Comprendre les balances des paiements... et la zone euro

Economiste libéral, Jean-Pierre Chevallier ausculte régulièrement les comptes de la France et de la zone euro sur son blog (http://www.jpchevallier.com).

Le principe de la comptabilité en partie double est certainement l'invention de l'Homme la plus importante de tous les temps.

Depuis qu'il a été imaginé du côté de Babylone il y a 5 000 ans, il a permis aux hommes de tenir des comptes fiables et pratiques pour pouvoir échanger plus facilement des produits, donc de se spécialiser et d'augmenter leur productivité et leur niveau de vie.

Ce principe a été étendu à notre époque aux nations pour faciliter les échanges dans le monde, ce qui permet aux pays dits émergents et en particulier à l'économie de la Chine de décoller enfin.

Le système des règlements internationaux repose sur les banques centrales qui tiennent entre elles leurs comptes synthétisés dans les balances des paiements qui, comme les bilans, doivent être équilibrées (le total de la partie gauche doit être égal à celui de la partie droite, débit = crédit, actif = passif).

Les balances des paiements sont constituées pour l'essentiel de balances intermédiaires qui peuvent être excédentaires ou déficitaires, mais finalement l'équilibre doit être réalisé par définition.

Ainsi en est-il de la balance commerciale qui est largement excédentaire pour la Chine avec 183 milliards de dollars (US$) en 2010 alors que celle des Etats-Unis est largement déficitaire de 497 milliards de dollars.

Ces déséquilibres sont compensés par des flux de capitaux en sens inverse : les pays dont la balance commerciale est excédentaire disposent de capitaux qu'ils peuvent (et doivent) investir (globalement) dans les pays dont la balance commerciale est déficitaire.

Ainsi, 786 milliards de dollars sont entrés en 2010 aux Etats-Unis, ce qui compense largement le déficit de la balance commerciale et permet à ce pays de renforcer sa position nette vis-à-vis de l'étranger.

Les pays qui ne peuvent pas assurer l'équilibre de leur balance des paiements par le libre jeu des marchés sont obligés d'emprunter, auprès du FMI ou d'autres pays comme c'est le cas pour la Grèce et l'Irlande par exemple (ces entrées de capitaux rétablissent alors les équilibres).

Par ailleurs, dans tous les pays, les banques ordinaires doivent avoir à tout moment une position nette créditrice auprès de la banque centrale à laquelle elles sont rattachées.

Le système mondial des règlements internationaux est donc parfaitement bien équilibré et régulé.

Si un élément de ce système ne respecte pas ces règles, les équilibres sont rompus, ce qui a des conséquences qui peuvent être graves. C'est ce qui s'est produit brièvement au début du mois de mai 2010 lorsque deux banques présentant un risque systémique ont été en défaut de paiement comme l'a rapportée la BCE dans son bulletin de juin.

Au niveau de la zone euro, la seule balance des paiements qui compte dans ce système mondial est celle qui est tenue par la BCE au niveau de la zone euro (vis-à-vis du reste du monde).

L'existence de la zone euro ajoute un degré de complexité au système mondial car, n'étant pas une nation mais une zone monétaire constituée de nations, chaque nation doit continuer à tenir une balance des paiements.

Les balances des paiements des pays de la zone euro doivent donc être en concordance.

Le problème est que les pays du Club Med (les PIGS + la France) ont une balance commerciale fortement déficitaire depuis des années et un déficit des Investissements Directs Etrangers (les IDE)...

 Tableau 1 :

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En milliards d'euros. © JPC

... ce qui est compensé par des excédents de trois pays,

Tableau 2 :

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En milliards d'euros. © JPC

Pour la France, le déficit de la balance commerciale s'accentue depuis 2004...

Graphique 1 :

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En milliards d'euros. © JPC

... ainsi que celui des Investissements Directs Etrangers (les IDE),

Graphique 2 :

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En milliards d'euros. © JPC

Ces déficits s'accumulent et atteignent 258 milliards d'euros pour la balance portant sur les biens seuls en janvier 2011,

Graphique 3 :

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En milliards d'euros. © JPC

Le cumul des déficits des seuls Investissements Directs Etrangers (les IDE) depuis l'adoption de l'euro atteint 618 milliards d'euros,

Graphique 4 :

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En milliards d'euros. © JPC

La balance des paiements de la France est donc rééquilibrée par des entrées de capitaux étrangers (non-résidents) qui s'investissent en particulier en bons du Trésor français. D'après les chiffres de l'Agence Française du Trésor, 68,9 % de la dette de l'Etat (1 229 milliards d'euros au 30 septembre 2010) soit 846 milliards d'euros, sont couverts par ces capitaux étrangers, ce qui diminue d'autant la dette nette de la France vis-à-vis de l'étranger.

Ainsi, paradoxalement, plus l'Etat s'endette, plus la dette de la France vis-à-vis de l'étranger diminue !

Ces entrées de capitaux ne suffisent pas pour rééquilibrer la balance des paiements de la France. La Banque de France doit le faire par l'intermédiaire de la rubrique 3.3 Autres investissements qui correspond en fait à des transferts de pays excédentaires, l'Allemagne en particulier vers la France.

Ainsi, la position nette de la France vis-à-vis de l'étranger varie selon les besoins de ces rééquilibrages,

 Graphique 5 :

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En milliards d'euros. © JPC

La position nette réelle de la France vis-à-vis de l'étranger au total est donc égale à la somme de la dette cumulée telle qu'elle apparait dans la rubrique 3.3 de la balance des paiements (178 milliards d'euros) et de la dette de l'Etat détenue par des étrangers (846 milliards d'euros), soit 1 025 milliards d'euros.

L'euro système est donc soumis à des tensions de plus en plus fortes du fait des déséquilibres entre les pays vertueux dont la balance commerciale est excédentaire et ces cochons de pays du Club Med, ce qui est normal dans la mesure où une monnaie unique ne peut pas convenir à des pays hétérogènes. Il est donc nécessairement amené à éclater d'une façon ou d'une autre.