La stratégie atypique d'Amazon dans l'IoT as a Service
AWS promeut le modèle d'un cloud centralisé. A la différence d'autres acteurs IT, comme Microsoft, qui défendent la voie, complémentaire, de data centers de proximité, au plus proches des objets.
Amazon Web Services (AWS) a bâti toute sa stratégie autour de la notion de data centers centralisés. Pas question pour l'activité cloud d'Amazon de se lancer dans une course à l'échalote en disséminant des centres de données dans la moindre "sous-région". Un choix (notamment justifié par la volonté d'optimiser au maximum les coûts) qui n'empêche pas AWS de se positionner dans l'IoT avec toute une pléiade de services cloud : AWS IoT (pour gérer les échanges de données), AWS IoT Device Management (pour manager les objets, les mettre à jour), AWS IoT Device Defender (pour les sécuriser)… D'aucun pourrait pointer là un paradoxe : comment Amazon peut-il prétendre s'attaquer à ce domaine informatique, par définition très décentralisé, avec un modèle de cloud centralisé ?
Face à la croissance exponentielle de l'IoT (le Gartner anticipe 20 milliards d'objets connectés en 2020) et par ricochet des volumes de données produits sur ce terrain, un modèle de cloud distribué, plus proche des frontières du réseau, paraît à première vue techniquement plus logique. "Pour agréger et traiter les quantités massives d'informations qui seront produites demain par l'IoT, mieux vaut compléter les grands data centers, de centres de données plus petits, localisés au plus près de la source. Une telle architecture permettra de désengorger les autoroutes de l'information, éviter les problématiques de latence et gérer efficacement les capacités temps réel requises dans ce domaine", explique Damien Giroud, directeur des solutions de data center chez Schneider Electric.
Même si AWS sait bien qu'il se doit d'implanter des infrastructures IT sur les principales plaques géographiques, notamment pour répondre aux contraintes réglementaires locales liées à la gestion des données à caractère personnel, la société de Jeff Bezos ne dépassera pas certaines limites. "Pour l'instant, notre objectif est de déployer des data centers dans les plus grands pays", confirme Andy Jassy, CEO d'AWS. En Europe, le cloud américain a installé pour l'heure des serveurs en l'Allemagne, au Royaume-Uni, et en Irlande (dans ce dernier cas, aussi, pour des raisons fiscales). A ces implantations viennent d'ailleurs d'être ajoutés plusieurs data centers dans l'Hexagone, en Ile-de-France. Pour la suite, on peut imaginer qu'AWS érige également des centres de données en Italie, voire en Espagne... Mais le groupe n'ira sans doute pas plus loin sur le Vieux continent, à moyen terme en tout cas.
L'intelligence artificielle dans l'objet
Sans se détourner de ce choix stratégique, AWS n'en souhaite pas moins offrir une infrastructure IoT performante permettant de piloter des flottes de milliers voire de millions d'objets. Quelle est sa solution ? Le cloud américain met en avant une série de services pour déporter une partie des traitements au plus proche des objets connectés. "Ces dispositifs de Fog et Edge Computing visent à assurer une meilleure réactivité des objets, rationaliser les transferts avec notre cloud, tout en répondant aux contraintes éventuelles de souveraineté des contenus produits par l'utilisateur via un hébergement hyper localisé", argue Marco Argenti, vice-président IoT et mobilité chez Amazon Web Services.
Parmi les outils d'Edge Computing avancés par Amazon dans l'IoT, on relève d'abord la technologie Greengrass. "Elle a pour but d'étendre les services AWS aux objets connectés. Grâce à Greengrass, les données générées localement pourront être traitées sur place pour répondre rapidement à des événements, les ressources cloud continuant à être sollicitées en parallèle pour la gestion, l'analyse et le stockage de longue durée", indique un porte-parole d'Amazon. "Le transit réseau est ainsi optimisé. Et en s'appuyant sur AWS Lambda, ce service permet aux devices de fonctionner même avec une connexion intermittente." Lors de son événement mondial 2017 fin novembre, AWS a lancé une déclinaison de Greengrass orientée intelligence artificielle (Greengrass ML). "Les devices intégrant cette brique pourront devenir des unités intelligentes autonomes, avec la capacité de prendre rapidement des décisions même en cas de déconnexion", explique Marco Argenti. Greengrass ML s'adosse à une infrastructure Apache MXNet préconfigurée et optimisée pour des nano-ordinateurs de différents types (NVIDIA Jetson, Intel Apollo Lake, Raspberry Pi).
