Les voies réservées au covoiturage, une idée louable difficile à concrétiser

Les voies réservées au covoiturage, une idée louable difficile à concrétiser Les voies réservées au covoiturage sont expérimentées par plusieurs collectivités françaises pour inciter à la pratique. Avec un argument original : gagner du temps sur son trajet.

Après les transports en commun, c'est au covoiturage d'avoir ses voies dédiées. Promulguée fin 2019, la loi mobilités autorise les collectivités à expérimenter et même déployer de façon pérenne des voies réservées au covoiturage en fonction du niveau de congestion du trafic. Plusieurs collectivités testent ce dispositif qui réserve donc l'accès d'une voie aux véhicules comportant au moins deux personnes à bord.

Une idée attrayante sur le papier pour favoriser la pratique du covoiturage (et le business des plateformes qui l'organisent), puisqu'elle donne un avantage concret en termes de temps de parcours. Autre atout : il permet d'attirer un public plus aisé, pour qui le partage des frais n'est pas un argument suffisant pour accueillir un passager dans leur voiture. "L'incitation financière des conducteurs est un prérequis, car personne ne fera un détour pour prendre quelqu'un sans être au moins payé deux euros par trajet", estime cependant Julien Honnart, fondateur et président de la start-up de covoiturage courte distance Klaxit. "Si vous ajoutez à cela le fait de gagner 5 ou 10 minutes de temps de parcours, le covoiturage pourrait devenir encore plus incitatif", poursuit-il.

Mais de nombreux obstacles peuvent rendre cette idée difficile à mettre en pratique. D'abord la question de l'acceptabilité. Si le covoiturage n'augmente pas sur un axe où est mise en place une voie réservée, il ne fera que ralentir le trafic des autres voies, provoquant ainsi l'effet inverse de celui escompté : plus de bouchons et de pollution. "Ces tests demandent un certain courage politique", résume Olivier Binet, PDG de la plateforme de covoiturage courte distance Karos, qui estime que ces voies sont à ce stade "une bonne hypothèse qui mérite d'être testée".

Inciter pour faire accepter la contrainte

Parmi les expérimentations, celle menée sur une portion de 8 kilomètres d'une quatre voies à l'ouest de Grenoble. La voie de droite est réservée aux transports en commun, les deux du milieu à la circulation classique, et celle de gauche au covoiturage depuis septembre. Les autorités décident en temps réel de réserver la voie de gauche au covoiturage en fonction du dépassement de certains seuils de trafic.

L'offre de covoiturage est organisée par la collectivité, avec une appli de mise en relation des passagers (M'Covoit-Lignes +) fournie par Ecov. La start-up a mis en place des stations de covoiturage à plusieurs entrées de l'autoroute desservies par les transports en commun. Elles permettent aux automobilistes qui voyagent seuls de trouver au dernier moment un passager à la recherche d'un covoiturage et ainsi de profiter de la voie réservée. Si l'automobiliste, qui a droit à un dédommagement de deux euros par passager, n'a pas de compte sur l'application, il pourra quand même toucher son dû. Pour cela, le passager entre le numéro de téléphone du conducteur dans l'appli, ce qui entraine une pré-inscription au service et chargera l'argent dû sur le futur compte. Pour le fondateur d'Ecov, Thomas Matagne, cette incitation par les infrastructures physiques est incontournable. "C'est comme si vous mettiez des voies de bus sans les bus, ça ne peut pas marcher."

Décourager les resquilleurs

Autre question difficile, celle du respect par les automobilistes de la voie réservée aux véhicules transportant au moins deux personnes. Car certaines technologies peuvent être truandées pour donner l'impression que deux personnes sont à bord, ou au contraire se tromper et ne détecter qu'une personne alors qu'elles sont plusieurs. "Automatiser une sanction, cela nécessite d'en être sûr à 100%", estime Julien Honnart. De son côté, Olivier Binet s'interroge sur le coût de ces technologies qui reposent souvent sur des caméras classiques ou thermiques adossées à des systèmes de vision par ordinateur. Un coût pas simple à concilier avec un modèle économique dans lequel les autorités dépensent déjà de l'argent en subventionnant les trajets.

Pour l'instant, Grenoble a opté pour la pédagogie. Des panneaux lumineux viennent rappeler aux automobilistes qu'il s'agit d'une voie réservée au covoiturage, en attendant de cadrer avec la Cnil un autre dispositif, qui fera afficher sur des panneaux lumineux la plaque d'immatriculation du véhicule fraudeur avec un message lui demandant de quitter la voie. Cette pédagogie durera le temps d'habituer les automobilistes aux voies réservées et d'entraîner les technologies de détection de fraude. "Mais notre souhait est vraiment de passer sur du coercitif à terme", explique au JDN un agent public travaillant sur le dossier. Reste à savoir qui touchera le fruit de cette coercition. "Il y a des débats entre le ministère des Transports et certaines régions, car ces dernières voudraient encaisser les amendes à la place de l'Etat pour financer le dispositif", explique Julien Honnart. A peine testées, loin d'être pérennisées, les voies réservées sont déjà l'objet de convoitises budgétaires.