Guillaume Pousaz (Checkout.com) "Checkout.com n'a pas encore touché aux 230 millions de dollars levés en 2019"

Le fondateur du prestataire de paiement britannique fait le point sur son activité en France et nous en dit plus sur sa roadmap 2020.

JDN. Checkout.com a racheté fin février ProcessOut, start-up française spécialisée dans le routage des transactions. C'est votre première acquisition. Pourquoi ce rachat ?

Guillaume Pousaz, CEO de Checkout.com. © Checkout.com

Guillaume Pousaz. Nous suivons ProcessOut depuis longtemps, ce sont des gens brillants dont la qualité de travail est impressionnante. Ce qui nous intéressait particulièrement chez eux c'est leur produit d'analytics qui permet de savoir pourquoi une transaction a été refusée. Jusqu'à présent, nous utilisions en interne et en externe pour nos clients l'entrepôt de données Snowflake et la plateforme d'analyse Looker, deux références technologiques de la Silicon Valley. Mais ces produits coûtent très chers. Nous avons décidé de garder ces outils pour notre usage interne et de fournir le produit d'analytics de ProcessOut à nos clients. 

ProcessOut permet aussi de router les transactions d'un marchand, au cas par cas, vers le meilleur prestataire de paiement. Ce rachat signifie-t-il que ProcessOut va favoriser Checkout.com plutôt qu'un autre ?

Non car nous n'avons pas besoin d'exécuter toutes les transactions d'une très grosse entreprise compte tenu des volumes en jeu. Vous avez probablement plusieurs cartes de crédit dans votre portefeuille. Pour un gros marchand, la logique est comparable. Un gros retailer français a très souvent contracté un crédit avec une grande banque française. Il va donc naturellement exécuter chez elle une partie de ses volumes. Pour répondre à ce cas de figure, nous  proposons par exemple de couvrir toutes les transactions hors de France en laissant la banque traiter une partie des flux internes à l'Hexagone. 

Où en est justement l'activité de Checkout.com en France ?

C'est un marché où nous grandissons beaucoup. Je ne peux pas vous dire ce qu'il représente en termes de revenus car nous communiquons plutôt par grande région. 50% de notre business vient d'Europe et 50% du reste du monde. Avec l'Asie en première position, suivie du Moyen-Orient et des Etats-Unis. Nous comptons une centaine de clients français dont Dashlane, Cheerz, Copines de Voyage ou encore Veepee pour ses transactions au Royaume-Uni. Nous annoncerons bientôt une nouvelle référence française dans le retail sur le segment du luxe. Checkout.com compte aussi d'autres marchants très actifs en France comme Deliveroo et Transferwise. 

Jean-Marc Nourel, votre country manager pour la France, a indiqué au JDN en mai dernier que le bureau français devrait compter une centaine de personnes d'ici fin 2020. Où en êtes-vous ?

Il y 25 salariés basés en France. Nous recrutons entre 2 et 4 personnes par mois dans ce pays (les 14 collaborateurs de ProcessOut vont intégrer les locaux de Checkout.com en France, ndlr). Nous atteindrons plutôt 75 salariés d'ici la fin de l'année. Nous voulons faire en sorte que le bureau français, tout comme l'entreprise, ne grandisse pas trop vite. 

Qu'en est-il au niveau global ?

Au total, nous sommes 650. Deux tiers sont des ingénieurs et des profils tech. Ils sont répartis sur 10 bureaux à travers le monde. Ce chiffre va doubler dans les mois à venir.

Nous devrions être entre 1 000 et 1 100 en 2020

 

Nous recrutons entre 50 et 60 personnes par mois au niveau mondial. Nous devrions donc être entre 1 000 et 1 100 en 2020, et 1 700 en 2021. Comme je le disais, nous ne voulons pas recruter en masse. On pourrait très bien embaucher 1 500 personnes cette année car l'entreprise est en pleine croissance. Nos résultats financiers suivent très bien et nous allons multiplier notre valorisation de manière significative cette année.  

Cela signifie que vous allez lever des fonds ?

Il n'est pas improbable que nous relevions des fonds en effet. Il y a une longue liste d'investisseurs qui souhaite faire partie de l'histoire de Checkout.com. Si nous avons levé 230 millions de dollars (en mai 2019, ndlr) pour une valorisation de 2 milliards d'euros, vous pouvez en déduire que nos salariés et les fondateurs sont majoritaires dans l'entreprise et que nous bénéficions par conséquent d'une certaine flexibilité pour faire entrer d'autres investisseurs. En plus, nous avons la chance d'être rentables et de ne jamais avoir dépensé l'argent levé en 2019. Nous avons d'ailleurs racheté ProcessOut avec notre propre cash flow

Pourquoi relever de l'argent si vous n'avez pas touché à ces 230 millions d'euros ?