Un OS taillé pour les objets connectés
Toujours lors de son AWS re:Invent 2017, le cloud californien a levé le voile sur une autre brique d'Edge computing taillée pour l'IoT : un micro-système d'exploitation. Baptisé Amazon FreeRTOS, il repose sur l'OS temps réel open source du même nom. Un noyau qu'AWS complète de librairies pour gérer la connectivité réseau, la sécurité et (bientôt) les mises à jours à distance. Amazon FreeRTOS est dessiné pour venir se nicher dans les appareils à base de microcontrôleur (MCU). "Un très grand nombre d'objets connectés ne sont pas suffisamment importants ou chers pour contenir une architecture CPU, et embarquent par conséquent une unité MCU. On estime que la proportion d'appareils équipés d'une MCU est de 40 pour un appareil doté d'une CPU. Il y en a dans de nombreux domaines. Il s'agit par exemple d'ampoules, de détecteurs de fumée, de distributeurs de savon, de toasteurs, etc.", commente Andy Jassy. "FreeRTOS va permettre de les connecter à AWS pour les piloter à distance ou encore de les associer à Greengrass pour les doter d'une intelligence locale."
Wearables, éclairages connectés, équipements industriels, gestion des accès physiques, etc. Sur son site web, AWS met en avant une série de clients (Hive, Honeywell, la Nasa et Schlage) exploitant ou testant FreeRTOS dans différents domaines. Compatible avec les processeurs ARM et MIPS, et diverses technologies tierces de chipsets (Texas Instruments, Microchip, NXP Semiconductors, STMicroelectronics), l'OS embarque toute une pléiade de fonctionnalités, pour gérer les configurations et mises à jour logicielles d'objets, la connexion sans fil entre appareils (via wi-fi) et la sécurité des données et transactions réseau (via un chiffrement TLS).
Une vision différente chez Microsoft
Reste à savoir si le schéma d'AWS ne se révélera pas trop coûteux à mettre en œuvre, du fait notamment de la multiplication des applications à déployer en bordure de réseau. Face à cette logique, l'implantation de micro data centers locaux, notamment prônée par Schneider Electric, représente pour certains un bon compromis entre le tout centralisé et le modèle mixte prôné par AWS. "Les micro data centers adressent parfaitement les problématiques de latence et de vitesse de traitement imposés par l'IoT. Ils sont modulaires, sécurisés, reliés aux grands centres de données via une connexion Internet à haut débit et contribuent à réduire les coûts opérationnels et d'installation", argue Damien Giroud, chez Schneider Electric. "Ils offrent des bénéfices économiques et des performances tangibles et mesurables, renforcent la sécurité en isolant le réseau de potentielles attaques DDoS, et proposent un bon taux de disponibilité."
Et Damien Giroud de se féliciter : "L'approche centralisée pourra certes répondre à nombre de configurations IoT, notamment si le volume de données produit n'est pas trop important pour nécessiter un pré-traitement localisé. Il n'en reste pas moins que nous discutons désormais avec de grands acteurs du cloud, qui avaient jusqu'ici une approche très centralisée, et qui désormais se disent prêts à déployer des racks pour réaliser de la data analytics en mode Edge."
Microsoft est de ceux-là comme le montre la slide ci-dessous, extraite d'une récente présentation de l'éditeur sur sa stratégie de centre de données. Elle dévoile que Microsoft s'oriente vers une approche combinée, associant cloud et plateformes de calcul de proximité.