Jeremy Allaire (Circle) "Nous voulons fournir une marketplace de tokens"

Le patron de la start-up de paiement US revient sur le rachat de la plateforme Poloniex et évoque ses nombreux projets dans le secteur des crypto-monnaies.

JDN. Circle est surtout connu pour son application de paiement entre particuliers Circle Pay. Pouvez-vous nous parler de votre nouvelle offre Circle Invest ? 

Jeremy Allaire, cofondateur et président de Circle. © Circle

Jeremy Allaire. C'est notre deuxième produit BtoC, après Circle Pay. Il sert à investir facilement et instantanément dans les crypto-monnaies, à partir de 1 dollar. Concrètement, vous avez un portfolio dans lequel sont classés tous vos actifs. Quand vous cliquez sur un actif, vous pouvez consulter le montant investi, vos gains et vos pertes, le pourcentage qu'il représente dans tout le portfolio ainsi que des informations sur l'actif en lui-même. Ce produit a donc été pensé pour les personnes qui n'ont jamais investi dans les crypto-monnaies mais qui en ont entendu parler ces derniers mois. Tout  le monde connait le bitcoin mais beaucoup moins les autres crypto-monnaies comme l'ether. En général, une personne lambda ne sait pas faire la différence entre tous ces actifs et ne sait pas pourquoi investir dans un plutôt que dans un autre.

En quoi Circle Invest est différent d'autres plateformes comme Coinbase ?

Nous avons plus de variétés de crypto-monnaies. Aujourd'hui, il y en a sept (Coinbase en propose cinq, ndlr) et il y en aura plus à l'avenir. Nous avons également une fonctionnalité unique qui s'appelle "Buy the market". Vous indiquez le montant que vous souhaitez investir dans les crypto-monnaies et nous le répartissons entre les différents actifs en fonction de leur valorisation totale. Comme le bitcoin est la crypto-monnaie la plus valorisée, elle a le plus gros pourcentage. 

Circle Invest est seulement disponible aux Etats-Unis. Avez-vous prévu de le proposer dans d'autres pays ?

Nous le lancerons en Europe mais nous ne nous engageons pas sur une date précise pour le moment. Concernant les pays visés, le déploiement sera similaire à ce que nous avons fait avec Circle Pay (l'application a été déployée progressivement en Europe et est désormais disponible dans 28 pays européens, ndlr).

Vous commercialisez une autre offre de crypto-monnaies, Circle Trade. En quoi est-elle différente de Circle Invest ?

Circle Invest s'adresse aux particuliers tandis que Circle Trade est destinée aux professionnels qui veulent échanger des millions de dollars. Nous ciblons les personnes fortunées, les institutionnels comme les fonds d'investissements, les hedge funds, les asset managers ou encore les entreprises qui font partie de l'écosystème des crypto-monnaies. Nous avons lancé cette activité il y a plusieurs années déjà car l'infrastructure blockchain derrière nous a également servi à construire et faire fonctionner Circle Pay. Depuis, cette offre a pris beaucoup d'importance. De plus en plus de sociétés d'investissements aux Etats-Unis, en Europe ou en Asie investissent dans le top 20 des crypto-monnaies via Circle Trade. Aujourd'hui, nous réalisons des milliards de dollars de transactions chaque mois.

Pourquoi avez-vous racheté la plateforme d'échange de crypto-monnaies US Poloniex en mars dernier ?

C'était un des premiers exchanges à avoir proposé Ethereum puis à avoir mis à disposition de ses utilisateurs une grande variété de crypto-monnaies (plus de 100, ndlr). Il s'est bâti une belle réputation dans le monde. L'année dernière, Poloniex a connu une belle croissance et a enregistré des millions de nouveaux clients. Face à ce succès, l'équipe de Poloniex a commencé à chercher un partenaire pour l'aider à passer à l'échelle.

