Bruno Marguet (Alstom) "En 2016, 10% de notre budget R&D a été consacré à la maintenance prédictive"

A l'approche de la Nuit du Directeur Digital le 21 juin, le vice-président en charge de la stratégie d'Alstom et de sa transformation digitale présente au JDN les derniers projets numériques du groupe.

JDN. Quel est votre projet le plus innovant mené en 2016 ?

Bruno Marguet, vice-président en charge de la stratégie d'Alstom et de sa transformation digitale. © Alstom

Bruno Marguet. Nous avons commencé à former les opérateurs qui travaillent sur certains procédés industriels, comme la soudure ou la peinture des wagons de trains, grâce à la réalité virtuelle. Nous avons déployé la première plateforme de formation à la soudure dans notre usine barcelonaise l'année dernière. Une dizaine de personnes ont été formées, ce qui n'est pas un petit nombre car l'industrie ferroviaire réalise un travail d'artisanat : nous ne produisons qu'une vingtaine de métros tous les mois.

Nous avons aussi testé un pistolet numérique utilisé pour vaporiser de la peinture virtuelle sur un écran. Cette solution est capable de mesurer en temps réel le nombre de micromètres de peinture reçu par la surface pour apprendre au collaborateur à effectuer le bon geste.

Grâce à ces nouveaux outils de formation utilisables à distance, nos experts métiers, qui sont souvent installés en Europe, n'ont plus besoin de rendre systématiquement visite à leurs élèves sur la centaine de sites que compte Alstom aux quatre coins du globe.

Et le plus stratégique pour votre groupe ?

Nous avons effectué des progrès importants sur la maintenance prédictive. Les opérateurs ferroviaires, clients d'Alstom, veulent optimiser le temps d'utilisation de leurs TGV, tramways et autres métros. L'objectif est de faire en sorte qu'ils passent aussi peu de temps que possible au dépôt pour les opérations d'entretien et de réparation. Nos appareils étaient traditionnellement exploités entre 80 et 90% du temps, en fonction des pays. Ce chiffre dépasse aujourd'hui 95%, car nous avons équipé nos rames de centaines de capteurs afin de connaître en temps réel l'état des différentes pièces du train. Nous avons par exemple posé des capteurs de pression pour savoir si les pneumatiques ont besoin d'être entretenus.

Ces résultats sont le fruit d'un travail de long terme mené par Alstom depuis 10 ans et d'une augmentation conséquente du budget R&D consacré par le groupe à ces questions depuis trois ans. En 2016, nous avons alloué environ 10% de ce budget à la maintenance prédictive. Ces fonds ont notamment permis de développer des algorithmes pour modéliser dans le temps l'évolution physique de chacune des pièces de nos trains et connaître leur potentiel maximal d'utilisation.

"Nos appareils étaient  traditionnellement exploités entre 80 et 90% du temps, ce chiffre dépasse aujourd'hui 95%, car nous avons équipé nos rames de centaines de capteurs"

En quoi avez-vous transformé Alstom depuis votre arrivée ?

Je travaille ici depuis 32 ans. En décembre 2015, j'ai été nommé directeur de la transformation digitale du groupe en plus de mes activités de vice-président de la stratégie. La direction souhaitait que le numérique ait un vrai poids dans la politique de l'entreprise. J'ai donc mis en place et déployé un plan découpé en deux parties pour aider la société à basculer au digital.

La première regroupe les projets de smart operations, qui visent à rendre la production plus efficace en créant notamment des usines du futur. La seconde est baptisée smart transportation. Elle vise à améliorer les services que nous rendons à nos clients opérateurs de transport, mais aussi aux clients finaux de notre branche d'activité, les passagers. Nous voulons par exemple leur permettre de se connecter à un réseau Internet de qualité pendant leurs voyages. C'est pourquoi Alstom a racheté en décembre 2016 l'équipementier télécoms anglais Nomad Digital, spécialisé dans les solutions de connectivité destinées à l'industrie ferroviaire.

"Nous dépensons chaque année 2% de notre chiffre d'affaires pour développer notre système informatique, dont une bonne partie pour la standardisation des jeux de données"

Quelle est l'importance de la data pour Alstom ? Comment l'utilisez-vous dans le cadre de vos projets ?

Ouvriers, ingénieurs, commerciaux… La donnée est présente dans l'ensemble des métiers du groupe. L'enjeu n'est pas de produire une très grande quantité de data mais d'être capable de la rendre utilisable par toutes les catégories de salariés. Nous dépensons chaque année 2% de notre chiffre d'affaires annuel, qui était de 6,9 milliards d'euros pour l'exercice 2015/2016, pour développer et entretenir notre système informatique. Une bonne partie de cet investissement est consacré à la standardisation des jeux de données produits dans les différentes branches de l'entreprise pour qu'ils puissent être croisés.

Dans le cadre de notre projet usine du futur, nous avons relié les systèmes informatiques de nos équipes manufacturing et des bureaux d'études. Lorsque ces derniers développent un prototype, les données mettaient parfois plus de dix jours à remonter. C'est désormais instantané. Lorsqu'une pièce est trop complexe à industrialiser, le problème est signalé beaucoup plus vite.

En quoi votre action a permis à Alstom de poursuivre sa transformation numérique en 2016 ?

La création de ce poste a permis au groupe de partager avec l'ensemble de ses 31 000 salariés sa vision de la transformation digitale. Je suis un chef d'orchestre qui structure les flux d'innovation présents dans l'ensemble des branches métiers de notre compagnie. Chaque site est désormais doté d'un innovation manager. Il fait passer à ses collaborateurs les messages venus de la direction et fait également remonter les idées qui germent sur le terrain. Les salariés savent désormais qui aller voir lorsqu'ils ont un projet innovant en tête. Toutes les six semaines, j'organise trois boards innovation qui permettent d'avancer vite, même si notre structure est de très grande taille.

Le JDN propose pour la troisième année consécutive le 21 juin prochain un événement destiné à récompenser les meilleurs chief digital officers de France. Pour en savoir plus : la Nuit du Directeur Digital.