Checkout.com a aujourd'hui des licences en France, au Royaume-Uni, à Hong-Kong et à Singapour. Nous avons demandé une licence au Brésil et envisageons d'en demander une en Chine continentale. Quand vous discutez et travaillez avec des régulateurs, plus vous affichez d'argent dans votre bilan, mieux c'est. 

Aujourd'hui, seuls American Express et PayPal, via le rachat d'une entreprise chinoise, ont pu entrer sur le marché du paiement en Chine. Pensez-vous pouvoir vraiment obtenir une licence là-bas ?

Le régulateur chinois a la volonté d'accorder des licences à des étrangers car il veut créer un peu de concurrence face aux mastodontes que sont Alipay et Wechat. De toute façon, nous serons obligés d'attaquer la Chine continentale un jour puisque c'est un énorme marché. 

Comment pouvez-vous être rentable alors que la plupart de vos concurrents ne le sont pas et dépensent des dizaines voire des centaines de millions levés dans leur développement ? 

"Nous avons demandé une licence au Brésil et envisageons d'en demander une en Chine continentale"

 

Notre business model a toujours largement suffit à notre croissance. Nous avons grandi de manière méthodique, ce qui nous a pris plusieurs années. Nous n'avons jamais été frustré des méga levées de fonds de nos concurrents. Je pense que les meilleures entreprises sont créées avec beaucoup de discipline. Nous sommes bien organisés, avons toujours suivi nos business plans et ne dépensons pas l'argent qu'on n'a pas. De toute façon, il y a assez transactions financières dans monde pour plusieurs acteurs. Je pense qu'il n'y aura jamais un Google du paiement. 

Communiquez-vous sur un chiffre d'affaires ou un volume d'affaires ?

Nous ne donnons pas notre chiffre d'affaires. Nous processons plusieurs milliards d'euros de transactions par mois.

Plusieurs acteurs du secteur prétendent que votre croissance est majoritairement due aux transactions des entreprises à risque, dans les secteurs du jeu d'argent, de la pornographie… 

C'est inexact. Beaucoup de clients ne souhaitent juste pas indiquer qu'ils travaillent avec nous. Ce genre de réflexion ne m'étonne pas. On m'a récemment dit : "plus tu auras du succès et plus on te critiquera". C'est aussi ce qui arrive à Revolut, qui est très critiquée pour sa culture d'entreprise. Mais c'est avant tout une entreprise extraordinaire avec un super produit. 

Mais alors, d'où vient cette croissance ?

"Nous allons sortir des solutions de trésorerie au quatrième trimestre 2020"

 

Nous avons aujourd'hui 1 000 clients dont de très gros marchands internationaux. Nous nous focalisons sur les marchés émergents alors qu'Adyen vise les clients omnicanaux et Stripe les PME. Nous avons par exemple été présents très tôt au Moyen-Orient pour créer des relations de qualité avec des marchands internationaux. Nous les aidons à toucher ces marchés très dynamiques et non négligeables. Nous sommes aussi leaders en Angleterre et les Etats-Unis vont bientôt être notre deuxième marché le plus important hors Europe. 

Quels sont vos chantiers pour 2020 ? 

Nous allons d'abord lancer un produit d'émission de cartes à destination des fintech. Nous processons les paiements de plus de 100 d'entre-elles en Europe. C'est un gros challenge car ce business est encore plus poussiéreux que celui de l'acquisition. Nous avons déjà des cartes en bêta test. Nous allons ensuite sortir un produit pour les marketplaces, puis des solutions de trésorerie au quatrième trimestre.

Quid d'une solution de paiement en magasin comme le font Adyen et Stripe ? 

Nous travaillons sur le sujet à la demande de nombreux marchands mais ce n'est pas la priorité de 2020. Il y a encore beaucoup d'autres choses à faire sur le segment et ce positionnement peut être désavantageux pour nous. Les marges des retailers traditionnels sont plus basses comparées aux pure player de l'e-commerce qui  grandissent beaucoup plus vite. Du coup, beaucoup préfèrent bien séparer paiement online et offline. 

Guillaume Pousaz est le CEO de Checkout.com, prestataire de paiement en ligne créée en 2009. Il a commencé sa carrière chez International Payments Consultants. Puis, il a fondé en 2007 Net Merchant, société spécialisée dans le paiement en devises européennes. Guillaume Pousaz est passé par HEC Lausanne et l'Ecole Polytechnique fédérale de Lausanne.