Olivier Goy (October) "C'était comme si October était un supermarché et que l'Etat distribuait de la nourriture dans la rue"

Suite de notre série d'interviews de dirigeants face à la crise. Aujourd'hui, le CEO de la plateforme de prêts aux PME revient sur l'impact du Covid-19, côté emprunteurs et côté prêteurs.

JDN. Jusqu'à ce 23 avril, October, en tant que plateforme de prêts aux PME, ne pouvait pas octroyer de prêts garantis par l'Etat (PGE), dont le taux d'intérêt s'élève à 0,25 ou 0,5%. Vous étiez donc beaucoup plus chers que les banques. A quel point cela vous impactait-il ?

Olivier Goy, fondateur et CEO d'October. © October

Olivier Goy. C'était comme si j'avais un supermarché et que l'Etat distribuait de la nourriture dans la rue. Mais c'est une bonne chose que l'Etat ait mis en place des PGE car c'est le seul moyen de sauver l'économie. Je m'en réjouis, il ne faut pas penser qu'à soi-même. Aujourd'hui, nous sommes flattés de pouvoir proposer des PGE. On prend ça comme une marque de reconnaissance du travail des plateformes. Au final, cela va nous permettre de proposer des PGE et d'offrir de la garantie pour nos prêteurs particuliers et institutionnels. Il reste encore beaucoup de choses à caler. Nous allons notamment travailler sur une FAQ avec Bercy et le Trésor sur l'ensemble du dispositif. Il va nous falloir une bonne semaine pour que tout soit opérationnel. De notre côté, nous nous sommes engagés à proposer des prêts à prix coûtant. On gagne notre vie en facturant des frais. Sur les PGE, on va juste garder les frais techniques externes. On ne va donc pas être rémunéré. C'est un vrai acte de solidarité. 

Avec la crise, avez-vous revu vos critères d'éligibilité ?     

Nous procédons à une analyse habituelle à laquelle nous ajoutons une analyse spéciale Covid-19. Nous regardons l'impact concret de la crise sur l'entreprise, si elle sera impactée durablement, si elle peut rapidement démarrer son activité après le déconfinement… Cela restreint le champ des possibles par rapport à d'habitude.

Quels dispositifs avez-vous mis en place pour les emprunteurs et prêteurs ?

"October a renoncé aux prélèvements de ses frais mensuels pendant la période de gel de 3 mois"

Nous avons demandé à nos 21 000 prêteurs de voter pour le gel de 3 mois des remboursements en capital. Le taux d'approbation a atteint 99,42%, c'est assez fou. October a aussi renoncé aux prélèvements de ses frais mensuels pendant la période de gel. Nous avons trouvé des mécanismes de garantie d'Etat pour protéger nos prêteurs. Nous échangeons beaucoup avec les prêteurs et emprunteurs. On ne peut pas ne pas communiquer. Des gens comptent sur nous, soit parce qu'ils ont emprunté soit parce qu'ils ont prêté sur October. Ils ne peuvent pas se satisfaire de notre silence. 

Depuis le début du confinement, avez-vous financé des entreprises ?

Dans la semaine qui a suivi l'annonce du confinement, nous en avons financé neuf. Depuis l'annonce du PGE en France, il ne se passe plus rien. A la mi-avril, nous avons financé cinq PME italiennes et nous allons bientôt en aider une vingtaine car nous pouvons refinancer tous les prêts italiens avec la garantie d'Etat à 90%. Cela va donner de l'air aux entreprises italiennes et protéger les prêteurs. Nous avons également eu l'approbation du gouvernement hollandais pour faire la même chose aux Pays-Bas. Nous travaillons pour l'obtenir dans d'autres pays.    

Qu'en est-il des prêteurs. Sont-ils toujours actifs sur la plateforme ?

"Dans la semaine qui a suivi l'annonce du confinement, nous avons financé neuf entreprises"

 

Nous avons la chance d'avoir de l'argent à prêter. Juste avant la crise, nous avons bouclé une levée de fonds de 140 millions d'euros auprès de prêteurs institutionnels. Les prêteurs institutionnels sont engagés, comme d'habitude. Les prêteurs particuliers sont aussi actifs. Sur la semaine qui a suivi l'annonce du confinement, ils réalisaient jusqu'à 2,5 prêts à la seconde. En revanche, nous anticipons une baisse de leur intérêt dans la durée. La raison est simple : il va y avoir un phénomène réel d'appauvrissement et une chute vers l'épargne ultra sécurisée. Il n'y a qu'à constater l'envolée du Livret A, les sommes collectées sont du jamais vu. 

Vous venez tout juste de vous lancer en Allemagne. Etes-vous particulièrement inquiet pour votre jeune filiale ?

On va voir comment ça se passe. On n'est qu'au début de l'histoire, il n'y a pas de passif à gérer, nous n'avons que deux emprunteurs. Paradoxalement, ce n'est pas la plus mauvaise configuration. Aujourd'hui, pour être transparent, aucun pays ne m'inquiète pas. La crise est très dure. Nous avons un manque de visibilité sur la manière dont va reprendre le business. On ne sait pas quand ni comment certains pans de l'économie vont rouvrir.

Comment envisagez-vous l'après-crise pour October ? Pensez-vous qu'à terme la majorité des entreprises vont rester chez les banques traditionnelles qui les auront "sauvées" pendant la crise et ne viendront plus chez vous ?

On va voir plusieurs phénomènes sur l'endettement. Le premier est qu'il va falloir rembourser ces dettes avant d'en prendre des nouvelles. Quand un acteur bancaire a beaucoup prêté, il ne va pas en remettre une couche en termes de risques. Peut-être que les entreprises vont devoir plus diversifier leurs sources de financement. Même si je suis très négatif, autant, je ne crois pas à la fin du monde, les entreprises vont continuer à investir et emprunter. C'est ce qui s'est passé en 2008-2009. 

Quel impact aura la crise sur votre chiffre d'affaires en 2020 ? 

Il est encore un peu trop tôt pour dessiner précisément l'impact sur notre chiffre d'affaires. On a gelé les remboursements pendant trois mois, tout comme ce qu'on facturait aux emprunteurs, ce qui signifie que nous ne réaliserons pas de chiffre d'affaires pendant trois mois. Après ce n'est pas du chiffre d'affaires perdu mais reporté dans le futur. C'est sûr que l'activité sera moins bonne qu'on espérait. Nous ne pensons pas que les taux vont remonter car il y a un besoin de les garder bas pour rembourser les dettes. Sans compter la pression politique qu'il y aura pour prêter au système économique. Pour restaurer leur marge et mieux traiter les prêts, les banques vont investir massivement dans la technologie. Nous pensons que la technologie que nous développons pourrait leur devenir indispensable. D'ailleurs, certaines nous approchent pour être plus efficaces dans le traitement des dossiers. Grâce à la crise, on a une nouvelle opportunité de business.

Olivier Goy a fondé October (anciennement Lendix) en 2014. Avant d'entrer dans l'univers du crowdfunding, il a navigué dans celui du private equity. Il est passé chez Partech pendant un an avant de créer sa propre société de gestion 123 Investment Managers en 2000. Il est également trésorier de l'association France Fintech et cofondateur de la fondation photo4food, lancée fin 2019.

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