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En pleine récession, les Pays-Bas n’ont guère de marge en matière budgétaire.

L’économie néerlandaise est en pleine récession. Cependant, l’ouverture de l’économie et les exigences européennes en matière d’assainissement des finances publiques limitent le potentiel de relance budgétaire.

  Le gouvernement prévoit EUR 6 mds de coupes budgétaires supplémentaires pour 2014, ce qui n’empêchera pas le déficit public de dépasser 3 % du PIB en 2014.

  L’économie devrait se redresser légèrement en 2014 à la faveur du rebond des investissements privés et du renforcement des échanges mondiaux.

Synthèse des prévisions

Variations annuelles, vol,  %

2012 2013e 2014e
PIB -1,2 -1,2 0,5

Consommation privée

-1,6 -2,2 -0,9

Consommation publique

-0,7 -0,9 -0,3

Investissement fixe

-4,0 -8,8 3,1
Exportations 3,2 1,2 3,6
Importations 3,3 -0,5 3,4

Exportations nettes (contribution)

0,2 1,3 0,6

Inflation, chômage

Variations annuelles, %

2012 2013e 2014e
Prix à la consommation 2,5 2,6 1,9

Prix hors alimentation et énergie

2,2 2,5 1,6

Taux de chômage - niveau, %

5,3 7,0 7,6

Comptes extérieurs et publics

% PIB

2012 2013e 2014e
Balance courante 10,1 11,0 11,3

Solde des Adm. Publiques

-4,1 -3,4 -3,5

Dette publique

71,3 75,0 76,5

Source : BNP Paribas

     
  Sous-performance PIB, 2008=100   



Source : Eurostat


Le 17 septembre 2013, le ministre des Finances Jeroen Dijsselbloem (Parti travailliste, PvdA) a présenté le projet de budget pour 2014. Outre les EUR 16 mds de réduction des dépenses déjà décidées pour la période 2013-2017, le gouvernement prévoit EUR 6 mds de coupes budgétaires supplémentaires pour tenir ses engagements en matière d’assainissement des finances publiques. Pour autant, cela ne suffira pas, de l’aveu même des autorités, à ramener le déficit budgétaire en dessous de la barre de 3 % du PIB. Le budget ainsi présenté est le résultat d’un délicat compromis entre, d’une part, les craintes d’aggravation de la situation économique sous l’effet des mesures d’austérité et, d’autre part, les exigences de la Commission européenne.

Une récession de bilan


L’économie néerlandaise ne s’est jamais remise de la crise mondiale de 2008-09. Depuis 2008, elle a en effet connu trois récessions. Au deuxième trimestre 2013, l’activité était inférieure de 4,3 % à son niveau du premier trimestre 2008, un résultat bien pire que dans les pays voisins (Graphique 1). De plus, le chômage a plus que doublé, passant à 6,6 % de la population active depuis le début de la crise.

 

Ces mauvaises performances économiques sont étroitement liées à la situation sur le marché immobilier[1]. Les prix du logement n’ont cessé de reculer depuis le milieu de 2008 et se situent actuellement 20 % sous leur point haut. De plus, avec la baisse des taux d’intérêt, les ménages pourront moins compter sur le les plans d’épargne à long terme, contractés pour rembourser leur dette hypothécaire au-delà de 30 ans. Ils ont d’ailleurs commencé à resserrer les cordons de la bourse pour aligner leur dette hypothécaire sur la valeur des logements. La consommation est en berne depuis 2009, à l’exception d’un léger rebond de 0,3 % en 2010. Néanmoins, le taux d’endettement des ménages continue à progresser en raison de la baisse des revenus disponibles.

Les entreprises ont été confrontées non seulement à une baisse de la demande intérieure, mais aussi à la morosité des échanges internationaux. Les exportations, qui représentent environ 80 % du PIB, ont été sérieusement ébranlées à la suite de la faillite de Lehman Brothers. Le secteur de la construction est l’un de ceux qui ont été le plus durement touchés sous l’effet conjugué de la crise du marché du logement et du repli de la demande dans le bâtiment commercial. Sur les 12 mois se terminant en juillet 2013, la valeur ajoutée dans ce secteur a été inférieure d’environ 20 % à celle de 2007. En grande partie au travers des mesures de réduction des coûts, les sociétés non financières ont réussi à réduire leur endettement dans les années passées (Graphique 2).

 

On appelle « récession de bilan » une récession liée au désendettement des ménages et des entreprises[2]. Pour éviter de sombrer dans la dépression, la réponse logique est la mise en œuvre d’une politique budgétaire expansionniste. Les Pays-Bas, à l’instar des autres pays industrialisés, ont de fait introduit un programme de relance, en laissant notamment agir les stabilisateurs budgétaires automatiques, à savoir l’accroissement des prestations de chômage et l’absence de compensation de la baisse des recettes fiscales par des coupes budgétaires. Mais les pays industrialisés ont ainsi pu éviter une dépression comparable à celle des années 1930. Ce fut aussi au prix d’une détérioration des finances publiques. Aux Pays-Bas, le déficit budgétaire s’est creusé à plus de 5 % du PIB en 2009 et 2010. De surcroît, la dette du secteur public a augmenté, passant à 63,4 % en 2010 contre 45,3 % en 2007.

