Wirecard va-t-il entraîner les fintechs dans sa chute ?

Wirecard va-t-il entraîner les fintechs dans sa chute ? La star allemande du paiement, qui vient de déposer le bilan, propose ses services à de nombreuses start-up de la finance dont l'avenir est désormais lié au sien.

[Article mis à jour le 26 juin 2020 à 17h30] Le régulateur britannique a ordonné le vendredi 26 juin à Wirecard Card Solutions, filiale de la fintech allemande, de cesser ses activités. Les fintech clientes de WCS sont elles aussi contraintes d'arrêter leurs services.  

L'avenir de Wirecard n'a jamais été autant incertain. La fintech allemande a reconnu que les 1,9 milliard d'euros introuvables dans son bilan n'existaient probablement pas. Ce 25 juin, la société cotée au Dax a déposé le bilan, deux jours après l'arrestation de son patron, Markus Braun. L'avenir de nombreuses fintech est tout aussi flou. De nombreuses start-up* utilisent les technologies de Wirecard pour émettre des cartes bancaires ou proposer du paiement mobile, par exemple. A noter qu'elles sont clientes de Wirecard Card Solutions (WCS), une filiale indépendante installée et régulée au Royaume-Uni, et non de Wirecard AG qui est concernée par le scandale.  Même si cette dernière fait faillite, WCS continuera à fonctionner.  Mais l'image toute entière du groupe pourrait être entachée. 

"Wirecard reste un acteur qui propose des solutions intéressantes, cela n'a pas changé"

Actuellement, aucune fintech française ne travaille avec Wirecard, bien que la star allemande loue des bureaux au Village by CA, le lieu d'innovation du Crédit Agricole. La banque française avait noué un partenariat avec Wirecard en avril 2018, qui a finalement été suspendu fin 2019. Quid des autres fintech ? "Wirecard reste un acteur qui propose des solutions intéressantes, cela n'a pas changé", souligne Lionel Vincke, managing partner chez Azzana consulting, cabinet spécialisé dans les paiements. "Il a une très grande polyvalence. Cela n'annihile pas les compétences acquises au fil des années", soutient Angelo Caci, directeur général de Syrtals Cards, cabinet spécialisé dans la monétique. "Le business est pérenne et solide, et il y a un vrai marché", ajoute le patron d'une start-up allemande qui travaille avec Wirecard. "Il y a un grand décalage entre la réussite commerciale et le questionnement sur la gouvernance de la boîte. En plus, cela fait deux ans qu'il y a des rumeurs sur Wirecard, qui n'en avait pas été affecté jusque-là. Tout simplement parce qu'il y a un vrai besoin", ajoute-t-il.

Au premier semestre 2019 (les résultats du second semestre ne sont toujours pas connus), la fintech allemande a enregistré un chiffre d'affaires de 1,2 milliard d'euros, contre 885 millions au premier semestre 2018, soit une augmentation de 36,6%. Les volumes de transactions ont quant à eux augmenté de 37,5% entre les deux mêmes périodes. Evidemment, bien que certifiés, ces chiffres peuvent inspirer une certaine méfiance désormais.

De la difficulté de changer de prestataire

Même si la fintech allemande continue d'assurer ses services, les start-up clientes pourraient décider de changer de prestataire., échaudées par le scandale. Enfin, en théorie. Car changer de fournisseur de services bancaires ne se fait pas en un jour. "Les projets d'intégration dans le paiement sont assez longs. C'est normal, cela touche une corde sensible : les paiements entrants. Ce n'est donc pas simple de changer de prestataire. Il faut compter au minimum six mois entre le moment où on décide de le changer et le moment où on ne l'utilise plus", précise Lionel Vincke. Même constat pour le patron de Lydia. "Cela peut prendre un an si vous vous en sortez très bien. Sinon c'est plutôt deux ou trois ", confie Cyril Chiche.

"Quand vous êtes chez un provider, c'est l'enfer pour en changer. En particulier quand vous émettez des cartes Wirecard, car cela veut dire qu'il faut réémettre toutes les cartes des utilisateurs finaux. C'est un énorme problème qui crée une énorme dépendance", lâche Alexandre Louisy, CEO du logiciel de recouvrement Upflow, client de Treezor, concurrent de Wirecard sur la partie banking as a service. Pour une "petite" fintech, cette option coûteuse et longue n'est donc pas vraiment envisageable. "Cela peut être dramatique. Des boîtes pourraient se retrouver en faillite à cause de cette affaire Wirecard. Les fintech qui ont démarré il y a peu et qui ont peu d'argent ne peuvent pas relancer un projet sans visibilité tout en trouvant de l'argent", s'alarme Cyril Chiche.

"Seuls les grosses fintech peuvent se payer ce genre de projet"

Il existe une deuxième option pour se séparer de Wirecard : créer ses propres technologies bancaires. Ce chantier coûte évidemment très cher et prend du temps. La néobanque pour professionnels Qonto, client de Treezor, a créé son propre core banking system en 2018 mais n'a toujours pas fini de migrer tous ses anciens clients. Lydia a aussi entamé ce chantier. "C'est un sacré projet, qui comprend la migration des clients, du stock… Le client doit être d'accord, il faut changer les CGU. Il faut mettre au moins trois ou quatre personnes dessus en plein temps", illustre Cyril Chiche. "Seuls les grosses fintech peuvent se payer ce genre de projet", ajoute-t-il. C'est le cas de l'agrégateur britannique de cartes bancaires Curve. "Nous sommes désormais partenaire de Mastercard et nous avons presque fini le travail pour devenir notre propre émetteur, ce qui était déjà en cours depuis plusieurs mois", indique Nathalie Oestmann, COO de Curve, dont la décision a été poussée par le retard pris dans l'audit des comptes de Wirecard. D'après Sifted, le site tech du Financial Times, Revolut aurait commencé à sortir de Wirecard il y a six mois pour des questions "d'intégrité".

Faute de budget, les petites fintech risquent donc de se retrouver "coincées" avec Wirecard. Sifted a contacté plusieurs fintech européennes qui ont toute affirmé rester clientes de Wirecard. Rien d'étonnant puisqu'elles sont soit trop dépendantes du prestataire allemand soit elles supposent que l'orage finira par passer. "Je pense que quand la situation se sera calmée, elles resteront. Au final, elles ont les poings liées", commente Alexandre Louisy. A moins que les utilisateurs finaux de ces fintech soient au fait du scandale. La société Crypto.com, qui propose une carte bancaire avec du cashback en crypto, a fait face à une salve de messages de ses utilisateurs sur Twitter, inquiets pour leurs fonds. Inquiets pour l'avenir.

*Liste non exhaustive des fintech clients de Wirecard : Anna Money, Crypto.com, Payhawk, P.F.C, Soldo, Stocard, Tymit, Varengold Bank…