L'artisanat traditionnel français enfin protégé de la mondialisation !

L'artisanat traditionnel français à souffert de la mondialisation. Les couteaux de Laguiole en sont l'exemple le plus frappant. La Loi Consommation du 17 mars 2014 en créant une indication géographique dédiée vient enfin protéger les produits de l'artisanat. Une première en Europe.

Qu'est-ce qu'une indication géographique ?

Selon l’OMPI, « une indication géographique est un signe apposé sur des produits qui ont une origine géographique précise et qui possèdent des qualités ou une notoriété dues à ce lieu d'origine ». Elle nous permet par exemple d’être assurés que le Roquefort a bien été fabriqué selon une certaine méthode et dans une aire géographique déterminée.

La France, une longue tradition de protection des indications géographiques

De par sa culture et son histoire, la France s’est très tôt intéressée à cette problématique. Dès le 19ème siècle, les esquisses d’une protection ont été posées. Au début du 20ème siècle, la France se singularise en se dotant des premières lois dédiées à la défense de l’origine d’un produit : les Appellations d’Origine (AO) et les Appellations d’Origines Contrôlées (AOC).A l’origine, l’AOC ne pouvait être attribuée qu’aux produits viticoles alors que l’AO vise tout type de produits, naturels ou fabriqués. Cependant, l’AO n’a pas rencontré le succès escompté en raison des difficultés procédurales et des conditions strictes à remplir pour son obtention. Seuls quelques produits artisanaux tels que la Dentelle du Puy, la Poterie de Vallauris ou encore le Monoï de Tahiti ont une AO. En 1990, l’AOC, plus facile d’obtention, s’est étendue à l’ensemble des produits agro-alimentaires, mais toujours pas aux produits artisanaux.
Avec l’instauration en 1992 au niveau de l’Union Européenne des Appellations d’Origine Protégées (AOP) et des Indications Géographiques Protégées (IGP), la protection de l’origine d’un produit s’étend à l’Europe. L’AOP certifie l’origine géographique d’un produit, dont la qualité ou les caractéristiques sont liés à ce milieu géographique, et, dont la production, la transformation et l’élaboration ont tous lieu dans cette même zone. Aujourd’hui, l’AOP remplace l’AOC exception faite, pour des raisons historiques, des produits viticoles. Quant à l’IGP, elle identifie également l’origine géographique d’un produit, la différence principale étant qu’elle nécessite uniquement que sa production, sa transformation ou son élaboration se réalise dans cette même zone géographique. Le lien avec le territoire est donc plus souple avec les IGP qu’avec les AOP.
Malheureusement, le droit communautaire, se limitant aux seuls produits agroalimentaire, laissait encore les produits artisanaux au ban de sa protection.Pourquoi cette exclusion ? Aucun traité international ne s’oppose pourtant à l’instauration d’un tel arsenal, preuve en est que d’autres pays extérieurs à l’UE, pour la plupart émergents, ont fait le pari de défendre leur patrimoine culturel face à la mondialisation. C’est ainsi qu’au Pérou les céramiques de Chulucanas sont protégées par une indication géographique.

Or, il est estimé qu’en France près d’une centaine de produits artisanaux auraient besoin de cette protection, tels que les Vases d’Anduze, l’Imagerie d’Epinal, le Béret Basque, ou encore les Tomettes de Salernes. Pour l’ensemble de l’Union Européenne, plus de 800 produits artisanaux pourraient être concernés !

