John Taft (PDG de RBC Wealth Management US) "En matière de crise, l'Europe n'a qu'une décennie d'avance sur les Etats-Unis"

Patron de la branche américaine de l'un des plus gros gestionnaires de patrimoine au monde, John Taft publie "Stewardship : lessons learned from the lost culture of Wall Street".

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John Taft, PDG de RBC Wealth Management US. © RBC

Pourquoi écrire ce livre, consacré aux dérives du secteur financier ?

Je souhaite restaurer la confiance du peuple envers les institutions financières. La plupart des grandes banques ont perdu de vue certains principes autrefois inhérents à la culture financière et je pense qu'il est important d'admettre ce problème. Actuellement, beaucoup d'efforts sont produits pour améliorer la régulation dans le secteur financier, avec notamment la volonté de réduire les effets de levier et d'augmenter les fonds propres. Mais cela ne suffit pas. On n'en fait pas assez pour restaurer la culture de la responsabilité dans la finance qui a été mise à mal pendant la crise.

Dans votre livre, vous faites référence au "stewardship", que l'on pourrait traduire par "bonne gestion", "responsabilité". Comment le définissez-vous ?

La définition la plus simple est : gérer de manière responsable ce que nous est confié. Ce devrait être le principe fondamental qui gouverne les opérations dans la finance. Mon livre élargit cette définition et parle de la notion de service, d'obligations envers les employés et le public et, finalement, de notre responsabilité au sein de l'économie globale.

"Les banques canadiennes ont été des établissements modèles."

Comment avez-vous géré la crise financière en tant que PDG de RBC Wealth Management aux Etats Unis ?

Une des choses dont je me sens très fier, comme tout le monde à RBC, est la manière dont notre maison-mère, ainsi que les autres banques canadiennes, se sont conduites pendant la crise. Elles se sont comportées en banques modèles. Elles représentent la manière dont le système bancaire moderne devrait être dirigé. Aucune banque canadienne n'a fait faillite ou n'a dû réduire ses dividendes. Elles ont su traverser la crise grâce à des actifs plus sûrs que ceux des banques américaines, à des fonds propres plus élevés et à un plus faible effet de levier. Elles n'ont pas seulement survécu mais ont aussi considérablement renforcé leurs positions sur le marché financier.

Et quelle est votre analyse en tant que président du SIFMA, association représentant les intérêts de la finance aux Etats-Unis ?

J'ai été nommé président du SIFMA à l'automne 2010. Nous sommes toujours en train de gérer la réponse réglementaire à la crise et les problèmes des institutions bancaires. Si elles se sont rétablies à un certain niveau, elles ne sont pas encore complètement guéries et sont toujours exposées aux turbulences du système bancaire global.       

Pensez-vous que le Dodd-Frank Act et Bâle 3 suffisent à réguler le système financier ?

"La régulation va trop loin. Beaucoup de règles inutiles feront probablement plus de mal que de bien."

D'abord, j'ai toujours apporté un soutien indéfectible à la réforme de la réglementation financière. C'était nécessaire et même tardif. La plupart de ces mesures sont indispensables pour éviter que ne se répète ce qui s'est passé en 2008 et 2009. En même temps, je pense que la régulation va trop loin. Il y a beaucoup de règles inutiles qui feront probablement plus de mal que de bien. Le coût accumulé des nouveaux règlements du système financier va affecter la croissance économique plus qu'on le souhaite. Mais le Dodd-Frank Act et Bâle 3 ne suffisent pas. C'est démontré chaque semaine, à chaque fois qu'une banque se tire une balle de pied. Outre la réforme de la régulation, nous avons besoin de changer notre culture. Il est temps de se focaliser à nouveau sur les besoins du client, sur notre responsabilité en tant que gestionnaires et de faire tout cela en même temps qu'appliquer les nouvelles régulations.

Dans votre livre, vous estimez que la crise de la dette souveraine en Europe est la conséquence d'un manque de "stewardship" en matière de politique fiscale et que les Etats-Unis sont en train de prendre le même chemin. Pouvez-vous expliquer ce point de vue ?

Je pense que l'Europe n'a qu'une décennie d'avance sur les Etats Unis. Les chefsd'Etats ont fait des promesses à leurs citoyens qu'ils ne peuvent pas tenir vu les niveaux de croissance actuels. Personne n'a eu le courage, ni en Europe, ni aux Etats-Unis, de dire aux électeurs ce que tout le monde sait déjà : que l'état actuel des choses n'est pas durable. L'Europe n'est pas différente des Etats-Unis, c'est seulement qu'elle est dans cette situation depuis plus longtemps.