Crowdfunding : le relèvement du plafond profite surtout à l'immobilier
Suite à un décret de la Loi Pacte publié en octobre 2019, la collecte maximale sur les plateformes de crowdfunding est passée de 2,5 millions à 8 millions d'euros.
A croire que le crowdfunding est immunisé au Covid-19. Au premier semestre 2020, les plateformes de financement participatif françaises ont collecté 320 millions d'euros, soit 34% de plus qu'au premier semestre 2019, d'après le baromètre de l'association Financement Participatif France (FPF). Cette croissance est notamment due à l'épargne cumulée des Français pendant le confinement, l'explosion du crowdfunding immobilier et le relèvement du seuil de collecte. Suite à la publication d'un décret le 30 octobre 2019, dans le cadre de la la loi Pacte, les plateformes de crowdfunding enregistrées en tant que conseiller en investissement participatif (CIP) peuvent proposer des opérations pour un montant maximal de 8 millions d'euros, contre 2,5 millions d'euros auparavant.
Cette possibilité était particulièrement attendue par les plateformes spécialisées en immobilier. "C'est le secteur qui frôlait le plus le plafond de 2,5 millions d'euros, et ce, dès 2018", indique Jérémie Benmoussa, président de l'association Financement Participatif France (FPF). "Nous avions environ 1 à 2 projets par mois qui approchaient les 2,5 millions d'euros. Nous attendions vraiment ce relèvement à 8 millions car il nous a ouvert la voie à des projets et à des opérateurs plus importants", confirme David El Nouchi, cofondateur de ClubFunding, plateforme de prêts par obligations dont une majorité des projets sont réalisés dans l'immobilier.
Depuis 2020, sur la collecte globale située entre 500 et 600 millions d'euros, 170 millions d'euros sont issus de projets supérieurs à 2,5 millions d'euros, d'après les données de FPF. Et sur ces 170 millions, 59% viennent de projets dont la collecte est comprise entre 5 et 8 millions d'euros. "Si le marché atteint 700 millions d'euros fin 2020, cela signifie que quasiment 15% de la collecte seront venu de projets supérieurs à 5 millions d'euros", prédit Jérémie Benmoussa. Et que 24% des montants levés auront irrigué des projets supérieurs à 2,5 millions d'euros.
Pas tous à la même enseigne
Depuis fin 2019, ClubFunding a enregistré neuf projets immobiliers à plus de 2,5 millions d'euros dont un à 8 millions d'euros. "Depuis décembre dernier, nous recensons un projet par mois à 5 millions d'euros sauf durant mars-avril 2020, à cause de la crise", précise David Peronnin, autre cofondateur de ClubFunding. Pour profiter de ce plafond, la fintech a dû élargir sa base d'investisseurs, en faisant notamment appel à des cabinets en gestion de patrimoine. "On avait commencé ces démarches il y a deux ans car on parlait déjà du relèvement. Aujourd'hui, nous travaillons avec une dizaine de cabinets, qui trouvent un vrai intérêt à proposer une offre de financement participatif", complète le dirigeant.
Pour les plateformes de prêts aux entreprises, le relèvement du plafond était aussi le bienvenu (même si les occasions sont plus rares que dans l'immobilier). "Les TPE et PME que nous accompagnons ont des besoins entre 100 000 et 2 millions d'euros en général. Même avec des tickets à 30 ou 50 000, c'est difficile d'atteindre 8 millions d'euros", témoigne Alice Lauriot dit Prévost, associée de Tudigo, spécialisée dans le financement de TPE-PME en equity ou don avec contrepartie. A ce jour, un seul projet a récolté 3,4 millions d'euros d'intentions, et qui n'a finalement ouvert que 650 000 euros de son capital.
Même situation du côté des plateformes spécialisées en énergies renouvelables. La société Lumo, rachetée par Société Générale en juin 2018, permet de financer des projets de plusieurs centaines de milliers d'euros. "Nous avons assez peu d'exemples d'opérations qui ont nécessité d'être au-dessus du plafond car les mécanismes incitatifs autour des appels d'offre de la commission de régulation de l'énergie sont majoritairement utilisés dans le solaire, dont les montant ne sont pas colossaux", explique Olivier Houdaille, directeur général de Lumo. L'entreprise se concentre pour l'instant sur les quatre actifs principaux que composent les énergies renouvelables (solaire, hydraulique, éolien et biomasse). "Nous allons nous diversifier en 2021 dans la transition écologique au sens large car nous voulons aussi traiter le stockage, les mobilités douces… ", confie le dirigeant, qui pourra plus facilement avoir des projets à plus de 2,5 millions d'euros.
Bientôt un abaissement à 5 millions d'euros
Qu'il soit utile ou non, le plafond des 8 millions d'euros est déjà menacé. Fin 2019, un règlement a donné naissance à un statut européen pour les plateformes de crowdfunding, accompagné d'un plafond de… 5 millions d'euros. Ce passeport européen, qui n'est pas encore lancé, permettra à un acteur d'opérer plus facilement dans un pays de l'UE, sans avoir à demander un nouvel agrément (comme c'est le cas pour les établissements de paiement, de monnaie électronique…). Et toucher des investisseurs étrangers.
Ce futur statut européen ne fait donc pas l'unanimité dans le secteur. "Nous n'avons pas encore d'avis tranché là-dessus. Aujourd'hui, on voit plus d'inconvénients que d'avantages", indique David El Nouchi. "Ce règlement européen, surtout ce plafond, va constituer un frein car 15% de la collecte annuelle est menacée. Cela va contre le sens de l'histoire", regrette Jérémie Benmoussa. "Nous allons négocier avec les régulateurs locaux pour demander que le règlement européen s'applique pour les levées en-dessous de 5 millions d'euros et qu'on conserve en France les 8 millions d'euros", ajoute le patron de FPF. Les régulateurs locaux européens ont encore quelques mois pour trancher.