La France, historiquement à la pointe de la défense des indications géographiques, se devait de réagir, d’autant plus que la grogne des artisans se faisait de plus en plus retentissante, notamment suite à la tristement célèbre affaire des couteaux Laguiole.
L'artisanat traditionnel français enfin protégé par une indication géographique
Le couteau Laguiole, dont la création remonte à 1829, est originaire du village du même nom.
Toutefois en 1993, un entrepreneur du Val de Marne déposa la marque « LAGUIOLE » et inonda le marché de produits Made in China bien peu représentatifs de la qualité originelle des couteaux. Malgré de nombreuses procédures intentées par la Commune de Laguiole,  l’entrepreneur a obtenu gain de cause devant la Justice en 2012 au motif que « Laguiole est un nom de couteau entré dans le langage courant sans lien direct évident avec la Commune de Laguiole »… (TGI PARIS, 13 septembre 2012, n°10/08800)
Face à ce constat, le Gouvernement Fillon III a intégré dans le projet de loi « Lefebvre » la reconnaissance des indications géographiques pour les produits non alimentaires. Ce projet n’eut pas le temps d’être adopté, mais fût repris par le Gouvernement suivant qui y apporta de nombreuses modifications et l’intégra dans la loi « Hamon » relative à la consommation.
En créant les « Indications Géographiques Protégeant les Produits Industriels et Artisanaux » (IGPIA), la France est à nouveau leader européen dans la protection de l’origine des produits.
Obtenir une IGPIA
Les IGPIA ont pour rôle d’identifier un produit non agroalimentaire originaire d’une zone géographique déterminée, dont une qualité, la réputation, le savoir-faire ou d’autres caractéristiques peuvent être attribuées essentiellement à cette origine géographique et dont les opérations de production ou de transformation ont lieu dans cette même zone géographique.
Pour obtenir une IGPIA, les artisans doivent tout d’abord se regrouper au sein d’un organisme de défense et de gestion qui peut revêtir la forme d’une société ou d’une association loi 1901. Puis, cet organisme aura la délicate tâche d’établir un cahier des charges qu’il soumettra à l'homologation de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI).
Le coût de la demande d’homologation ne devrait pas dépasser 50 euros afin de rendre ces démarches accessibles à tous. Une fois l’homologation délivrée par l’INPI, tous les membres de l’organisme de défense et de gestion pourront apposer l’IGPIA sur leurs produits conformes.
Les IGPIA françaises s’inspirent donc des IGP européennes en ce sens que le lien avec le territoire est moins strict que pour les AOP et AOC. Les matières premières ne devront donc pas nécessairement provenir de la zone protégée mais pourront être importés.
A contrario des AOC, AOP et IGP, c’est l’INPI et non l’INAO (Institut National de l’origine et de la qualité) qui est compétent pour homologuer le cahier des charges et contrôler l’activité des organismes de défense et de gestion. Si cela a du sens au regard de l’objet protégé, à savoir un produit industriel ou artisanal, cela semble plus complexe à comprendre au regard de l’expérience dont bénéficie l’INAO depuis 1935 sur le processus d’homologation. Il appartiendra donc à L’INPI de former son personnel à cette nouvelle activité…

La défense des IGPIA

Le législateur a bien évidemment doté les IGPIA d’un arsenal défensif. Une peine de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 300 000 euros est le risque encouru pour avoir :
  • utilisé ou tenté d’utiliser une IGPIA,
  • apposé ou tenté de faire apparaître une IGPIA inexacte,
  • fait croire ou tenté de faire croire qu’un produit bénéficie d’une IGPIA,
  • fait croire ou tenté de faire croire qu’un produit bénéficiant d’une IGPIA est garanti par l’État ou un organisme public,
  • mentionné sur un produit la présence dans sa composition d’un autre produit bénéficiant d’une IGPIA lorsque cette mention détourne ou affaiblit la réputation de cette IGPIA.
Cette peine pourra être assortie d’une interdiction d’exercice d’une fonction publique ou commerciale et, pour les sociétés,  d’une interdiction d’activité.
Surtout, les IGPIA vont pouvoir se défendre contre les marques. Ainsi, une marque antérieure ne pourra empêcher la création d’une IGPIA reprenant un même signe ou un signe similaire sauf si cette marque est à l’origine exclusive de la réputation ou de la connaissance par le consommateur du produit pour lequel une IGPIA est demandée. La marque « LAGUIOLE » ne pourra donc vraisemblablement pas s’opposer à la création d’une IGPIA Couteaux de Laguiole, sauf si… le propriétaire de la marque « LAGUIOLE » démontre que les consommateurs connaissent ces couteaux exclusivement grâce à lui. Ce qui n’est pas le cas.

Par ailleurs, en cas de demande d’enregistrement d’une marque qui pourrait porter atteinte à une IGPIA, l’organisme de défense et de gestion d’une IGPIA homologué ou en cours d’homologation pourra faire opposition auprès du directeur de l’INPI. Cette possibilité sera également offerte aux collectivités territoriales dès lors que l’IGPIA comporte le nom de celle-ci.
Quant aux marques enregistrées après une IGPIA, en cas d’atteinte à celle-ci, une action en nullité de la marque pourra être intentée.

A quand une protection européenne ?

En créant les IGPIA, le législateur offre enfin aux artisans les moyens de se protéger face aux dangers de la mondialisation. Surtout, les IGPIA seront un outil de promotion de l’artisanat local.
Seul bémol, cette protection s’arrête aux frontières françaises. Toutefois, l’Union Européenne étudie avec attention l’extension de la protection des IGP aux produits artisanaux. Les bénéfices des IGPIA en France seront donc très attentivement observés par l’Union Européenne.
En attendant le décret qui fixera toutes les modalités d’application de la loi, il ne peut qu’être conseillé aux artisans de se regrouper rapidement pour obtenir au plus tôt une IGPIA !