Les Etats-Unis vont-ils monopoliser l'exploitation minière de l'espace ?

L'administration Trump a ouvert la voie avec la signature des accords Artemis. Favorisant la suprématie américaine, ils nécessitent un débat mondial dans lequel la France doit s'engager et exprimer ses propres ambitions.

En mai 2020, la NASA annonçait la rédaction, sous l'impulsion de l'administration Trump, des accords Artemis. Établissant le cadre légal de l'exploration, mais aussi et surtout de l'exploitation minière de l'espace, ces accords bilatéraux ont été signés le 13 octobre 2020 par les États-Unis, l'Australie, le Canada, le Japon, le Luxembourg, l'Italie, le Royaume-Uni et les Émirats arabes unis. L'Ukraine, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et le Brésil se sont depuis ajoutés à la liste des signataires. On ne peut que remarquer l'absence criante de la France et d'autres grandes puissances spatiales parmi eux, comme la Chine, la Russie ou l'Inde.

Plus étonnant encore, la France n'a même pas exposé de position officielle à l'égard de ces accords ni expliqué les raisons de son maintien à l'écart. Elle semble tout simplement se désintéresser du sujet et potentiellement passer à côté d'une réalité pourtant claire : l'Amérique rêve de colonisation spatiale, et a de plus en plus vraisemblablement les moyens d'y parvenir. L'Allemagne, quant à elle, ne s'est que prudemment avancée sur ce sujet. Un porte-parole du ministère fédéral de l'Économie et de l'Énergie a simplement indiqué qu'il était « en discussion » avec les Américains et que les questions d'ordre légal « joueraient un rôle en temps venu », notant que le gouvernement allemand s'intéressait à l'élaboration approfondie du cadre des lois spatiales internationales existantes au niveau multilatéral.

Le nerf de la guerre : l'exploitation minière de la Lune

Toutes les nations ne sont toutefois pas restées silencieuses. La Russie, sans surprise, s'est empressée de critiquer ces accords, trop centrés à son goût sur les intérêts des États-Unis, particulièrement en matière d'exploitation des ressources spatiales. Ces ressources sont pour l'instant principalement celles de la Lune, seul corps céleste à la portée des Terriens à l'heure actuelle pour un effort d'exploitation minière.

L'administration Trump n'a d'ailleurs pas caché son ambition, quoique mise à mal par la crise sanitaire et le changement de gouvernement américain, de renvoyer des astronautes sur la Lune dès 2024. En septembre 2020, la NASA a en outre annoncé rechercher des propositions d'entreprises privées pour extraire de petites quantités de régolithe – la « poussière » couvrant la surface de la Lune – sur notre satellite naturel. Six mois plus tôt, Donald Trump avait signé un accord exécutif autorisant l'exploitation minière commerciale dans l'espace.

Dès l'annonce officielle des accords Artemis, les chercheurs américains Aaron Boley et Michael Byers ont publié une mise en garde retentissante dans la revue Science. D'après eux, ces accords, « s'ils sont acceptés par de nombreuses nations, pourraient permettre aux États-Unis d'interpréter la loi spatiale internationale à leur avantage, faisant de ce pays – qui contrôle la plupart des entreprises spatiales du monde – le gardien de facto de la Lune, des astéroïdes et des autres corps célestes. L'acquiescement étant souvent considéré comme un consentement dans le cadre des lois internationales, la simple acquisition de régolithe par la NASA, si d'autres nations ne s'y opposent pas, renforcerait l'interprétation américaine du texte. »

Un far-west spatial où l'Amérique fait sa loi

Pourquoi laisserait-on l'Amérique rédiger seule des accords aux enjeux majeurs pour toute l'humanité ? Et pourquoi la France, si elle ne compte pas les signer, ne fait-elle pas entendre sa voix ? Elle aurait pourtant là l'occasion d'affirmer sa place de grande puissance spatiale, mais aussi de leader européen. L'European Space Policy Institute, think tank européen indépendant spécialisé dans les affaires spatiales, a d'ailleurs exprimé son inquiétude vis à vis de l'Agence spatiale européenne et de la cohésion de ses États membres, qui ont signé ou non ces accords sans consultation préalable. Dans un bref rapport publié en novembre 2020, ses experts dénonçaient le fait que ces accords soient à l'opposé des principes européens, et annonçaient leur crainte d'une « divergence substantielle entre États membres de l'UE sur l'interprétation des documents légaux fondamentaux comme le traité de l'espace. »

Depuis l'annonce des accords Artemis, la lutte contre le Covid-19 a été la priorité absolue des gouvernements du monde entier, monopolisant leur temps et leurs ressources. Le calendrier initial du retour américain sur la Lune paraît donc compromis. Toutefois la compétition entre Blue Origin et SpaceX pour envoyer les hommes de la NASA dans l'espace a montré que les entreprises privées américaines étaient prêtes pour la conquête spatiale, et elles n'ont actuellement aucun concurrent privé à l'étranger. Cette avance sur le reste du monde pourrait effectivement mettre à mal les intérêts potentiels des pays signataires des accords Artemis comme de ceux qui ont préféré ne pas s'avancer. La stratégie du « premier arrivé, premier servi » des États-Unis pourrait en effet retarder les ambitions spatiales de pays tiers.

Biden a succédé à Trump sans jamais se prononcer explicitement sur les projets lunaires de son prédécesseur. Le nouveau président américain, soucieux de forger un véritable multilatéralisme, pourrait s'inquiéter de voir des alliés majeurs comme la France et l'Allemagne rester assez indifférents à ces accords. La valeur qu'il accorde à l'attitude de ses alliés pourrait décider du sort des accords Artemis. Si les grandes puissances européennes n'acceptent pas que l'espace devienne un far-west où les États-Unis feront littéralement la loi, il est donc temps de le faire savoir. Il est urgent pour elles d'exprimer leurs craintes et objections – et de prendre part à une grande consultation sur l'avenir de l'exploration spatiale, qu'elle soit scientifique ou touristique, et de l'exploitation des ressources qu'on y découvrira.