Igor Carron (LightOn) "LightOn est un baromètre de l'IA générative en Europe"
Igor Carron est le président directeur général et cofondateur de LightOn. Il revient pour le JDN sur la stratégie de l'entreprise un an après l'IPO en novembre 2024.
JDN. LightOn est maintenant sur Euronext Growth Paris depuis 12 mois. Le bilan de l’IPO est-il positif selon vos critères ?
Igor Carron. Ce qui nous a particulièrement marqués, c'est la forte présence des investisseurs particuliers, un élément qui nous distinguait des précédentes introductions en bourse. Portzamparc, notre banque d'affaires, l'a confirmé. Pour moi, le pari de développer l'IA générative avec un soutien plus large était pertinent. La majorité des gens restent spectateurs, alors que les chiffres continuent d'être impressionnants. Je percevais un besoin réel : permettre à une partie des porteurs de participer à cette aventure qui redessinera notre façon de travailler. Les particuliers ont manifesté une forme de confiance sur ce sujet. Pour répondre directement à votre question, oui, je pense que c'était, et que cela reste, une bonne stratégie.
En 12 mois, l’action a perdu plus de la moitié de son cours. Comment expliquez-vous cette baisse significative ?
La situation est assez complexe. Du point de vue de LightOn, je n'ai pas d'explication précise à la baisse du cours. Il est important d'être clair : passer d'entreprise non cotée à entreprise cotée modifie fondamentalement notre rapport à la communication. Ce n'est pas simplement une question de reporting ou de formulaires administratifs. C'est avant tout une question de vérité.
"Quand j'entends des interrogations sur LightOn, je rappelle à mes interlocuteurs la transparence sans précédent de notre communication"
Auparavant, nous étions habitués à travailler avec des experts-comptables et des auditeurs. Désormais, tout se fait en temps réel. Quand j'entends des interrogations sur LightOn, je rappelle à mes interlocuteurs la transparence sans précédent de notre communication. Nous offrons une ouverture totale, permettant à tous les acteurs de suivre en direct ce qui se passe dans l'entreprise. C'est radicalement différent des pratiques habituelles des entreprises non cotées, qui cherchent traditionnellement à préserver leur confidentialité.
La réalité est que, dans le non coté, beaucoup peuvent tenir des discours avec des intentions diverses, éloignées de la réalité. Nous, nous sommes un livre ouvert, un baromètre de l'utilisation de l'IA générative en France, en Europe et au-delà.
Même si votre chiffre d'affaires progresse de 15 % dans vos derniers résultats, vous avez ajusté à la baisse vos prévisions de revenus récurrents. Faut-il y voir un effet direct du contexte national et du ralentissement de la commande publique, dont vos revenus dépendent en grande partie ?
C'est une très bonne question. Je ne vais pas rentrer dans le débat politique, cela ne m'intéresse pas. Je vais être très clair : je ne regarde pas la télévision, je n'écoute pas la radio. Parfois, je m'aperçois qu'un ministre a été remplacé, mais je ne sais même pas qui. J'ai déjà suffisamment à faire avec le fait que notre secteur change tous les quinze jours.
Par contre, ce qu'on observe aussi, c'est une sorte de glissement. C'est pour cela qu'on parlait de révision d'ARR. Nous avons construit cet indicateur dans notre introduction en bourse pour montrer qu'il y avait des revenus récurrents, pour démontrer que ces activités ne sont pas un "one-shot ". Pour ce qui est du secteur public français, ce que nous observons, c'est qu'il y a de la compétition, comme partout, pas de souci là-dessus. La réalité, c'est que jusqu'à récemment, il n'y avait pas de clarté sur comment gérer les informations et les GPU. Il n'y avait pas beaucoup de fournisseurs qui atteignaient un certain niveau de sécurité, parce que les GPU n'étaient pas forcément hébergés ici. Il y a eu réellement un glissement des GPU qui faisait que les prix restaient toujours un peu élevés, ce qui a placé une partie de l'Etat dans une position d'attentisme avant de prendre des décisions, alors que la technologie en elle-même est potentiellement beaucoup plus simple.
Contrairement à une start-up comme Mistral, vous devez composer avec la transparence imposée par les marchés financiers, alors même que l’intelligence artificielle nécessite d’importants investissements et une forte tolérance au risque. Cette exposition ne limite-t-elle pas votre agilité ou votre capacité à investir à la hauteur des ambitions du secteur ?
Certains trouvent ce mode de fonctionnement compliqué ? Je leur confirme que c'est effectivement plus complexe. Mais notre approche se distingue par une transparence sans équivalent. Enfin, la question des investissements mérite d'être nuancée. Beaucoup de start-up lèvent des fonds pour développer des modèles, dans l'espoir d'être rachetées. Ce n'est pas notre intention. Nous voulons équiper le monde d'une technologie aussi révolutionnaire que l'écriture il y a 6 000 ans, avec la capacité de produire des innovations au niveau des laboratoires d'IA chinois ou américains. Nous n'avons pas besoin d'investir massivement dans des GPU. Notre force est de créer des briques technologiques innovantes, comme notre OCR ou nos travaux sur le RAG, qui vont au-delà des tendances actuelles.
