Crowdlending : face au Royaume-Uni, la France n'a pas dit son dernier mot !

Même si le Royaume-Uni truste la première place du crowdlending en Europe, la France n'est pas en restes. Elle pourrait même surprendre ses voisins outre-Manche.

Sur le plan européen, la France n'a pas à rougir du développement de son marché du financement participatif. Le segment du crowdlending, notamment, connaît un dynamisme certain avec un taux de croissance de 100% en 2017 (source : KPMG). L'exemple du Royaume-Uni permet de supposer que la croissance est loin d'être terminée. En revanche, si plusieurs facteurs ont jusqu'ici favorisé un meilleur développement du crédit professionnel participatif outre-Manche, la donne peut encore évoluer au niveau européen.
Une pratique de l’investissement plus diffuse outre-Manche

Au-delà du décalage temporel, lié à la jeunesse relative du secteur en France, où l’environnement légal permettant l’apparition d’une offre structurée est encore récent, plusieurs éléments structurels peuvent expliquer la différence de développement avec le marché britannique. Il faut tout d’abord tenir compte d’une première réalité : le marché britannique est précurseur. Outre une certaine culture plus "capitaliste", les épargnants du monde anglo-saxon sont poussés à trouver par eux-mêmes des solutions d’investissement long-terme. L’absence de régime complémentaire de retraite par répartition, par exemple, incite les particuliers à mieux s’informer en matière de placement.

De plus, les pouvoirs publics ont matérialisé un soutien direct en abondant des véhicules de prêt dès 2014, ceci combiné par ailleurs à l’existence de supports de prêts adaptés tels que les mini-bonds. Concomitamment, la mise en place d’une réglementation adéquate visant à favoriser l’émergence du crowdlending comme classe d’actif, et d’acteurs dans le domaine, a rapidement porté ses fruits : il y avait ainsi déjà plus de 50 plateformes homologuées fin 2014.

Sur le plan fiscal, des schémas ont été mis en place afin de permettre aux particuliers d’investir en crowdlending en franchise d’impôt dans des véhicules d’épargne plébiscités par les épargnants : les Innovative finance individual saving accounts (IFISA) ou les  Self invested personal plans (SIPP). Dernier point structurel qui a contribué favorablement au développement : un secteur bancaire moins central et moins concurrentiel au Royaume-Uni. Il ne constitue ainsi que la quatrième source de financement des entreprises, alors qu’il est la première en France. Le taux d’emprunt brut moyen ressort par ailleurs à 3,3% contre 1,8% en France, avec en outre des demandes de sûretés beaucoup plus courantes Outre-manche (voir OECD Financing SMEs and Entrepreneurs / European Commission – Access to finance for SMEs).

Conséquence : un spectre de PME susceptibles de franchir rapidement le pas vers le crowdlending sans doute plus large. Cette meilleure représentativité de l’ensemble du vivier de PME dans le crowdlending a favorisé une offre de couple risque-rendement attractive, avec des taux de défaut très maîtrisés sur la durée, comme illustré par les chiffres issus des principales plateformes du marché.

Nouvelle donne pour le crowdlending en France ?

Le marché du crowdlending en France (et en Europe) a donc comparativement encore du retard. Comme le révélait une étude réalisée par l’Université de Cambridge et Ernst & Young, le marché britannique du financement participatif au sens large avait déjà franchi le cap du milliard d’euros dès 2013. Si parier sur un rattrapage complet à court terme est peut-être trop optimiste, il est clair que l’environnement français a, depuis quelques années, évolué favorablement. Les même causes produisant les mêmes effets, une convergence à terme n’est pas inenvisageable.

Ainsi, les investisseurs institutionnels (y compris Bpifrance) ont commencé à s’intéresser au secteur du crowdfunding. En témoignent les rapprochements récents avec des réseaux bancaires ou des sociétés de gestion, et par ailleurs la création de fonds de crédit (chez Lendix, WeShareBonds et Credit.fr notamment). Au-delà du renforcement induit des capacités d’investissement du secteur, cela a également un effet vertueux de crédibilisation, en permettant aux plateformes de garantir aux émetteurs (et aux prêteurs participants) la réalisation à 100% de chaque opération.

Autre point favorable au secteur : une réelle expertise développée par les plateformes françaises sur le financement du haut-de-bilan qui peut intéresser les PME pour des montants significatifs et des situations variées : acquisitions d’entreprises, rachat de fonds de commerce, sortie d’actionnaires minoritaires, etc.

Du côté des investisseurs, la fiscalité peu adaptée qui a pu jusqu’ici détourner les épargnants de cette classe d’actif a récemment évolué. Ainsi le taux de prélèvement unique PLU (flat-tax 30% maximum) se révèle plus incitatif, permettant de sortir d’une optique parfois quasi confiscatoire (jusqu’à un taux de 60% de prélèvement marginal, hors ISF). Ceci devrait favoriser l’investissement dans l’économie réelle, notamment pour les produits de taux jusqu’ici particulièrement impactés. De plus, les niches fiscales (ISF notamment) qui détournaient une partie de l’épargne des français au profit certaines cibles spécifiques sont en voie de disparition.

Au niveau macro-économique ensuite, le mouvement en cours de montée des taux et une politique moins accommodante de la BCE devraient rendre les financements bancaires comparativement moins attractifs pour les entrepreneurs. Concernant l’intervention publique, la réforme semble-t-il en cours de la doctrine de Bpifrance – pourvoyeur de fonds important de l’écosystème des PME - vers moins d’intervention en direct dans les entreprises pourrait aussi avoir son importance. Ceci pourrait profiter aux plateformes de crowdlending, qui verraient s’atténuer une forme de concurrence, et même trouver un nouvel allié pour financer leur fonds de crédits.

Dernier point : le cadre légal, qui a fortement évolué ces derniers temps, a permis de rattraper le retard en termes de réglementation et d’offrir une base pour un développement plus large dans la durée : relèvement des seuils d’intervention pour les projets, création des minibons pour le prêt aux PME, légalisation de la certification via la blockchain pour les transactions dans le non-coté.

Le crowdfunding reste une activité financière ; la suprématie initiale du monde anglo-saxon n’est donc pas si surprenante. Cependant la France semble désormais disposer de tous les atouts pour affirmer son rôle de fer de lance du secteur en Europe.