L'hôpital numérique du futur existe déjà

L'hôpital du futur existe déjà, non pas d'une manière unifiée, mais virtuellement, dans les milliers d'établissements hospitaliers qui composent le paysage sanitaire français.

Lorsqu’en 1993, le Commissariat Général du Plan a sollicité quelques experts pour écrire un rapport de prospective sur le système de santé à l’horizon 2010, notre première réunion a consisté en une relecture du précédent rapport, rédigé en 1971, ce qui nous amené à beaucoup d’humilité sur la fiabilité des exercices de prédiction.

Parler en 2021 de l’hôpital du futur relève de la même difficulté. Pour éviter de tomber dans les travers habituels de la prospective fumeuse, il nous faut partir de trois constats :

  •  Le changement à l’hôpital est continu mais lent. Selon toute probabilité, l’hôpital de 2030 ressemblera beaucoup, en moins en apparence, à celui de 2021.
  •  Il existe dès aujourd’hui de nombreuses innovations majeures, qui sont déployées de manière parcellaire dans certains hôpitaux, et dont le développement constituera l’ossature des SI du futur.
  •  Les crises, et notamment celles que nous vivons, sont des facteurs d’amplification des ruptures technologiques.

A partir de ces trois constats, on peut sans crainte affirmer que l’hôpital du futur existe déjà, non d’une manière unifiée, mais virtuellement, dans les milliers d’établissements hospitaliers qui composent le paysage sanitaire français.

Un hôpital du futur encore plus numérique

Le système d’information d’un hôpital peut être comparé à un SI de production. Dans un hôpital, on produit du soin. Les SI hospitaliers sont donc conçus pour enregistrer et transmettre des informations administratives et médicales entre les acteurs de l’hôpital du début à la fin du séjour. Pour cela, la très grande majorité des hôpitaux disposent désormais d’un dossier patient informatisé (DPI) mais ce terme recouvre cependant des réalités très diverses. Aucun éditeur ne couvre plus de 50% des besoins. Un SIH est donc une mosaïque d’applications plus ou moins interopérables. On compte jusqu’à 300 applications différentes dans un hôpital, avec parfois jusqu’à 20 systèmes d’exploitation différents.

Au-delà des enjeux de sécurité sur lesquels nous reviendrons dans un moment, cela pose le problème majeur de la continuité de l’information. Par exemple, de très nombreux hôpitaux ne disposent pas encore d’une prescription connectée multimodale (biologie, imagerie, soins infirmiers, médicaments, autres soins), qui est pourtant un réel facteur d’efficacité et de sécurité. Les données sont alors parfois ressaisies manuellement avec des risques non négligeables d’erreur.

Pourtant, ces solutions existent et peuvent être intégrées avec les outils existants. La prescription médicamenteuse peut être saisie dans le DPI, vérifiée en temps réel à l’aide d’outils d’aide à la décision, transmise de manière détaillée au personnel soignant. Les médicaments peuvent être préparés par des robots dans la pharmacie de l’établissement, amenés jusqu’au lit du patient par des tortues mécaniques, pour être dispensés par les infirmières avec un retour d’information en temps réel. Un tel système est incomparablement plus sur qu’une prescription papier ou pire, une prescription téléphonique.

De même, les urgences, le bloc ou l’anesthésie sont souvent gérées dans des solutions séparées, privant par exemple les urgentistes de l’accès des antériorités du patient qui figure dans le DPI ou des constantes récupérées par les pompiers ou le SAMU. 

S’appuyant sur des financements publics importants et sur le développement continu de l’interopérabilité, il est certain que la partie "production de soins" du SI sera beaucoup intégrée en 2030 qu’elle ne l’est déjà.

Des outils d’aide à la décision

La contrepartie de l’intégration des SI est la croissance exponentielle des informations mises à disposition des soignants. En parallèle, les alternatives thérapeutiques sont de plus en plus nombreuses et complexes. Le développement de la médecine personnalisée s’accompagne nécessairement de la mise à disposition d’algorithmes d’aides à la décision. Pas une IA décidant à la place du médecin, mais bien des outils analysant les données disponibles et lui proposant des solutions de nature probabiliste.

Ces outils existent déjà à l’hôpital. Cela fait bientôt 20 ans que l’imagerie médicale, qui fût pionnière en la matière, utilise des outils d’aide à la décision. Ces outils se sont depuis diffusés dans de nombreuses spécialités médicales.

Même si leur usage reste encore marginal, ces solutions sont appelées à se développer rapidement dans les années qui viennent.

Un meilleur pilotage des workflows

L’une des difficultés majeures de la gestion hospitalière est la gestion des workflows. La prise en charge des patients relève à la fois de processus communs et d’une multitude d’ajustements individuels entre les acteurs.

Les contraintes de productivité qui pèsent sur chaque acteur sont parfois difficilement compatibles les unes avec les autres. On attend par exemple en même temps du radiologue qu’il soit surspécialisé (un expert dans tel domaine de la radiologie) et polyvalent (pour répondre aux attentes des cliniciens), ou qu’il soit concentré sur une vacation (pour des raisons de productivité) et en même temps disponible pour répondre sans délai aux demandes de ses collègues.

L’hôpital est fondé sur la gestion permanente de ce type de contradiction. Il est le lieu permanent d’une optimisation sous contrainte de la production de soins, optimisation faite par tâtonnements et ajustements. Car s’il s’agit bien d’une gestion de production de soins, chaque patient est unique.

