4 façons de mêler brevets et open innovation

Mesurer l’innovation à travers le prisme des brevets, c’est souvent le parti pris dans les études. A côté de cela, on constate aujourd’hui la montée en puissance d’une nouvelle forme de stratégie : celle de l'Open Innovation.

Les brevets attirent, et de plus en plus. On assiste entre 2004 et 2013 à une hausse de 63% des brevets déposés dans le monde[1]. Ses avantages sont en effet légion : monopole d’exploitation, possibilité d’interdire entre autres l’utilisation de l’invention protégée, possibilité de rentabiliser l’investissement effectué. Pourtant, le dépôt de brevet ne précède pas nécessairement une innovation. Un brevet donne le droit d’interdire, pas forcément celui d’exploiter soi-même l’invention protégée. Lorsque Airbus dépose un brevet visant à installer ses passagers sur un strapontin[2], presque debout, l’idée est plus d’anticiper une éventuelle future invention intéressante, voire bloquer ses concurrents, et non de développer et commercialiser ce type de siège. Brevet ne rime pas forcément avec innovation.

Afin que l’invention passe au stade d’innovation, l’entreprise détentrice d’un brevet peut octroyer des licences d’exploitation et collaborer avec des partenaires extérieurs pour favoriser la mise sur le marché de solutions novatrices.

En parallèle du système de brevets, émerge dès 2003 le concept d’open innovation. SFR a par exemple lancé "L’Atelier SFR", une plateforme regroupant une communauté de 60 000 bêta-testeurs. Leur rôle est de tester les innovations de SFR, celles d’autres entreprises et de start-ups. Le but est d’évaluer les inventions proposées, les enrichir et les faire évoluer pour se rapprocher le plus possible des attentes des utilisateurs. Malgré cette ouverture sur l’extérieur, la notion d’open innovation n’est cependant pas synonyme d’absence de protection et de libre utilisation des travaux d’une entreprise. Elle se pratique dans un cadre défini et s’accompagne bien d’une protection de ses droits de propriété intellectuelle. De ce fait, elle est complémentaire du système de brevets et non concurrente.

Créer de la valeur en combinant les deux approches

L’open innovation couvre des réalités plus larges que les brevets, qui ne concernent que des solutions techniques à des problèmes techniques (en Europe). Mais les surfaces de recoupement restent importantes. Et il existe au moins 4 façons pertinentes et potentiellement créatrices de valeur de lier brevets et open innovation.

Exploiter les brevets du marché. L’entreprise peut nouer des partenariats avec des détenteurs de brevets, à travers par exemple l’acquisition de licences d’utilisation, ou la signature d’un contrat de collaboration autour du brevet. Cette collaboration peut mener au co-développement d’une innovation.
Collaborer pour breveter. Ce type d’alliance entre brevets et open innovation débute par la signature d’un contrat de collaboration entre deux entités qui vont mener des recherches communes, pour aboutir au dépôt d’un brevet en copropriété. Ce système de collaboration est notamment répandu dans les organismes de recherche.
Accompagner les porteurs de projet. Les entreprises peuvent s’ouvrir aux idées venant de l’extérieur en proposant d’accompagner les projets jugés prometteurs d’entrepreneurs ou de start-ups. Cet accompagnement peut donner lieu au dépôt d’un brevet. L’entreprise peut ainsi bénéficier d’une licence d’utilisation ou nouer un partenariat plus stratégique avec le porteur de projet détenteur du brevet (création d’un accord client-fournisseur, rachat…).    

Des entreprises jouant déjà sur les deux tableaux
 

De nombreuses entreprises se sont d’ailleurs déjà engagées dans ce processus d’appariement entre brevets et open innovation. PSA Peugeot Citroën est le plus grand déposant de brevets en France avec plus de 1 300 demandes publiées par an. Pour Gilles Le Borgne, Directeur R&D, « la politique active de dépôt de brevets confère à PSA Peugeot Citroën des avantages concurrentiels indéniables, en préservant l’exploitation de ses propres innovations ». Et cette politique de brevets dynamique s’accompagne d’une stratégie d’ouverture en matière d’innovation. Ce recours à l’open innovation est tel qu’il est considéré comme "la seule voie possible"[3].  Un exemple marquant : le StelLab, ou les experts PSA côtoient des scientifiques externes dans le but de travailler sur la mobilité du futur. Résultats : en 5 ans, une dizaine d’OpenLabs créés, une cellule d’innovation capable de détecter les tendances technologiques, et une trentaine de projets technologiques en cours de développement.

 

Chez Procter & Gamble, le département Global Business Development a pour vocation de tirer profit de la propriété intellectuelle de P&G et de la valoriser en dehors de l’entreprise. Des licences sont ainsi accordées à l’entreprise partenaire. Les brevets sont donc une arme de choix dans un but collaboratif.

 

La plateforme "OpenInnov by Engie" permet, elle, de développer des collaborations avec des porteurs de projets innovants. Les start-up, entrepreneurs et entreprises innovantes peuvent ainsi proposer leurs compétences et leurs brevets à Engie, dans une démarche collaborative, tout en restant entièrement maîtres de leur propriété intellectuelle et industrielle.

   

Si des entreprises comme PSA Peugeot Citroën ou P&G se positionnent sur les deux créneaux, brevet/open innovation, c’est bien pour tirer parti de leur complémentarité. Les brevets, et plus généralement la propriété industrielle (PI), sont des outils d’organisation et de régulation de l’innovation ouverte. Ils facilitent l’open innovation en sécurisant le partage de savoir. Les entreprises françaises impliquent donc la PI dans toutes les étapes de la collaboration, de l’identification des partenaires potentiels au suivi post-lancement de l’innovation, et plus particulièrement dans la négociation de leurs contrats de collaboration[4]. Le transfert de technologies, à travers le licensing-in[5] et le licensing-out[6] de brevets, fait également partie intégrante de l’open innovation. Les gains espérés, financiers ou technologiques, de l’utilisation des brevets dans l’innovation ouverte sont donc importants. Loin du concurrent imaginé, le brevet est au service de l’open innovation, et inversement.

  Frédéric Fleury Senior Advisor au sein de Devoteam Management Consulting
  Ramiz IQBAL Consultant au sein de Devoteam Management Consulting