Euro numérique : à quoi va-t-il ressembler ?

Euro numérique : à quoi va-t-il ressembler ? Le projet d'euro numérique initié par la BCE rentre fin juin dans une nouvelle phase, celle du prototype.

L'euro numérique prend sa source dans un rapport publié en 2020 par la Banque Centrale Européenne et Eurosystème, qui regroupe les banques centrales nationales. Un an après cette publication, le Conseil des gouverneurs a approuvé le lancement d'une première phase d'investigation. Une étape qui a démarré en octobre 2021 et qui se poursuivra pendant deux ans. "Ce projet est censé prendre en compte la désaffection des nouvelles générations pour le cash et permettre d'accompagner l'innovation", résume Jérôme Ajdenbaum, vice-président de la société de sécurité numérique IDEMIA.  Dans cette optique, la BCE a choisi de concentrer ses premiers efforts sur le développement d'un euro numérique de détail à destination du grand public, l'idée étant d'étudier les différents cas d'usage. "Nous voyons l'euro numérique comme un billet numérique accessible à tous et qui permet d'offrir un moyen de paiement moderne et sûr, sans pour autant supplanter les monnaies traditionnelles", précise Claudine Hurman, directrice des infrastructures innovation et paiement à la Banque de France. Le second semestre 2022 donne le coup d'envoi des travaux d'Eurosystème qui a sélectionné des partenaires privés pour l'élaboration d'un premier prototype, aux résultats attendus à la fin de l'année.

Réinventer le paiement

Contrairement aux crypto monnaies volatiles type bitcoin ou ethereum ainsi qu'aux stablecoins gérés par des sociétés privées, l'euro numérique devra fonctionner avec les systèmes de paiement actuels. "Ce qui a motivé les banques centrales à lancer des projets de monnaies numériques, c'est avant tout le fait que des entreprises privées se soient lancées dans les stablecoins", selon Jérôme Ajdenbaum. "L'adoption massive des paiements numériques post-covid et l'apparition du e-yuan chinois sont deux facteurs qui ont également contribué au projet d'un euro numérique", complète Régis Folbaum, directeur des paiements à la Banque Postale.

Définir les cas d'usage

"Le fait de pouvoir payer partout sera considéré comme la caractéristique la plus importante d'un nouveau mode de paiement numérique", déclarait en mars dernier Fabio Penetta, membre du directoire de la BCE. Pour travailler sur cet aspect utilitaire, la BCE s'appuie sur le Market Advisory Group, qui comprend trente entreprises du secteur du paiement. Ces dernières sont chargées de conseiller l'Eurosystème tant pour la conception que pour la distribution de l'euro numérique. Cinq représentants français font partie des professionnels missionnés, il s'agit de Cyril Vignet du groupe BPCE, Etienne Goosse du Conseil européen des paiements, Nicolas Kozakiewicz pour Worldline, Régis Folbaum de la Banque Postale et Yves Blavet pour la Société Générale.

Paiement de particulier à particulier, en e-commerce, dans les points de vente, en M2M et même en provenance ou en direction des administrations comme les prestations sociales ou les impôts… Tous les cas d'usages d'aujourd'hui sont analysés pour être repensés. Car si de nombreux moyens de paiements existent déjà, ces-derniers sont bien souvent de portée nationale, ne permettant pas aux banques d'inter-opérer indépendamment des technologies et prestataires de paiement extra-européens. "Dans sa construction, l'euro numérique doit permettre à l'Union européenne d'être totalement autonome sur le plan monétaire", précise Régis Folbaum.

Une phase de consultation doit également permettre de prendre en compte les besoins non seulement des consommateurs mais aussi des commerçants. C'est dans cette optique que la BCE a créé des groupes dits focus groups en avril dernier. Il s'agit en fait d'instances de consultations chargées de faire remonter les préférences et recommandations des utilisateurs potentiels. Ces focus groups livreront leurs recommandations d'ici la fin de l'année auprès de la BCE.

