Le civic crowdfunding, nouvel outil des villes fauchées

Le civic crowdfunding, nouvel outil des villes fauchées Aux Etats-Unis, les mairies sollicitent les citoyens via des plateformes web pour financer des projets. Arme anti-crise ou "démocratie à la carte" ?

Kansas City a pu financer un programme semblable à Vélib en récoltant 420 000 dollars via Neighbor.ly

Ils en avaient assez de ranger leurs bécanes rutilantes dans un parc à vélos délabré des années 60. Alors les lycéens de la ville d'Eugene, dans l'Oregon (Etats-Unis), ont décidé de prendre les choses en main. L'établissement ne dispose pas des 4 000 dollars nécessaires à la rénovation ? Qu'importe, ils récolteront l'argent eux-mêmes.

Mais ne les imaginez pas laver les parebrises aux feux rouges ou porter les courses des vieilles dames. Non, à l'ère digitale, c'est au crowdfunding, que l'on a recours. Littéralement, la levée de fonds par la foule. Concrètement, un appel aux dons des internautes.

jordan raynor, co fondateur de la plateforme citizinvestor
Jordan Raynor, co-fondateur de la plateforme CitizInvestor. © JR

"En trois jours, ils ont obtenu la somme nécessaire pour le nouveau parking", se souvient Jordan Raynor, co-fondateur de la plateforme CitizInvestor, un des acteurs de cette nouvelle tendance aux Etats-Unis qu'est le civic crowdfunding. Une tendance qui se développe au fur et à mesure que les caisses des municipalités se vident et que les coupes budgétaires se multiplient. Ce sont les services municipaux eux-mêmes qui y ont recours.

"Les citoyens sont prêts à payer des impôts supplémentaires pour des projets spécifiques qu'ils désirent tout de suite, explique Jordan Raynor. Cela permet de réaliser des initiatives qui ne constituent pas la priorité des municipalités comme, par exemple, la rénovation de piscines ou la création de petits parcs. Nous travaillons avec les municipalités pour identifier les projets qui sont prêts à être réalisés, ceux où il ne manque que le financement, détaille Jordan Raynor. Les particuliers qui contribuent ne risquent pas de dépenser leur argent en pure perte car leur carte de crédit n'est débitée qu'une fois tous les fonds récoltés."

Des exemples ? Kansas City, dans le Missouri, a pu financer un programme semblable à Vélib en récoltant 420 000 dollars via le site Neighbor.ly. Le service des parcs et loisirs de Philadelphie a, lui, récolté 2 163 dollars de la part de 50 donateurs sur CitizInvestor pour créer un espace jardinage destiné aux écoliers d'un quartier pauvre de la ville.

Le développement du civic crowdfunding pose de nombreuses questions quant au rôle du rôle de l'Etat et de l'égalité de ses citoyens, l'argent supplantant le vote...

Le citoyen lambda peut également impulser la mise en œuvre d'un projet à utilité publique. "Après examen de la proposition, nous publions une pétition sur le site, continue Jordan Raynor. Si elle atteint l'objectif fixé du nombre de signataires, nous la dirigeons vers les interlocuteurs adéquats au sein de la mairie. Si celle-ci approuve, on organise la récolte de fonds sur le site." La plateforme se rémunère en prélevant 5% des sommes levées.

Depuis sa création en septembre 2012, le site a financé neuf opérations avec succès. La donation moyenne se situe autour de 45 dollars. Les investisseurs sont dans la grande majorité des particuliers et des petits commerces. Parfois, les donateurs ne se cantonnent pas à la ville concernée. "Par exemple, 40% des investissements pour le jardin de Philadelphie proviennent du reste du pays", assure le créateur de CitizInvestor.

Un succès apparent, donc, mais le développement de cette méthode pose de nombreuses questions quant au rôle de l'Etat et de l'égalité de ses citoyens, l'argent supplantant le vote... Le Boston Globe n'hésite pas à parler de "démocratie à la carte". Dans The Economist, le créateur d'un site de civic crowdfunding définit d'ailleurs ce dernier par YIMBY, pour Yes In My Back Yard (oui chez moi).

"En montrant aux citoyens combien d'argent ils ont dépensé pour un projet, vous rendez le gouvernement plus responsable"

Ne risque-t-on pas de se retrouver avec des municipalités évoluant à deux vitesses ? Les quartiers favorisés d'une ville ne seront-ils pas encore plus avantagés par rapports aux plus pauvres ? Les pouvoirs locaux ne se déchargeront-ils pas de leur mission à terme ?

"D'ici cinq ans, si CitizInvestor bénéficie uniquement aux quartiers riches, alors il y aura davantage de ressources pour les quartiers défavorisés, défend au contraire Jordan Raynor. Aujourd'hui, qui décide quelles piscines seront rénovées ? Jusqu'à présent, ce processus n'a jamais été très transparent. En montrant aux citoyens combien d'argent ils ont dépensé pour un projet, vous rendez le gouvernement plus responsable. Nous pensons que c'est un brin plus démocratique."

CitizInvestor est aujourd'hui en contact avec 75 villes aux Etats-Unis intéressées par ce nouveau mécanisme de financement. La Maison Blanche a même reçu au début du mois les acteurs principaux de crowdfunding. "Ils sont intrigués mais les projets fédéraux ne sont pas pour tout de suite."