L'entreprise à mission : tendance pérenne ou effet de manche ?

Devenir entreprise à mission implique notamment de mobiliser les collaborateurs autour d'objectifs différents de ceux qui leur étaient traditionnellement assignés.

Formellement apparu en France avec la loi Pacte du 16 mai 2019, le statut d'entreprise à mission introduit la notion d'un intérêt social de l'entreprise qui dépasse le strict intérêt financier des actionnaires. Il sous-tend ainsi une responsabilité des entreprises dans l'évolution du monde, lesquelles se dotent d'une raison d'être pour assurer une mission d'intérêt général.

Les assureurs, des entreprises naturellement solidaires

Les sociétés d’assurance apparaissent bien placées pour adopter un tel statut d’entreprise à mission. Elles portent en effet dans leur ADN les notions d’entraide et de solidarité qui se situent au cœur du principe même de l’assurance : recevoir grâce aux primes de l’ensemble des assurés une indemnisation en cas de sinistre, ce qui permet la mutualisation des risques. S’assurer, c’est donc se protéger, mais aussi garantir par ses cotisations la protection des victimes et faire acte de solidarité. Côté opérationnel, si les assureurs ont besoin de vision dans un monde peuplé de risques, ceux-ci doivent être suffisamment prévisibles et évaluables pour déterminer un équilibre économique acceptable entre l’assurance et l’indemnisation. Or les conséquences du dérèglement climatique ou de troubles sociaux constituent des dangers aux conséquences inestimables. Pour un assureur, se saisir d’une mission sociale ou environnementale dans le cadre de son activité relève tant de l‘élan philanthropique que du besoin d’évoluer dans un monde propice au développement de leur activité.

Un statut qui suppose des choix contraignants

Toutefois, dans l’assurance comme pour les autres secteurs d’activité, adopter un tel statut n’a rien d’anodin. En réalité, il est préférable qu’il soit le fruit d’un processus réfléchi que le résultat d’une décision abrupte. La prise en compte des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) doit se faire à tous les niveaux, en amont du changement statutaire. Elle implique une profonde revue des différents process et l’élaboration d’une véritable culture d’entreprise autour de la raison d’être. Cet engagement peut amener l’assureur à renoncer à certains marchés, quand bien même seraient-ils lucratifs. Une société d’assurance s’impliquant dans la lutte contre le réchauffement climatique peut-elle garantir les risques d’entreprises polluantes ? Axa s’est ainsi engagé à sortir des activités liées au charbon d’ici 2030. De multiples conflits éthiques de cette nature-là peuvent se poser. La réponse n’est pas forcément binaire, l’entreprise à mission peut aussi œuvrer pour convaincre ses clients de prendre des mesures adaptées, mais le simple fait de poser la question témoigne d’un vrai bouleversement.

Faire preuve de cohérence à tous niveaux

Devenir entreprise à mission implique aussi de mobiliser les collaborateurs autour d’objectifs différents de ceux qui leur étaient traditionnellement assignés. Ceci suppose une forme de management en résonnance avec sa raison d’être. Difficile de promouvoir la tolérance et l’harmonie si en interne l’entreprise fonctionne sur un mode autoritaire et vertical. L’entreprise à mission doit favoriser l’horizontalité, l’autonomie des salariés, l’écoute et le sens du dialogue. Côté opérationnel, mieux vaut éviter la sous-traitance justifiée pour des raisons purement financières. Les prestataires, les sous-traitants et tout l’écosystème de l’entreprise doivent fonctionner au diapason d’une raison d’être qui se veut noble et désintéressée. Pour ne pas se cantonner à une simple opération de communication, qui pourrait d’ailleurs être sanctionnée par les procédures de contrôle prévues dans la loi, l’entreprise doit revoir ses pratiques les moins vertueuses. En retour, elle peut bénéficier d’une véritable motivation des équipes, soudées autour d’objectifs ambitieux. Au-delà de l’image valorisante, l’entreprise à mission donne un sens au travail des collaborateurs et gagne en productivité comme en cohésion. Un juste retour des choses.  

L’exemple de la MAIF, premier assureur à mission française

L’exemple de la MAIF, première compagnie d’assurance à avoir adopté le statut d’entreprise à mission, présente d’intéressants enseignements. L’entreprise a entrepris de longue date des efforts multiples pour répondre avant l’heure aux exigences de son changement statutaire, notamment en matière environnementale : attention sur l’énergie consommée, sur la production de déchets, développement d’une véritable filière de la pièce détachée d’occasion automobile. S’agissant des placements financiers, la MAIF oriente l’épargne vers des fonds estampillés ESG ou le financement de projets écoresponsables. Une politique très ferme est également engagée dans la gestion des données numériques, avec un effort de transparence et de sécurité très poussé. Enfin la société cultive un management de la confiance, avec un biais marqué sur la primauté du collectif, et un écart des rémunérations resserré. Pour la MAIF, le changement statutaire vient consacrer une politique sociale et environnementale constitutive de son identité.

Un statut qui deviendra la norme ?

Il semble probable que d’autres compagnies d’assurance adoptent dans un proche avenir le statut d’entreprise à mission. Pour autant, il reste peu certain qu’il s’impose comme une norme absolue. La décision d’Aéma (groupe issu du rapprochement de la Macif et d’Aésio) de ne pas adopter ce statut apparait révélatrice. Se considérant naturellement comme une entreprise à mission, l’assureur a formalisé sa Raison d’être sans pour autant ressentir la nécessité de s’inscrire dans le cadre formel de la loi Pacte. Il faut en effet souligner que le respect de critères ESG sévères peut parfaitement se faire dans un cadre juridique traditionnel. Par ailleurs il s’agit d’une forme juridique adoptée sur la base du volontariat, et qui suppose un consensus non seulement des dirigeants, mais aussi des salariés, des actionnaires ou des sociétaires, sans oublier les tiers que représentent les clients et les fournisseurs. A ce titre, une société mutualiste présente un profil sans doute mieux adapté pour se diriger vers cette forme sociale. Au-delà des convictions des dirigeants, la pression des collaborateurs, mais aussi maintenant des investisseurs et des clients, plaide pour la définition de normes ESG toujours plus ambitieuses. Quel que soit le cadre choisi. Il en va de l’intérêt bien compris des assureurs, comme de celui de l’ensemble de la société.