L'efficacité énergétique, une aubaine pour la compétitivité de notre industrie

Les objectifs 2030 proposés par la Commission Européenne marquent l’abandon d’une politique ambitieuse en termes d’efficacité énergétique.

La nouvelle cible conservatrice de -40 % d’émission de CO² en 2030 (par rapport à 1990), alors que nous atteindrons -32 % sans mesure additionnelle est perçue par beaucoup comme la conséquence de la crise économique et du lobby des industriels.

L’efficacité énergétique est-elle une contrainte de plus pour notre industrie européenne déjà tombée à 15,10 % du PIB ?

S’ajoute-t-elle à la résistance des politiques à l’exploitation du gaz de schiste ? A-t-on oublié que l’énergie la moins chère est celle qu’on ne consomme pas ?
Regardons tout d’abord qui sont ces lobbies industriels qui lancent des avertissements à nos dirigeants. Il s’agit des industries à énergie intensive : métallurgie (50 % de la consommation de l’industrie), chimie, papèteries, cimenteries, verreries, sucreries, amidon… Ils représentent plus des 2/3 de la consommation énergétique de l’industrie, et le poids de l’énergie dans leurs coûts varie entre 15 % et 40 %. Évidemment ces industriels s’intéressent depuis longtemps à l’énergie.
Dans chacune de ces branches la consommation énergétique par unité produite a significativement baissé depuis 20 ans, comme le montre l’exemple chiffré de la sidérurgie dont la consommation d’énergie a diminué de 27 % entre 1970 et 2009.

Cela veut-il dire que tous les sites industriels sont au même niveau de performance dans chacun de ces secteurs ?

Loin de là ! De nombreuses visites de terrain démontrent un retard certain en matière de performance énergétique : ici, une fonderie acier qui n’a pas encore eu le temps de consacrer une minute à ce sujet entre quatre changements de propriétaire en 8 ans, là une verrerie qui s’est limitée à quelques optimisations menées par des équipes de maintenance réduites au minimum et ensevelies sous les enjeux de maintien en condition de production de vieilles installations…
A côté des nombreux sites où les consommations ont déjà été réduites de 30 % ou 40 %, il existe en France, en Pologne ou en Allemagne de nombreuses installations industrielles énergies intensives au potentiel d’amélioration presque intact. Les causes sont souvent les mêmes : manque de capacité d’investissements des groupes familiaux, difficultés économiques, manque de personnel, manque de compétences techniques, manque de visibilité sur l’avenir du site…
Comme toujours, le diable se cache dans les détails. Certes dans leur ensemble, tous ces secteurs industriels énergie intensive ont progressé, mais il reste de forts potentiels d’optimisation sur des sites souvent fragiles économiquement pour lesquels un saut d’efficacité énergétique serait synonyme de regain fort de compétitivité et parfois de survie. C’est sur ces sites que doit porter l’effort de nos politiques.

Qu’en est-il des performances des meilleurs ?

Doit-on renoncer demain à produire de la poudre de lait, de l’amidon, des briques ou des flocons de verre avec 30 % à 50 % d’énergie en moins ? Dans chaque métier, en repensant les processus de fabrication et en y incluant les nouvelles technologies et des technologies de rupture, les chercheurs et ingénieurs européens inventent en ce moment des usines qui consomment 30 % à 50 % de moins d’énergie.
Certes, nous ne reconstruirons pas complètement les sites industriels actuels dans les 30 prochaines années, mais, à l’occasion du lancement de nouveaux produits, d’agrandissements, de remises en état, les solutions innovantes viendront progressivement prendre une part significative de l’outil de production.
Renforçons les moyens pour l’innovation en efficacité énergétique industrielle et incitons les industriels à y participer, c’est la 2ème voie de la compétitivité.
Enfin, n’oublions pas que si les lobbies industriels, qui parlent fort, représentent plus des 2/3 de la consommation, ils ne représentent qu’une toute petite partie des industriels. Par exemple, dans l’industrie agro-alimentaire (IAA), plus gros secteur industriel français (et européen), les sucriers et les amidonniers qui pèsent ensemble 33 % de l’énergie consommée par l’IAA ne représentent que 0,8 % des 4 000 entreprises de plus de 10 salariés du secteur. Dans ce secteur, l’enquête 2013 Okavango-ANIA (Association Nationale des Industries alimentaires) a montré que 88 % du reste des 4 000 entreprises de plus de 10 salariés ont une maturité énergétique faible (12 %) ou moyenne (76 %). L’arbre de la performance des énergies intensives ne doit donc pas cacher le potentiel d’amélioration de la forêt des autres industriels.

Certes, l’énergie pèse moins de 10 % des coûts de ces industriels, mais c’est souvent le 3ème poste des coûts après la matière première et les salaires

30 % d’économie d’énergie représentent 1 ou 2 points de résultat d’exploitation en plus pour toutes ces entreprises. Rajoutons qu’un programme d’efficacité énergétique est mobilisateur pour les employés et augmente leur implication dans l’entreprise.
La lutte contre le réchauffement climatique est aussi un excellent message en termes d’image.
Baisse des coûts, motivation et mobilisation des équipes, amélioration de l’image…, l’efficacité énergétique est un formidable levier de compétitivité pour toutes ces entreprises plus faiblement intensives énergiquement qui n’élèvent pas la voix dans le débat sur les objectifs européens.
C’est aussi et surtout ces dizaines de milliers d’entreprises européennes non énergies intensives que nos dirigeants doivent guider, encourager et accompagner sur le chemin de la compétitivité énergétique.

Alors, de grâce, cessons d’opposer efficacité énergétique et compétitivité de notre industrie déclinante

Le débat sur le niveau des contraintes qui pourraient être imposées aux industriels a éclipsé l’intérêt de tous (entreprises, nations et citoyens) dans l’amélioration des performances énergétiques des usines. Trouvons, au contraire, les bons leviers et mécanisme incitatifs pour aider chaque site industriel à maximiser cette opportunité pour construire sa compétitivité de demain.