Semi-conducteurs : les entreprises américaines réduisent encore leur dépendance à la Chine
Entamé depuis quelques années, le découplage entre les Etats-Unis et la Chine sur les semi-conducteurs s'accélère et n'est pas près de s'inverser avec le retour de Donald Trump.
La Chine bientôt totalement éjectée de la chaîne de valeur des entreprises américaines des semi-conducteurs ? C'est du moins l'objectif que semble viser l'industrie des puces américaines. Applied Materials et Lam Research, deux entreprises de la Silicon Valley spécialisées dans les équipements nécessaires à la fabrication des semi-conducteurs, qui occupent toutes deux une position importante sur le marché mondial, ont en effet demandé à leurs fournisseurs de se procurer certains composants qu'ils obtiennent actuellement en Chine via d'autres pays. En cas de refus, ils pourraient perdre leur marché.
Veeco, une entreprise de New York qui fabrique des processeurs pour l'industrie des semi-conducteurs, a elle aussi demandé à ses fournisseurs de cesser totalement de s'approvisionner en Chine d'ici la fin 2025. Ces entreprises ont en outre requis de leurs fournisseurs qu'ils se privent d'investisseurs et actionnaires chinois.
Découplage à tous les étages
Ces décisions semblent émaner des entreprises elles-mêmes, soucieuses de renforcer la résilience de leur chaîne de valeur alors que les tensions entre les Etats-Unis et la Chine sont au plus haut. Mais le gouvernement américain s'efforce par ailleurs depuis plusieurs années de découpler de manière volontariste son industrie des semi-conducteurs de celle de la Chine. Une stratégie en rupture totale par rapport aux tendances de fonds des décennies précédentes.
Au cours des trente dernières années, la production de semi-conducteurs s'est, en effet, largement internationalisée : les matières premières sont sourcées dans le monde entier et raffinées en Chine. La propriété intellectuelle est surtout l'apanage de sociétés américaines et européennes. La production des puces, elle, a largement été délocalisée en Asie du Sud-Est, et tout particulièrement à Taïwan pour les puces les plus avancées, celles de l'IA, des smartphones et des ordinateurs. Enfin, les tests et le packaging, deux activités à faible valeur ajoutée et intensives en main d'œuvre, sont largement effectuées en Chine. Ainsi, alors qu'ils produisaient 37% des semi-conducteurs mondiaux en 1990, les Etats-Unis n'en fabriquent désormais plus que 10%. Sur le packaging, leur part de marché est estimée à 3%, selon IPC, un groupe industriel.
Des minerais au packaging
Echaudés par la pénurie de semi-conducteurs qui a eu lieu pendant le Covid, et de plus en plus méfiants vis-à-vis de la Chine, les Etats-Unis cherchent désormais à émanciper leur industrie des semi-conducteurs de celle-ci, en remontant l'intégralité de la chaîne de valeur, à commencer par les matières premières. Ils cherchent ainsi à s'implanter en Afrique pour s'y approvisionner en minerais stratégiques, avant d'effectuer eux-mêmes le raffinage grâce à la construction d'usines au Texas. La société australienne Lynas a reçu 120 millions de dollars du Pentagone dans cette optique, tandis que le canadien Chemical Vapor Metal Refining va débourser 1,5 milliard de dollars de sa poche pour construire une raffinerie à Amarillo.
En juillet, l'administration Biden a également annoncé l'investissement de 1,6 milliard de dollars dans le développement d'activités de packaging aux Etats-Unis. Cette somme doit être attribuée dans le cadre du CHIPS Act, un plan d'investissement de 52 milliards de dollars mis en place par Joe Biden afin de renforcer la souveraineté américaine sur les puces, notamment en produisent davantage aux Etats-Unis. Au total, le Département du Commerce prévoit de dépenser 3 milliards de dollars dans un National Advanced Packaging Manufacturing Program, visant à développer la recherche et les activités de packaging sur le sol américain. Resonac, une entreprise basée à Tokyo, a également annoncé cet été la mise en place d'un consortium composé d'industries américaines et japonaises, afin d'implanter des activités de packaging en Californie.
Accélération avec Trump
Les efforts pour dissocier définitivement l'industrie américaine des semi-conducteurs de son homologue chinoise ont toutes les chances de se poursuivre et même de s'accélérer avec la réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche. Connu pour sa rhétorique véhémente contre la Chine, le candidat républicain avait durant son premier mandat adopté plusieurs mesures de découplages visant à couper l'accès des professionnels chinois des semi-conducteurs à la technologie américaine.
Tout a commencé en 2017, lorsque Trump a bloqué l'acquisition de Lattice Semiconductors, un fabricant américain, par une entreprise chinoise, citant des risques pour la sécurité nationale. En 2019, le Département du Commerce a en outre interdit à Huawei d'acheter des composants auprès des entreprises américaines en l'absence d'une autorisation gouvernementale. En mai 2020, ces restrictions ont été renforcées pour contraindre tous les fabricants étrangers utilisant des composants ou des logiciels américains à obtenir une autorisation spéciale afin de concevoir ou produire des semi-conducteurs pour Huawei. L'administration Trump a ensuite également placé SMIC, plus gros producteur de semi-conducteurs chinois, sur liste noire, aux côtés de Huawei. Durant sa campagne, il a promis la mise en place de nouveaux tarifs douaniers contre la Chine, y compris autour des semi-conducteurs. Le découplage est donc plus que jamais à l'ordre du jour.