"Nous lancerons Circle Invest en Europe"

Nous l'avons donc racheté et nous sommes en train de l'intégrer dans tous nos produits. Avec Poloniex, nous ne voulons pas seulement fournir une plateforme d'échange de crypto-monnaies mais une marketplace destinée aux développeurs d'applications blockchain. Nous voulons les aider à lancer des tokens car cela leur permet à la fois de lever du capital et de créer des nouveaux projets technologiques.

Comment sélectionneriez-vous ces tokens ?

Nous soutiendrons des projets de très bonne qualité, avec de bonnes équipes et une technologie puissante. Et évidemment ceux qui ont respecté les législations en vigueur. Nous travaillons actuellement sur ce volet réglementaire, assez complexe car tous les pays n'ont pas les mêmes visions. Les Etats-Unis sont très stricts alors que la Suisse est très ouverte. Nous devons nous assurer que tout ce que nous faisons soit conforme aux réglementations locales. Nous souhaitons également proposer des security tokens (des tokens conçus comme des titres financiers, ndlr) sur notre marketplace.

Est-ce pour cette raison que vous souhaitez obtenir un statut de broker ?

Tout à fait. La SEC (Securities and Exchange Commission, le gendarme financier américain, ndlr) nous a demandé de devenir un broker dealer, sinon nous ne pourrons pas échanger des security tokens. Nous pensons que le monde entre en collision. Dans le futur, nous pensons que la plupart des actions, des fonds propres seront des crypto tokens au lieu de contrats en papier.

Vous lancerez cet été un stable coin, une crypto-monnaie stable adossée au dollar américain, appelée USDC. Quel est le principe de cet actif hybride ?

"Dans le futur, nous pensons que la plupart des actions, des fonds propres seront des crypto tokens"

Dès nos débuts, nous avions en tête de combiner le système financier existant avec la technologie blockchain. Nous voulons que le secteur tire tous les bénéfices du monde de la crypto à savoir  l'instantanéité, le caractère global, l'ouverture, la sécurité… Ce n'était techniquement pas possible de le faire il y a cinq ans, mais maintenant grâce aux technologies comme Ethereum, aux avancées réglementaires et à l'intérêt de l'industrie bancaire, il est désormais possible de convertir la monnaie fiat (monnaie classique comme l'euro et le dollar, ndlr) en crypto-actifs et d'utiliser l'infrastructure blockchain pour transférer cet argent. Ainsi, un USDC équivaudra à un dollar.

A quoi servira concrètement ce stable coin ? 

Les fintech, les entreprises de la crypto et les banques pourront s'échanger de l'argent via ce stable coin. Par exemple, Circle pourra envoyer un dollar à Square, de la même façon qu'un SMS nous permet d'envoyer des messages rapidement et facilement. A terme, l'USDC fera partie de tous les produits Circle. Ainsi, quand vous ferez un transfert d'argent sur Circle Pay, vous utiliserez l'USDC. Nous prévoyons aussi de créer un stable coin adossé à l'euro et un autre à la livre sterling.

Lors de MoneyConf, vous avez déclaré que nous étions au début de l'ère de la "tokenisation de tout". Qu'est-ce que cela signifie ?

Avec Internet, nous avons connu la digitalisation de l'information et nous avons créé des réseaux ouverts pour échanger ces informations. C'était très révolutionnaire. Mais il manquait l'infrastructure pour rendre n'importe quel actif complètement digital. La blockchain permet justement de créer des actifs qui ont des archives parfaites et qui peuvent aussi effectuer des transactions. Cela peut être de l'argent, un contrat d'assurance, une action… On peut même digitaliser des décisions. Un vote peut être un token s'il passe par la blockchain. Tout pourra être "tokenisé".  

Dans ce futur "tokenisé", où se situera Circle ?

Nous voulons fournir deux éléments : les plateformes, c'est-à-dire les infrastructures sur lesquelles les entreprises et les individus pourront construire des projets, et des produits BtoC qui viendront au-dessus de ces plateformes. Nous sommes très enthousiastes face à toutes ces possibilités mais le plus important est que toute cette nouvelle économie soit ouverte. Comme Internet.