Adyen vs Stripe, les nouveaux gros bras du paiement

Adyen vs Stripe, les nouveaux gros bras du paiement Avec des arguments différents, les deux fintech ont atteint en quelques années des valorisations dépassant les 10 milliards de dollars.

Dans l'e-commerce, le paiement est un des nerfs de la guerre. Dans le paiement, c'est la guerre tout court. Ces derniers mois, les méga-acquisitions se sont multipliées : Six Payment a été racheté par Worldine pour 2,3 milliards d'euros, iZettle par PayPal pour 2,2 milliards de dollars… Et ce mouvement pourrait continuer puisque Natixis étudie actuellement le rachat d'Ingenico, valorisé à plus de 4 milliards d'euros (soit 4,55 milliards de dollars). En parallèle de ces grandes manœuvres, deux jeunes prestataires de paiement sont devenus en quelques années des poids lourds du secteur : Adyen (créé en 2006) et Stripe (2011). La première, néerlandaise, affiche une valorisation de près de 15 milliards d'euros cinq mois après son entrée en bourse tandis que la seconde, irlando-américaine, est valorisée à 20 milliards de dollars depuis sa levée de fonds de 245 millions de dollars en septembre dernier.

  Adyen Stripe
Volume de transactions en 2017 (milliards €) 108,3 75- 92*
Nombre de transactions en 2017 (milliards) 3,7 NC
Chiffre d'affaires 2017 (millions €) 218 577- 706 millions*  
Résultat net 2017 (millions €) 71,3 NC
Valorisation (milliards €) 15 20
Effectif 2018 768 1 400
Nombre de clients 3 401 + 1 million
Disponibilité dans le monde (nombre de pays) NC 26
Nombre de bureaux dans le monde 15 14

* Estimations Barclays 

Ces montants ne choquent pas les acteurs français du secteur. "Ces entreprises ont connu des croissances de x3 ou x4 les premières années et Adyen continue même à faire 10% de croissance tous les ans. Ces valorisations sont donc justifiées", estime par exemple Julien Creuzé, investment director chez BlackFin Capital Partners. "Ces deux acteurs sont réellement solides dans le sens où le produit a une valeur certaine, il y a des flux, une dynamique commerciale et un modèle d'affaires robuste qui les rend économiquement pérennes et justifie une partie de ces valorisations", ajoute Julien Maldonato, associé conseil innovation chez Deloitte.

Adyen et Stripe ont tous deux des business models solides basés sur des commissions. Le Néerlandais facture en Europe entre 0,9% et 1,1% +0,10 euro par transaction tandis que Stripe facture 1,4% +0,25 euro par transaction sur le Vieux continent. Une fois les commissions reversées aux banques et réseaux (Visa, Mastercard…), le Néerlandais réalise une marge de 0,2% tandis que celle de Stripe serait égale à celle de la fintech allemande Wirecard (0,77%), d'après une note d'analyse de Barclays que s'est procuré le JDN. 

Une marge plus haute et un portefeuille plus gros. Aujourd'hui, la société basée en Californie revendique  plus de 1 million de clients start-up et PME dans le monde contre 3 401 pour Adyen, qui cible uniquement les gros comptes. Dans le portefeuille du Néerlandais, on trouve L'Oréal, Easy Jet, Etam ou encore Mango. "Adyen a un process assez industriel. Il fait du standard dans les moyens de paiement, il ne s'embête pas à faire du spécifique. En revanche, il fait du multi-pays. Il intéresse donc les groupes internationaux qui veulent une intégration unique", raconte un spécialiste du marché du paiement en ligne. "Adyen refuse de répondre parfois quand ils jugent que ce n'est pas assez gros. Cela peut leur nuire à terme", pointe Julien Maldonato, qui a déjà tenté de travailler avec Adyen pour le compte de ses clients. Contacté, Adyen n'a pas souhaité répondre à nos questions.

