité grâce à des technologies comme le beam, le wifi et le bluetooth", détaille Isabelle Oger. Les smartphones peuvent réagir à ces balises et leur indiquer ainsi à quels endroits leurs propriétaires montent et descendent. Flowly est déployé partiellement dans les bus et trams d'une douzaine de métropoles. Seule une petite ville (Roanne) l'a déployé sur toutes ses lignes et tous ses véhicules. Transdev souhaite désormais le généraliser en France et à l'étranger.

La SNCF aussi fait face à des problématiques d'affluence, en particulier sur son réseau TER. En plus de la fraude, un autre type de passagers est difficile à compter : les abonnés, qui n'ont pas besoin d'acheter un billet à l'avance. Leurs intentions de voyage sont donc inconnues de la SNCF. Pour arriver à estimer plus précisément le nombre de voyageurs dans ses trains, l'entreprise compare  via son application Assistant Sncf le nombre de smartphones géolocalisés effectuant un déplacement correspondant au trajet d'un de ses trains et le nombre de réservations de ce même train. "Nous avons plusieurs centaines de milliers de clients qui ont activé la géolocalisation sur l'application, notamment pour recevoir les infos trafic les concernant", précise Julien Nicolas, directeur général adjoint de Oui.sncf. L'idée est ensuite d'analyser cet écart et son évolution dans le temps pour être capable d'anticiper le niveau d'affluence des trains.

Le public à la rescousse

Afin d'affiner ces précisions, la SNCF a également commencé à demander aux usagers pendant le déconfinement de renseigner dans son appli le niveau d'affluence de leur train. Au moment de réserver un train, sur l'Assistant Sncf, ils peuvent voir si ce voyage risque d'être bondé ou non. La RATP a lancé une initiative similaire à la même période. Elle assure recevoir 6 à 10 000 signalements par jour des usagers. Transdev travaille de son côté avec sa filiale Cityway pour rendre ces informations disponibles dans les applis de transports en commun de ses clients.

Ce recours au crowdsourcing et la remontée de ces données aux utilisateurs sont un changement de culture chez les opérateurs, qui avaient plutôt l'habitude de réaliser leurs propres mesures et de garder les résultats pour eux. Car ils espèrent que l'accès à ces informations permettra de lisser l'affluence en incitant une partie des usagers à se reporter sur des horaires ou des lignes avec moins de fréquentation, voire d'autres services de mobilités. "La prochaine étape sera d'être capables de proposer un filtre prenant en compte le niveau d'affluence lors de la recherche d'itinéraire", anticipe Van-Ngu Vo. Cette autorégulation des passagers a évidemment ses limites : les opérateurs ne peuvent pas changer l'organisation du travail provoquant des heures de pointe en début et fin de journée, ni la politique de transport de l'autorité locale pour laquelle ils travaillent, seule à même de décider d'augmenter la fréquence d'une ligne.

Après avoir expérimenté dans le monde d'avant, puis accéléré pendant la crise, les opérateurs sont face à un nouveau défi. "Nous devons réussir à déployer ces outils à l'échelle en lançant des marchés publics. Il faudra aussi atteindre une certaine masse critique d'utilisateurs de ces informations crowdsourcées afin qu'elles soient fiables, puis réussir à la conserver dans le temps", prévoit Van-Ngu Vo. Pas sûr que tout soit prêt à temps pour une éventuelle deuxième vague.