Dans un tel contexte, le développement d’outils de gestion des workflows est inéluctable. Ces outils peuvent porter sur de nombreux thèmes, mais la condition ultime est qu’ils soient coordonnés. On peut par exemple parler de prédiction de flux aux urgences, qui doit s’interfacer avec la gestion prévisionnelle des lits, qui elle-même doit être interfacée avec la gestion du bloc opératoire et des salles de réveil mais aussi et surtout des plannings des soignants (médicaux et non-médicaux).

La contrainte sur la durée de séjour d’un patient (les hôpitaux sont payés sur la base d’un forfait calculé sur une durée moyenne de séjour) rend nécessaire de gérer pour chaque patient un retro-planning prenant en compte sa date de sortie prévisionnelle et d’organiser toutes les activités (biologie, imagerie, planification du bloc, etc.) en fonction de ce critère.

Là aussi, des solutions parcellaires existent déjà et sont déployées dans des établissements hospitaliers.

Un hôpital mobile, connecté et ouvert

Une des caractéristiques majeures de ces dernières années a été l’ouverture de l’hôpital. Dans la même logique que les workflows internes, l’articulation avec l’extérieur est critique. Depuis des années, on est capable de réserver un voyage de A à Z (billets d’avion, hôtel, locations de voiture, etc…) et jusqu’à une date récente, il fallait se présenter à l’entrée de l’hôpital au bureau des admissions, avec des documents qui étaient photocopiés…. L’utilisation des bornes, et désormais la préadmission (administrative et médicale) en ligne ont constitué des investissements importants en 2019 et 2020.

On pense également aux rendez-vous en ligne. Si leur usage est facile pour des RV isolés, il est beaucoup plus complexe pour la planification de tâches complexes (comme par l’hospitalisation de jour) mettant en œuvre plusieurs activités. L’intégration de ces solutions tierces avec les DPI pose le problème de l’interfaçage du moteur de planification, qui est au cœur du fonctionnement d’un DPI.

A l’autre extrémité de la chaine, le suivi du patient qui sort de l’hôpital (et plus largement du patient chronique) est également un enjeu essentiel. Le développement de la chirurgie ambulatoire par exemple passe non seulement par une meilleure organisation interne mais aussi par une interaction rapprochée avec le patient.

Cela suppose de rendre les outils hospitaliers plus mobiles et mieux connectés. Ceux-ci ne savent pas bien gérer aujourd’hui les objets connectés, a fortiori quand ceux-ci sont situés à l’extérieur du périmètre du SI hospitalier, quand un patient est par exemple chez lui en post-hospitalisation de court séjour ou en HAD. Par exemple, L’identification du patient hors des murs doit être renforcée afin d’éviter tout risque de collision dans le DPI.

La mobilité est également un enjeu important pour les soignants, qui ne sont pas toujours en face d’un ordinateur pour lire ou saisir des informations. En 2030, tous les logiciels de DPI seront full web et des versions mobiles seront disponibles. Elles le sont déjà pour une partie des processus. En revanche, il restera à régler des problématiques fonctionnelles comme la gestion des alertes.

Des données de soins utilisables pour la recherche clinique

Le SI hospitalier est conçu pour gérer les soins. C’est une source inestimable de données pour la recherche clinique, mais leur utilisation se heurte encore à de nombreuses difficultés. Les données ne sont pas toujours complètes, structurées, contextualisées.

Il n’est pas rare de voir des chercheurs créer des registres séparés, avec parfois des saisies manuelles de données, parce que leur DPI ne leur permet pas d’exporter ces données vers un SI recherche.

La création de datalakes va devenir très rapidement une obligatoire majeure pour cette activité. Cela va passer par l’usage "d’extracteurs" intelligents venant se greffer sur la production de soins.

Un hôpital numériquement plus sûr ?

Comme on l’a vu ces derniers temps, il s’agit là d’une question critique, qui doit désormais être au cœur de tout schéma directeur des futurs systèmes d’information hospitaliers. C’est d’autant plus vrai qu’un SIH est un système fragile, composé comme on l’a dit d’une mosaïque d’applications et de systèmes d’exploitation. Quasiment chacune d’entre elles constituent un point d’entrée pour des attaques.

Il n’existe pas de solution toute faite. L’idée de tout mettre dans le cloud n’est aujourd’hui pas envisageable car il reste de nombreuses applications qui ne sont implémentables en dehors de l’infrastructure physique du SIH.

Qui plus est, la majeure partie des attaques réussies sont passées par des défaillances organisationnelles (comme l’ouverture de pièces jointes dans des courriels). La nécessaire ouverture des SIH, notamment par la mobilité et les objets connectés, va multiplier les points d’entrée et les risques d’attaques.

Il est donc nécessaire de travailler efficacement en parallèle sur la résilience des systèmes et l’adaptation des organisations.

Ce panorama est bien sur loin d’être complet. Il présente les tendances de fond qui vont animer les SI hospitaliers dans les 10 ans qui viennent et qui sont déjà présentes aujourd’hui de manière éparse dans le paysage hospitalier.

La crise sanitaire a non seulement été un énorme booster pour le développement du numérique. Sa concomitance avec le plan Hopen, visant à financer des applications fonctionnelles, et le plan MaSanté 2022, qui fonde l’urbanisation du système d’information de santé, permet d’espérer une adoption plus rapide que par le passé.

La prise de conscience brutale de l’importance des risques doit permettre de placer au cœur de la réflexion les problématiques de sécurité. Ceci pourrait conduire les hôpitaux à ralentir le déploiement des innovations dans les toutes prochaines années au profit d’une sécurisation accrue de l’existant.