 

Avant même que les économies européennes ne renouent avec un sentier de croissance durable, les dirigeants européens ont décidé, face à la crise de la dette dans certains pays de la zone euro, de changer de cap. Conformément aux exigences du Pacte de stabilité et de croissance, les déficits publics doivent être jugulés. Les Pays-Bas étaient censés ramener le déficit à 3 % du PIB dès 2013, un délai qui a ensuite été reporté jusqu’en 2014.

 

Dans la pratique, les politiques d’austérité budgétaire n’ont pas eu l’effet escompté aux Pays-Bas, notamment parce que d’autres pays européens s’étaient engagés dans la même voie. En avril 2012, devant un soutien insuffisant à l’adoption de nouvelles mesures, le gouvernement minoritaire des libéraux conservateurs (VVD) et des chrétiens-démocrates (CDA) a donné sa démission. Des élections anticipées ont donc été organisées en septembre 2012.

 

La nouvelle coalition entre le VVD et le PvdA, emmenée par le Premier ministre sortant Mark Rutte (VVD), a adopté un programme de réduction des dépenses de EUR 16 mds pour la période 2013-2017. Mais ce programme s’est rapidement avéré insuffisant pour tenir l’objectif de réduction des déficits. En mars, le gouvernement a proposé de nouvelles coupes budgétaires pour un montant de EUR 6 mds, un plan qu’il ne devait pas tarder à retirer en échange d’un accord entre les partenaires sociaux – organisations patronales et syndicales –  sur une réforme du marché du travail.


Le budget 2014

Dans la période précédant la présentation du projet de budget, le gouvernement a été pris entre deux feux. D’un côté, les partenaires sociaux qui le pressaient d’introduire plus de détente budgétaire malgré l’efficacité limitée d’une telle politique du fait de l’ouverture de l’économie. De l’autre, la Commission européenne, qui réclamait plus d’austérité pour respecter les objectifs fixés en matière d’assainissement budgétaire.

 

Le gouvernement a donc remis sur la table la réduction de EUR 6 mds des dépenses publiques. Outre les mesures d’économies précédentes, le plan d’austérité pour 2014 s’élève à EUR 12 mds. Au chapitre des dépenses, les principales mesures portent sur le gel des salaires dans la fonction publique (EUR 0,75 md) et la suspension de l’indexation des dépenses publiques à l’inflation. Cependant, juste avant la présentation du budget, le gouvernement, les employeurs du secteur de l’enseignement et les syndicats se sont mis d’accord sur le relèvement progressif de l’âge de départ à la retraite pour le régime complémentaire du secteur public à 67 ans, et ce dès 2014. De quoi abaisser les cotisations de retraite pour les fonctionnaires, de 25,4 % à 21,6 % et améliorer le pouvoir d’achat de ce groupe d’environ 2 %.

Les sociétés sont moins endettées Dette des ménages (% revenu disponible, e.d.)

Ratio d’endettement sur capitaux propres des sociétés non fin.

 

   

  

Graphique 2 Source : Bureau central des statistiques

Les taxes et cotisations sociales seront augmentées de EUR 8 mds, dont EUR 3 mds au titre du nouveau programme. Les ménages devront acquitter près de EUR 6 mds d’impôts supplémentaires. Cette hausse tient essentiellement à la modification de l’imposition des indemnités de licenciement (EUR 2 mds), à une augmentation de la taxe sur les hauts revenus lorsque ceux qui les perçoivent occupent des logements sociaux (EUR 1 md), à la non-indexation des tranches d’imposition (EUR 1 md) et à la décote générale d’impôt pour les hauts revenus (EUR 1,25 md). Par ailleurs, les bas revenus bénéficieront d’un accroissement de la prime d’emploi (EUR 2 mds).

 

Pour les entreprises, la principale mesure concerne l’application d’une taxe supplémentaire pour les banques (EUR 1 md), annoncée lors de la nationalisation de SNS REAAL en février 2013. Par ailleurs, la taxe temporaire applicable aux hauts revenus (supérieurs à EUR 150 000) et versée par les employeurs sera prolongée en 2014 (EUR 0,5 md).

