Face aux dérives du numérique, comment accompagner les jeunes générations vers une conscience digitale ?

En 2022, les experts estimaient que l'exposition aux réseaux sociaux était associée à plus de 7 millions d'épisodes dépressifs chez les adolescents disposant d'un accès illimité aux écrans.

Le constat est alarmant et partagé par tous. En revanche, les différentes solutions et systèmes de “contrôle parental“ disponibles sur le marché n’apportent pas les résultats escomptés : le problème croît et impacte une génération entière à l’échelle mondiale, touchant chaque année plus de familles.

Le numérique, vecteur d’opportunités et d’écueils

Le monde numérique fait partie intégrante de notre vie moderne et il est complexe de définir quelle attitude adopter pour initier au mieux les plus jeunes à ces technologies omniprésentes.

Source d’émerveillement et de connaissances, le numérique - au travers des écrans sous leurs différentes formes - est substantiel dans le quotidien de nos enfants, mais constitue également une source de dangers face auxquels une majorité de parents est démunie. Prendre conscience des risques, savoir les identifier, accompagner enfants et adolescents en les responsabilisant plus qu’en ne les culpabilisant, il s’agit là d’un enjeu sociétal majeur !

Comme toute autre discipline, le numérique requiert un apprentissage, qui plus est, évolutif. Confrontés à l’ère numérique en constante mutation, les jeunes générations doivent être guidées au quotidien. À titre d’exemple, les nouvelles et extraordinaires capacités de l’Intelligence Artificielle sont ouvertes au grand public depuis à peine un an, et déjà omniprésentes. ChatGPT ou DALL-E offrent de multiples opportunités de créativité, de recherches, de réponses à une saine curiosité... Mais ces outils représentent également un enjeu réel sur l’apprentissage et le développement intellectuel des plus jeunes. Comment les préparer à cette immensité virtuelle ?

Peur et diabolisation n’ont jamais été des réponses !

La question ne réside pas dans la présence ou l’interdiction, mais dans l’apprentissage à l’usage de l’incontournable progrès – comme souvent dans l’Histoire. Car soyons clairs, ces outils sont extraordinaires, et leur évolution du domaine du prodigieux. Mais toute puissance doit être maîtrisée. L’OMS recommande de proscrire les écrans aux enfants jusqu’à 2 ans, puis de limiter à 1h par jour entre 2 et 5 ans. Une fois ces premiers âges passés, il serait illusoire - mais aussi fort dommage (et impossible…) - de priver enfants et adolescents des merveilles offertes par le numérique. Son approche doit simplement être adaptée à ces jeunes cerveaux et reposer sur la responsabilisation et l’accompagnement - et non sur la contrainte ou le punitif.

Nous apprenons à nos enfants à monter à vélo avec de petites-roues, puis en leur tenant les épaules, avant de les laisser se débrouiller seuls, en confiance, d’un côté comme de l’autre.

Pour guider, il faut savoir et comprendre. Initier les enfants à la technologie commence de fait par la connaissance parentale des applications, des plateformes et des réseaux massivement utilisés aujourd’hui. Cette connaissance est la seule origine possible d’un guide adapté, responsable, crédible et accepté comme tel - à même d’initier aux merveilleux de la technologie et d’en prévenir les dangers.

En quête de conscience digitale

L’éducation au numérique permet d’accompagner les enfants au fur et à mesure du développement de leurs capacités cognitives et de leur faculté de perception des risques. Les parents doivent montrer aux enfants comment les nouvelles technologies sont aussi et surtout des outils créatifs, éducatifs, sources d’information, de jeu, que sais-je ? Et non pas un simple objet de consommation.

Ils doivent aussi leur rappeler que le monde “réel“ existe toujours et qu’il est essentiel pour eux. Chatter avec un copain via une application n’est pas un mal en soi si cela ne dure pas trop longtemps - le téléphone et la parole sont plus rapides que le tapotage de clavier et évitent de se cacher derrière l’écrit. Interagir de visu reste une richesse. Les outils numériques permettent aux enfants et adolescents de stimuler leur imagination, d’élargir le champ de leurs compétences et connaissances, de se trouver confrontés à un mode d’apprentissage différent et de les aider à ressentir un sentiment d’accomplissement et, surtout, d’autonomie.

Mais, et ce sont les mots mêmes d’un adolescent, “Le temps ne passe plus sur les écrans, souvent on voudrait passer à autre chose mais on n’y arrive pas…” La clef réside dans un juste équilibre entre le monde réel et le monde digital. Lorsque l’on sait qu’un enfant/ado dispose d’à peu près 20 heures de temps libre par semaine (Hors heures d’école, de sommeil, de devoirs, etc.) ; passer ces 20 heures – et plus - devant un écran est une ineptie.

La consommation du numérique sous toutes ses formes par les nouvelles générations est astronomique. Dès 2 ans, les enfants des pays occidentaux cumulent chaque jour presque 3 heures d’écran. Entre 8 et 12 ans, ils passent à près de 4h45. Entre 13 et 18 ans, ils frôlent les 6h45[1]. Un enfant en maternelle passe plus de temps devant les écrans qu’en classe ; un écolier du CM passe chaque année l’équivalent de deux années scolaires devant les écrans ; et deux années et demie pour un lycéen…

C’est une situation d’urgence sanitaire à laquelle nous faisons face. L’objectif réside dans l’atteinte d’un niveau élevé de conscience digitale des nouvelles générations, celles qui construirons le monde de demain - afin d’atténuer et, si possible, éliminer les conséquences dramatiques liées à une utilisation inappropriée des outils digitaux.

Si la maîtrise du temps d’écran au travers d’un juste équilibre virtuel / réel est à même de régler les problèmes de troubles de développement, de concentration, de baisse de la masse musculaire ou de désocialisation ; l’apprentissage du discernement de ce que l’on fait, écrit, dit, entend et voit sur un écran est un autre impératif. Trop nombreuses sont les victimes de harcèlement : 24% des familles françaises sont touchées et 700 000 enfants y sont confrontés chaque année[2]. Les conséquences vont de l’anxiété - au suicide… L’éducation, comme toujours, est fondamentale – et par ailleurs la seule solution à l’apprentissage d’une éthique, d’une prudence numérique.

Savoir communiquer en ligne de manière sécurisée, vérifier les sources et ne jamais divulguer certaines informations ; avoir conscience que tout ce qui est posté est finalement “éternel“ et ineffaçable ; connaître l'impact d'un commentaire négatif ; considérer avec circonspection certaines prises de contact ; ne pas se balader sur n’importe quel site ou, tout simplement, faire n’importe quoi n’importe comment : tous ces facteurs, parmi bien d’autres, sont essentiels.

Le numérique est un pouvoir. Il ne faut pas en devenir victime, mais en profiter avec curiosité et maîtrise ; cette maîtrise autorisant la confiance, en deçà de limites apprises et comprises. Notre rôle à nous, parents, est d’accompagner nos enfants dans leur développement ; de leur apprendre à connaître leurs limites et celles des autres ; le respect de soi et de l’autre ; de se construire un sens critique mesuré et de les aider à forger leur propre bon sens.

La révolution digitale - aussi importante tous les grands marqueurs de l’Histoire - nous oblige à une nouvelle mission. Cette mission n’est pas simple - mais depuis quand est-il simple d’être parent ?

[1] “La fabrique du crétin digital“ - Michel Desmurget - 2020.

[2] Étude Association e-Enfance/3018 et Caisse d’Epargne - 2023 & Rapport d’Information du Sénat (N°843) - Harcèlement scolaire et cyberharcèlement – 2021.