"Certes, lever beaucoup d'argent peut servir la notoriété, mais nous poursuivons un but différent."
Notre objectif est la transformation effective des entreprises. Nous identifions les manques technologiques et les comblons. Prenez nos "late interaction models" : des technologies qui enrichissent les documents d'entreprise pour faciliter la prise de décision. Actuellement, les employés perdent près de 9 heures par semaine à chercher des documents. C'est absurde, et notre technologie est là pour changer cela. Certes, lever beaucoup d'argent peut servir la notoriété, mais nous poursuivons un but différent. Il est important de distinguer les acteurs qui cherchent la visibilité de ceux qui, comme nous, visent un impact réel.
Vous avez tourné la page de FORGE pour basculer vers un modèle SaaS. Ce type de pivot traduit souvent un aveu d'échec. Qu’est-ce qui a déclenché ce choix, et quels enseignements en tirez-vous aujourd’hui ?
En 2023, nous avons constaté un tournant significatif dans notre stratégie. Le paysage technologique a radicalement changé : les laboratoires américains et chinois sont capables d'investir massivement, multipliant par 10 ou 100 leurs capacités de développement. Nous avons rapidement compris que nous n'avions pas les moyens financiers de rivaliser et qu'il serait difficile de trouver des clients prêts à supporter de tels investissements. C'est là que notre opportunisme entre en jeu : reconnaître ces évolutions en temps réel, pas deux ans plus tard, et imaginer le prochain stade.
Notre objectif est désormais de devenir le "dernier kilomètre" de cette technologie, nous qui avons été précurseurs. Notre transformation vers un modèle SaaS traduit notre capacité d'adaptation. Je compare cette évolution à l'histoire de l'aviation. Comme les avionneurs des années 1900 qui sont passés des bi-places aux avions de transport, nous cherchons à élargir notre modèle économique.
Cherchez-vous aujourd’hui à renforcer votre présence dans certains segments, ou à ouvrir de nouveaux marchés ?
Nous sommes extrêmement opportunistes, et ce, dans le bon sens du terme. Notre histoire démontre notre volonté de satisfaire tous nos actionnaires en explorant des marchés diversifiés. Notre cible principale concerne les entreprises qui, par défaut, ne peuvent pas utiliser les technologies existantes, notamment en raison de contraintes réglementaires. Pour les entreprises évoluant dans des secteurs régulés - défense, santé, banque, assurance, avoir une intelligence artificielle générative interne devient un atout stratégique. Il s'agit de pouvoir attirer et retenir les meilleurs talents en leur offrant des outils performants, leur permettant de construire des cas d'usage compétitifs à l'échelle internationale. Nous ciblons spécifiquement ces acteurs qui ne peuvent pas utiliser des outils soumis à des législations étrangères. Nous intervenons même dans des environnements hautement sécurisés, où l'accès physique est restreint.
Vous avez connu une forte croissance de vos effectifs, passant d’environ 30 à 50 collaborateurs. Parvenez-vous à conserver votre agilité et une culture start-up, alors même que la structuration d’une équipe plus large impose souvent davantage de process ?
Traditionnellement, la croissance d'une entreprise s'accompagne d'une complexification des interactions, avec une communication qui devient rapidement exponentielle. Notre objectif est de réduire cette complexité. Nous utilisons l'intelligence artificielle générative pour donner plus d'autonomie à nos différents groupes, leur permettant d'obtenir des informations sans multiplier les interactions. C'est pour moi le modèle organisationnel du futur : des entreprises plus agiles où chaque département peut interagir directement avec un système qui concentre le savoir de l'entreprise.
Nous nous inspirons un peu du modèle d'Amazon et du concept d'API interne développé par Jeff Bezos, où chaque service peut accéder aux données dont il a besoin sans procédures bureaucratiques. Avec 50 collaborateurs, nous devons maintenir cette fluidité. L'IA générative nous aide à rester agiles, en réduisant les besoins de communication traditionnelle. C'est assez paradoxal : nous vendons une technologie tout en l'utilisant pour nous rendre nous-mêmes plus efficaces.
L’écosystème français devient ultra-concurrence, notamment avec Mistral qui occupe une place centrale. Cette concurrence accrue ne complique-t-elle pas votre positionnement sur le marché ?
Cette concurrence me fait penser à l’histoire de Pathé et Gaumont. La France a souvent été perçue de manière mélancolique, mais notre histoire montre que des "frères ennemis" peuvent construire une industrie ensemble. En 1898, à Paris, est né le premier modèle économique du cinéma. Ces concurrents qui se sont affrontés pendant des décennies ont finalement contribué au succès d'Hollywood.
Notre écosystème est précisément dans cette logique. Je ne vais pas dénigrer Mistral, mais je militerai toujours pour notre solution. L'important est d'essayer les produits, de donner sa chance à chaque innovation. Oui, nous perdons des ingénieurs qui partent vers Mistral, OpenAI. Cela me fait mal, mais la réalité est que certains restent chez LightOn, attirés par notre vision : faire avancer cette technologie dans le secteur public et les entreprises. Notre compétitivité réside dans notre capacité à travailler ensemble, à construire un écosystème français fort. C'est notre véritable force.