 

Le gouvernement a pris quelques mesures pour stimuler l’économie comme l’amortissement accéléré des investissements de remplacement ou d’expansion. Il a, par ailleurs, annoncé la création de l’Institut néerlandais des investissements (NII) en coopération avec les fonds de pension, les compagnies d’assurance et les banques. Cet institut sera chargé de promouvoir l’investissement dans les secteurs de la santé, de l’énergie, des infrastructures, du logement et de l’éducation afin de remédier aux défaillances du marché dans ces domaines. Il devrait également englober le futur Institut néerlandais des hypothèques (NHI), qui vise à associer davantage les fonds de pension aux opérations sur titres adossés à des prêts hypothécaires garantis par l’État. Le FMI dénonce déjà ce plan au motif qu’il risque de créer des distorsions supplémentaires sur le marché du logement. Selon lui, l’Etat ne devrait pas assumer d’autres engagements conditionnels. Il souligne que les fonds de pension doivent être gérés séparément et n’ont pas besoin d’incitations supplémentaires pour investir dans le secteur du logement. La Commission européenne se penche actuellement sur ce projet afin de déterminer s’il constitue ou non une aide publique déguisée au secteur.

Une reprise timide

Selon nos prévisions, l’économie devrait se contracter de 1,2 % en 2013 et croître modestement de 0,5 % en 2014. La consommation privée continuera probablement à être un frein pour la croissance ; elle pourrait reculer de près de 1 % en 2014. Suite aux plans adoptés par le gouvernement, le pouvoir d’achat du contribuable moyen ne diminuera que de 0,25 % en 2014. Pour les retraités, la baisse du revenu réel pourrait avoisiner 1,5 %. Par ailleurs, la détérioration du marché du travail – le chômage pourrait grimper à 7,6 % en 2014 contre 7 % en 2013 – continuera à freiner les dépenses. Rappelons aussi que les ménages ont accru leur effort d’épargne pour aligner leur dette hypothécaire sur la valeur de leurs biens. Environ 25 % des détenteurs de crédits immobiliers sont « sous l’eau » (l’encours de dette hypothécaire est supérieur à la valeur du bien sur laquelle elle est adossée). Quels que soient les signes de stabilisation observés sur le marché du logement, le processus de désendettement va probablement se poursuivre.

 

Mais tout ne va pas si mal. Ainsi, la confiance des industriels est orientée à la hausse depuis le mois de mai. En particulier, les anticipations de production et les commandes se sont redressées. De plus, grâce à la modération salariale, de nombreuses entreprises déclarent avoir gagné en compétitivité sur le marché national comme à l’international. Selon nos prévisions, les investissements devraient rebondir d’environ 3 % en 2014 après la forte décrue enregistrée cette année (-8,8 %), là aussi grâce à l’amélioration notable de la situation financière des entreprises. Le ratio de dette sur capitaux propres a reculé à 83,6 en 2012 contre 117,5 en 2008.

 

Le crédit bancaire reste, néanmoins, un problème majeur pour les sociétés non financières. On observe une quasi-stagnation des prêts bancaires aux sociétés non financières, en raison notamment de la chute de la demande de la part de ces dernières (Graphique 3). De plus, en plein processus de renforcement de leurs fonds propres, les établissements de crédit ont durci les conditions d’octroi de prêts. En 2012, le ratio des actifs pondérés du risque sur les fonds propres « Tier 1 » s’élevait à 12,1 % contre 10 % environ avant la crise financière. Dans la dernière enquête sur le crédit bancaire, les banques ont indiqué qu’elles envisageaient d’assouplir les critères d’octroi du crédit aux petites et moyennes entreprises au troisième trimestre.


Les prêts bancaires stagnent
  %, en glissement annuel   

  Ménages  Sociétés non financières

Graphique 3 Source : De Nederlandsche Bank

Autre facteur d’optimisme : le commerce extérieur. Avec l’amélioration des échanges mondiaux, les exportations vont probablement repartir à la hausse. A cela s’ajoutent des gains de productivité et un mix favorable en termes de destinations géographiques (Allemagne) de sorte que la croissance des exportations devrait accélérer à 3,6 % en 2014.


La croissance sera trop limitée en 2014 pour conduire à une nette résorption du déficit public. Les autorités néerlandaises elles-mêmes reconnaissent que la réduction supplémentaire des dépenses publiques de EUR 6 mds ne sera pas suffisante pour ramener le déficit en dessous du plafond de 3 % du PIB, comme l’exigent les autorités européennes. D’un point de vue politique, d’autres coupes budgétaires ne sont pas cependant pas réalistes. En effet, le gouvernement n’a pas la majorité au Sénat, où il dépend du soutien des chrétiens-démocrates. Ces derniers ont déjà indiqué qu’ils pourraient aider le gouvernement à faire adopter le budget. Par ailleurs, Jeroen Dijsselbloem, ministre des Finances, mais aussi président de l’Eurogroupe, a également bon espoir de voir la proposition actuelle avalisée par le Commissaire européen Olli Rehn.

 
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[1] Voir Raymond Van der Putten, 2013, « Pays-Bas : remise en ordre du marché immobilier résidentiel », Conjoncture, BNP Paribas, juillet-août.

[2] Voir, par exemple Richard Koo, 2008, “The Holy Grail of Macroeconomics: Lessons from Japan’s Great Recession”, Wiley (Asie).