"Adyen refuse de répondre parfois à des marchands quand ils jugent que ce n'est pas assez gros"

Depuis 2018, Stripe s'attaque cependant aux grands comptes et a notamment signé avec Microsoft, Uber, Spotify, Booking.com, le VTC asiatique Grab ou encore le spécialiste du vélo en libre-service Mobike. "Nous sommes désormais une solution de référence pour les entreprises technologiques mondiales", estime Guillaume Princen, DG France de Stripe. "En revanche, le pricing est différent avec les grands comme Uber. Et sur les sociétés qui font de l'abonnement, nous prenons une commission sur le service rendu - la transaction effectuée et la mise en place d'un moteur d'abonnement", explique le dirigeant, sans donner de tarifs précis. "Pour les gros marchands, Stripe doit certainement baisser son prix pour être en ligne avec Adyen", avance Julien Creuzé.

Culture geek versus culture commerciale

Les deux prestataires de paiement n'ont pas que des points communs, ils ont même beaucoup de différences. Tout d'abord, Adyen propose une plateforme unique de paiement (en ligne, en magasin, pour les marketplaces…) tandis que Stripe s'est diversifié. D'ailleurs, la start-up ne se définit pas comme un fournisseur de paiement mais "une entreprise qui aide les start-up à grandir". "C'est une boîte techno qui sort des produits en fonction des demandes des clients", assure un ancien de Stripe. "Stripe pourrait faire du prêt aux PME, de l'affacturation, ils peuvent à chaque fois créer une nouvelle société from scratch", complète-t-il. Parmi les produits phares de la société : une boîte à outils qui permet de créer son entreprise aux Etats-Unis pour 500 dollars, une plateforme de paiement dédiée aux marketplaces, des outils pour créer et développer des modèles de paiement récurrent ou encore un kit de développement logiciel pour les terminaux de paiement. 

Autre différence entre les deux fintech : leur culture. Stripe est une entreprise orientée techno. "Les fondateurs de Stripe sont des codeurs. Ils viennent à tous les meetings produits. Ils considèrent que la stratégie c'est le produit et le reste ce n'est que de l'exécution", explique cet ex-collaborateur de Stripe. La start-up californienne a par exemple sorti 3 200 versions de son API en 2018. "C'est plutôt deux ou trois par an dans le monde traditionnel", souligne Guillaume Princen. Sur les 1 400 salariés de Stripe, la moitié sont des ingénieurs répartis entre trois hubs dans le monde (Etats-Unis, Europe et Singapour). Chez Adyen, la moitié du personnel est commercial.

Les ingénieurs de Stripe sont nombreux mais pas seulement. "Ce sont eux qui décident d'aller dans un nouveau pays ou non alors que chez Adyen tout est drivé par le business", précise l'ancien de Stripe. "Comme Adyen cible des gros marchands, il doit s''adresser à la direction des achats, habituée à un process commercial avec des négociations encadrées", abonde Julien Maldonato.

Une internationalisation inégale

Sur l'international, l'avantage est pour Adyen. Et c'est un ancien de Stripe qui le dit. "Sortir un nouveau pays est plus compliqué pour Stripe que pour Adyen. Le paiement est un business local avec des complexités techniques et réglementaires. Il a fallu plusieurs années à Stripe pour trouver une banque acquéreuse au Japon par exemple." "Adyen, de par sa géographie européenne, a dû faire face à une hétérogénéité des moyens de paiement qui les a habitués à s'intégrer. C'est une plateforme très éprouvée sur la diversité des cas", assure Julien Maldonato. "Stripe, qui a un marché nord-américain comme cœur de cible, a donc moins été confronté à l’hétérogénéité au début de son existence", ajoute-t-il.  

Sur l'implantation, les deux acteurs font cependant jeu égal. 15 bureaux pour Adyen, 14 pour Stripe. Tous les deux ont un bureau en France. Adyen compte une dizaine de collaborateurs, tout comme Stripe. Cette dernière vient juste de déménager pour de plus grands locaux. "Nous allons tripler les investissements dans l'Hexagone dans les années qui viennent", révèle Guillaume Princen, sans donner plus de détails. Côté clients, Stripe revendique des "dizaines de milliers de marchands en France" dont Leroy Merlin, Vinci, Drivy ou encore le site de bricolage ManoMano. Adyen affiche  de belles références comme Intersport, Birchbox, Vestiaire Collective et Groupon. En France aussi, la guerre ne fait que commencer.