Pour mieux construire, les villes passent (lentement) à la maquette 3D

Pour mieux construire, les villes passent (lentement) à la maquette 3D Plusieurs collectivités se sont dotées de modélisations en trois dimensions de leur territoire ou sont en train de le faire. Couplées aux données de la ville et du privé, ces plateformes permettent de simuler des aménagements.

Pour mieux gérer leurs territoires, les collectivités ont besoin de prendre de la hauteur. En France de nombreuses villes de tailles variées, comme Lyon, Brest, Paris ou Cannes, et même des régions comme l'Ile-de-France ont développé des modélisations 3D de leur territoire ou sont en train de le faire. A travers ces projets,  les collectivités ne cherchent pas à offrir une version publique de Google Maps en 3D, mais à se doter d'outils dans la planification urbaine, la gestion des flux, la réponse aux appels d'offre ou encore la gestion de risques.

Pour s'y mettre, une ville doit d'abord disposer d'une cartographie aérienne de son territoire. Et bien souvent, elle n'existe pas.  C'est par exemple le cas à Paris, qui est en train de développer sa maquette et table sur une livraison en 2019, explique Jean-Philippe Clément, chief data officier de la Mairie de Paris.  "Entre mai et août, des avions vont survoler la ville sous plusieurs angles avec un plafond de vol très bas – entre 400 et 600 mètres – car nous avons besoin d'une granularité jamais acquise à Paris. "

Du papier à la 3D

Une fois cette carte 3D acquise, il faut la remplir d'informations utiles. Une ville dispose des plans d'architectes de la plupart des bâtiments privés et publics de son territoire, puisque leur dépôt est obligatoire pour obtenir un permis de construire. Mais la plupart des plans sont en deux dimensions, et parfois encore en papier. Les villes doivent donc numériser ces plans d'architecte et les passer en trois dimensions, sous un format standard appelé BIM (Building information modeling), qui peut aussi contenir des informations sur les matériaux, le poids, la résistance ou la consommation du bâtiment. "Aujourd'hui, nous continuons à recevoir 90% de nos projets en deux dimensions", constate Cédric Jutteau, cofondateur et directeur des opérations de la start-up Realiz3d, qui crée et convertit des plans d'architecte en 3D et conçoit des maquettes 3D pour des grandes entreprises et des collectivités comme Paris-Saclay. Enfin, à cette carte et ces infos sur le bâti sont ajoutés tous les flux sur lesquels les villes possèdent des informations (ou qui sont disponibles en open data) : énergie, transports, réseau internet, qualité de l'air…

"Aujourd'hui, nous continuons à recevoir 90% de nos projets architecturaux en deux dimensions"

L'une des plus importantes applications des maquettes 3D est la construction. D'abord, les plans de bâtiments en relief permettent de construire plus vite en limitant les erreurs potentielles grâce à l'automatisation de certains procédés. "Par exemple, l'électricien élabore les schémas 3D de courant forts de l'immeuble et de l'autre côté, le constructeur intègre l'ossature du bâtiment. En assemblant ces deux plans, le logiciel sera capable de déterminer automatiquement les endroits où il faudra percer pour faire passer l'électricité, ou d'identifier des incohérences architecturales", détaille Cédric Jutteau. Autre intérêt de la maquette pour l'aménagement du territoire : visualiser les nouveaux projets de construction intégrés à la ville et anticiper leur impact sur un quartier, par exemple sur la circulation ou sur les infrastructures énergétiques. Un procédé qui peut aider une collectivité à choisir entre plusieurs projets concurrents dans le cadre d'un appel d'offres ou à arbitrer différents aménagements de voirie.

Anticiper les crises

Modéliser un territoire en trois dimensions aide aussi les collectivités en termes de gestion de crise. Par exemple à Cannes, une ville pionnière de la maquette 3D (elle a acquis son premier modèle en 2004, d'abord à des fins de communication, avant de se doter d'une version plus moderne en 2014). " Cannes doit lutter contre plusieurs risques naturels : inondation, submersion, incendies, séismes…", rappelle Yann Lecuyer, directeur adjoint des services de la ville. "Nous utilisons la plateforme lorsque nous subissons une crise ou en simulons une. Suivant le type de cours d'eau, nous pouvons simuler une montée d'eau homogène en fonction de la topographie, puis envoyer des alertes aux populations concernées. Et pendant une crise, nous pouvons géolocaliser sur la maquette nos équipes déployées ainsi que les incidents référencés."

Toute la difficulté de ces projets se situe dans l'acquisition de données : les villes doivent déjà les convertir au format 3D, mais aussi les maintenir à jour à mesure que de nouvelles constructions émergent. Pour leur faciliter la tâche, plusieurs pays comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou le Danemark ont rendu obligatoire l'utilisation de plans en 3D (au format BIM) lors de marchés publics de construction. En France, une mesure du projet de loi ELAN (en cours d'examen au Parlement) qui allait dans ce sens a été supprimée avant sa présentation en Conseil des ministres début avril.  

"Il y a des centaines de business models potentiels pour les entreprises qui sauront exploiter ces données en 3D"

Mais aussi, il faut aller plus loin que ces données publiques en impliquant le secteur privé, estime Jean-Philippe Clément. "Il y a des centaines de business models potentiels pour les entreprises qui sauront exploiter ces données en 3D", s'enthousiasme-t-il. "Par exemple, on pourrait croiser les données de cadastre solaire (l'ensoleillement de la ville), avec celles sur les bâtiments pour trouver les immeubles les mieux ensoleillés et proposer à leurs copropriétés l'installation de panneaux solaires." Nombre de collectivités souhaitent en effet inclure une dimension privée à leurs maquettes. Si la modélisation de la ville et les informations déjà disponibles en open data seront accessibles par tous, les collectivités vont aussi fournir des informations privées (par exemple les emplacements des câbles Internet ou des conduites de gaz, tus pour des raisons de sécurité) à des entreprises, en échange d'autres données qui les intéressent pour enrichir leur compréhension du territoire. D'un simple outil de visualisation, la maquette 3D se transformera en un grand marché de données.