En complément de cette initiative, la Commission européenne a lancé une consultation ouverte à tous  dans le but de définir un premier texte de loi pour encadrer l'euro numérique. La consultation doit s'achever le 14 juin prochain, le cadre légal devrait quant à lui être défini à l'horizon 2023.

Confidentialité et sécurité

"Un euro numérique serait conçu pour offrir au moins le même degré de respect de la vie privée aux utilisateurs que les solutions numériques existantes", précisait Fabio Panetta en mars dernier. En avril 2021, la BCE publiait les résultats d'une première consultation qui laissait apparaître que 43% du public européen considérait la confidentialité comme condition première à l'adoption d'un euro numérique. De ce constat découle une interrogation. Quelle technologie choisir ? Sera-t-il question d'un réseau de paiement unique ? D'une blockchain ? Centralisée ou non ? Les différentes pistes sont en ce moment même à l'étude du côté de la BCE. "Il va s'agir de trouver le bon équilibre entre vigilance anti-fraude et financement du terrorisme d'un côté, et protection des données individuelles de l'autre. Cela va beaucoup compter dans le choix de la technologie", prévient Claudine Hurman.

Jusqu'ici les instances européennes tâtonnent entre protection et traçabilité, mais de premières pistes commencent à se faire entendre. "On se dirige vers une architecture à deux niveaux dans laquelle la BCE n'aura pas de vue sur nos comptes, contrairement aux banques commerciales", explique Jérôme Ajdenbaum.

Dans la pratique, et afin de favoriser une adoption par le grand public, la BCE prévoit de dissocier les petites des grosses transactions. "Il est prévu d'introduire une tolérance d'anonymat pour les transactions inférieures à 70 euros", précise Jérôme Ajdenbaum. Une mesure qui permettrait de préserver la confidentialité des achats du quotidien, tout en contenant les risques de blanchiment. Concrètement, les utilisateurs d'un euro numérique devraient préalablement suivre une procédure d'inscription. La solution avancée par la BCE prévoit notamment de proposer des portefeuilles dont le montant maximal serait proportionnel au degré de connaissance client.

Un appel à projet

En ce qui concerne la distribution de l'euro numérique, l'Eurosystème s'interroge sur un nouveau modèle dans lequel la BCE, les banques commerciales ainsi que les intermédiaires auraient chacun un rôle à jouer. "Rien n'a été acté, la BCE était jusqu'ici dans une phase d'appel à projets qui vient de déboucher sur une présélection, notamment de cabinets de conseil et d'entreprises du secteur du paiement", renseigne Régis Folbaum, sans davantage de précisions. Objectif : proposer des premiers parcours client, de nouvelles techniques d'enrôlement ou encore des pistes de partenariats. "Il y a tout à faire", poursuit le directeur des paiements de la Banque Postale. Tester les solutions techniques à disposition autour d'un partenariat public/privé, voilà la nouvelle tâche à laquelle s'attèle la BCE.

"Concernant la distribution de l'euro numérique, nous nous dirigeons vers une situation concurrentielle entre les banques et les fintechs qui proposeront des wallets différents", prévient Claudine Hurman. Dans cette configuration, les wallets rattachés à l'euro numérique devront répondre au cadre légal qui sera fixé par la BCE, notamment en ce qui concerne le montant maximal. Une législation attendue pour 2023 et un déploiement prévu pour 2024.

Les 5 points clés à retenir :

  • La BCE donne la priorité à un euro numérique de détail
  • L'euro numérique doit permettre de payer partout (en ligne, physique, pair à pair…)
  • Une tolérance d'anonymat est prévue pour les transactions inférieurs à 70 euros
  • La Commission européenne a lancé une consultation ouverte jusqu'au 14 juin
  • Elaboration d'un cadre légal en 2023, lancement prévu en 2024