Entre régulation et opportunités, Paris tâtonne sur la blockchain

Entre régulation et opportunités, Paris tâtonne sur la blockchain La mairie a réuni grands groupes et sociétés spécialisées lors d'un séminaire sur la blockchain. Objectif : identifier des usages concrets pour son prochain plan d'investissements numériques.

L'Etat ne peut pas tout, et la blockchain non plus. Ce prudent constat fut le leitmotiv d'un séminaire blockchain organisé à la mairie de Paris durant la matinée du 6 novembre. Etaient regroupées environ 90 personnes représentant une cinquantaine d'entreprises et institutions, de Ledger à Consensys, en passant par Carrefour, Engie et Microsoft. Mais aussi une dizaine de représentants de la mairie de Paris : son adjoint à l'urbanisme et au développement économique Jean-Louis Missika, le DSI de capitale Thierry Weibel, l'administrateur des données parisiennes Jean-Philippe Clément, ainsi que plusieurs chefs de projet provenant de différentes directions municipales. Plutôt qu'un nouveau laïus enthousiasmé sur "la révolution blockchain dans la smart city", les participants ont réfléchi à des applications concrètes, aussi bien pour identifier les opportunités techniques offertes par la blockchain que les cas où elle s'avérait inutile.

Pour Paris, "la blockchain recèle des éléments importants pour une meilleure administration et une meilleure gestion des données", a rappelé Jean-Louis Missika en introduction. Avant de se distancier de certaines applications de la blockchain qui ont mauvaise réputation chez les pouvoirs publics. "Nous ne sommes pas dans l'économie du bitcoin, pas plus que dans celle du Libra de Facebook. Il y a d'autres manière d'utiliser la blockchain." L'adjoint d'Anne Hidalgo a aussi écarté l'utilisation de blockchain publiques, car trop consommatrices d'énergie en raison de leur fonctionnement basé sur le minage et la preuve de travail.

"Nous ne sommes pas dans l'économie du bitcoin, pas plus que dans celle du Libra de Facebook"

Ce rassemblement s'inscrit dans un contexte particulier pour la ville. Son schéma directeur du numérique 2015-2020 touche à sa fin, tandis qu'elle doit préparer sa version 2020-2026. Si l'équipe actuelle remporte les élections, elle devra décider des investissements à réaliser pour poursuivre sa transformation numérique. Avec des moyens conséquents : le budget du précédent schéma directeur s'élève à 250 millions d'euros. Une manne qui attire l'attention des entreprises, qui ont pour l'instant développé peu d'applications de la blockchain adaptées aux collectivités. Autre échéance en arrière-plan : l'ouverture des données de transport permise par la loi mobilités, et son éventuelle extension à d'autres données d'intérêt général, pour laquelle Paris milite. La ville voit dans la blockchain une manière de s'assurer que les entreprises ne manqueront pas à leurs obligations.

Les participants se sont donc répartis en cinq ateliers correspondant à cinq applications potentielles de la blockchain dans la ville : l'identité numérique, la portabilité des données de mobilité électrique, la traçabilité de la production d'énergies renouvelables, les monnaies locales ainsi que les espaces partagés. Certains ont rapidement abouti à des solutions, comme l'atelier sur la portabilité. Les participants ont imaginé un système réunissant tous les acteurs de la mobilité électrique sur une blockchain avec des règles communes intégrées à des smart contracts, tout en permettant de développer des relations bilatérales régies par des contrats différents. D'autres ont constaté leur échec. Par exemple l'atelier qui souhaitait utiliser des stable coins (des crypto-monnaies dont le cours est adossé à des devises traditionnelles) comme monnaie locale, en l'absence d'un cadre légal adapté.

Paris sur la défensive

Au même moment se tenait une réunion plus feutrée dans le bureau de Jean-Louis Missika, à laquelle le JDN a pu assister. Autour de la table, les représentants de sociétés spécialisées comme Ledger, Consensys ou Blockchain Partner côtoyaient les référents blockchain d'Engie, Microsoft et Carrefour - venu pour l'occasion avec son camembert blockchain – , ainsi que des cabinets de conseil (PWC) et d'avocats (Gide). Le tout sous les auspices de l'Etat, avec la présence de la Caisse des dépôts. Leur objectif : comprendre les besoins de la mairie et la manière dont ils pourraient l'aider.

L'édile y a tenu un discours défensif présentant Amazon, Uber et Airbnb comme des menaces existentielles contre lesquels il cherche des solutions. D'autres ont évoqué la nécessité de former une alliance face à ces entreprises et leurs pratiques jugées prédatrices. L'associé de Blockchain Partner Antoine Yeretzian a invité Jean-Louis Missika à ne pas mettre de côté les blockchains publiques et open source adossées à des cryptomonnaies, caricaturées en facilitateurs énergivores de trafic de drogue et de terrorisme. Il a également soutenu, avec l'approbation de plusieurs participants, que des solutions moins consommatrices d'énergie existaient. Tout en reconnaissant que la blockchain n'était pas toujours la bonne solution et qu'au vu de son niveau de maturité actuel, nombre d'autres technologies fonctionnaient mieux.

Améliorer la traçabilité

Après quelques généralités sur l'utilisation de la blockchain comme outil de transparence envers le public qui n'ont pas convaincu l'adjoint de leur utilité par rapport aux mécanismes existants, le PDG de Ledger, Eric Larchevêque, a avancé trois propositions concrètes : l'utilisation de monnaies ou de tokens spécifiques à la ville, la tokenisation (titrisation) d'éléments physiques pour les représenter via des jetons numériques, ainsi que des applications de traçabilité. Ce dernier point a particulièrement intéressé Jean-Louis Missika, qui y a immédiatement vu des applications dans les missions de régulations de l'immobilier et de la construction qui incombent à la ville.

Il a parfois semblé difficile de réconcilier les perspectives des participants. Avec d'un côté des grands groupes qui voient la blockchain comme un outil de relations avec leur écosystème de partenaires ou dans une logique de RSE et de communication individuelle, et de l'autre un édile réfléchissant à l'échelle d'une ville, plutôt pour mieux réguler son territoire que créer de nouveaux services. Tous ces éléments devraient en tout cas nourrir la réflexion de la mairie lors de ses prochains choix technologiques. Et peut-être aussi l'aider à élaborer son programme numérique aux municipales.