Comment les parkings de supermarché deviennent une source d'énergie

Comment les parkings de supermarché deviennent une source d'énergie La loi ENR du 10 mars 2023 impose aux parkings de stationnement de plus de 1 500 m2 de s'équiper d'ombrières photovoltaïques. Une mesure qui va accélérer l'essor du smart building.

Pour les retailers, le smart building devient obligatoire. Les grandes enseignes qui disposent d'un parking de stationnement de plus de 1 500 m2 (ce qui représente une centaine de places, ndlr) vont devoir installer avant le 1er juillet 2026 des ombrières photovoltaïques pour se conformer à la loi ENR du 10 mars 2023, au risque de se voir infliger des pénalités financières en cas de non-respect. Ces équipements ne se limitent pas à la production d'énergie solaire et d'ombre pour les voitures stationnées dessous, ils vont redéfinir la gestion intelligente des bâtiments. Les ombrières peuvent en effet coupler aux panneaux solaires des bornes de recharge de véhicules électriques, divers capteurs IoT pour les usages du parking, comme la détection de places libres ou la vidéo-surveillance, et faire le lien avec le bâtiment lui-même. Un autre exemple, Signify France, société spécialisée dans les systèmes et services d'éclairage Led connectés, a imaginé un projecteur d'éclairage solaire pour ces ombrières.

L'échéance de la loi ENR approche à grands pas et s'additionne à deux autres obligations législatives : installer des bornes de véhicules électriques sur 10% des places de parking avant 2025 pour répondre à loi d'orientation des mobilités (LOM) et réduire les consommations énergétiques de 40% avant fin 2030 dans le cadre du décret Tertiaire. Le contexte énergétique et les politiques RSE des entreprises poussent également la demande des clients de manière exponentielle, que ce soit auprès de l'entreprise française de services multitechniques Equans, des entreprises d'efficacité énergétique comme Eficia ou Advizeo, mais aussi auprès des installateurs de bornes de recharge.

"Nous attendons la publication du décret d'application mais nous commençons des pilotes pour innover et ne pas avoir à subir l'obligation légale"

"Nous attendons la publication à venir du décret d'application de cette loi ENR mais nous commençons des pilotes pour innover et ne pas avoir à subir l'obligation légale", indique Sandrine Lefèbvre, responsable RSE chez Kingfisher France, qui regroupe les enseignes Castorama et Brico Dépôt. Une volonté généralisée observée par João Fernandes, directeur commercial chez l'installateur de bornes de recharge ChargeGuru : "Les clients anticipent cette obligation, alors que pour les précédentes lois, nous avions affaire à des retardataires. C'est une bonne chose pour être dans les temps car le déploiement d'un projet va durer en moyenne dix mois." En Ile-de-France, pour encourager les déploiements des retailers, l'Institut Paris Région a développé une application cartographique permettant de visualiser les gisements disponibles pour le développement d'ombrières solaires sur des parkings existants. Cet inventaire a permis d'identifier 30 millions de m² disponibles.

Cette anticipation est d'autant plus importante qu'un projet d'installation va demander une vision large des problématiques. "Avant de déployer des ombrières, il faut avoir une prise de hauteur et réfléchir à la stratégie d'implantation des bornes et déterminer comment va se faire le pilotage du bâtiment. Car l'énergie produite par les panneaux photovoltaïques va avoir une influence sur la gestion énergétique du bâtiment et de ses voisins", met en garde Laure Lepin, responsable Energies Décentralisées chez Equans, qui recommande la mise en place d'une GTB (gestion technique du bâtiment), répondant par la même occasion au décret Bacs dont l'échéance est fixée à 2027. Un avis partagé par Jean-Marc Vauguier, président de Z#bre, entreprise française de digitalisation des espaces de travail : "Ce n'est pas qu'un sujet énergétique, mais aussi d'occupation des espaces. L'IoT permet de récupérer l'information qui ne soit pas déclarative mais réaliste, pour ajuster les consommations d'énergie aux besoins du bâtiment." Cette vision globale du projet permet par la même occasion de résoudre quatre grands challenges liés à ce déploiement d'ombrières.

La puissance produite

"Nous observons un nouveau phénomène : les clients veulent des contrats Spot pour acheter l'électricité à l'heure et jouer sur les tarifs de l'électricité pour optimiser leurs coûts"

Les panneaux solaires recouvrant les ombrières vont délivrer une puissance d'énergie "qui pourrait couvrir les besoins du bâtiment. Pour le déterminer, il faut savoir ce que l'on consomme, l'IoT est indispensable à cela. Il faut alors anticiper en amont que faire des surplus : le partager en autoconsommation collective avec ses voisins ou les revendre sur le réseau", prévient Cyril Sailly, fondateur d'Advizeo, qui avance aussi la possibilité du stockage. Les contrats d'énergie devront être adaptés. "Nous observons un nouveau phénomène, les clients veulent des contrats Spot pour acheter l'électricité à l'heure et jouer sur les tarifs de l'électricité et leur autoconsommation pour optimiser leurs coûts", complète Alric Marc, président et fondateur de la green tech française Eficia, experte du pilotage énergétique des bâtiments tertiaires, qui mène un pilote sur un site de l'enseigne Leroy Merlin. "L'énergie autoconsommée est neutre pour le réseau de distribution. Elle peut être très intéressante dans un contexte urbain pour alimenter plusieurs usages. Mais si les ombrières injectent de l'énergie dans une zone où il y a peu de demande, cela peut générer des contraintes sur le réseau car la production prévue pour un client ne sera pas consommée", confirme Frédéric Alonso, chef de projet Mobilité Electrique chez Enedis.

Le type de borne installé

Le choix des bornes en amont est essentiel pour être compatible avec l'installation. "Les panneaux photovoltaïques produisent du courant en continu. Ils peuvent alimenter directement les bornes de recharge rapide, alimentée en courant continu. Les autres bornes sont alimentées par du courant alternatif. Il faudra alors un onduleur pour effectuer cette transformation. Sinon, l'énergie des panneaux peut être envoyé dans le bâtiment puis revenir aux bornes, mais il faut s'assurer que l'injection dans les deux sens soit possible", détaille João Fernandes, chez ChargeGuru, qui intègre le solaire à son expertise liée à l'IRVE et a remporté l'appel d'offre d'un grand retailer pour débuter un projet lié aux ombrières. Là encore, l'IoT doit être suffisamment développé pour remonter toute la donnée nécessaire au bon fonctionnement des bornes.

Les financements associés

L'emplacement des ombrières et des bornes représente également un point clé. "Il faut que les bornes soient à proximité du poste de transformation. Sinon, il faudra tirer des câbles et cela demandera d'importants travaux de génie civil", rappelle Solal Botbol, fondateur de l'entreprise française experte en mobilité électrique Beev, avant d'ajouter : "Le coût d'un projet est sur-mesure selon les besoins du client. Il dépend du type de bornes choisi, de leur nombre, de leur emplacement, des travaux de génie civil à prévoir et de l'installation par les différents prestataires." Le financement du projet n'est donc pas à négliger. "Le calendrier étant serré, les retailers doivent s'y mettre rapidement et dégager le budget dédié", conseille Cyril Sailly, fondateur d'Advizeo. Autre point de vigilance mis en avant par Laure Lepin, chez Equans : les fraudes. "Les entreprises vont devoir aller vite. Il est important qu'elles mènent le projet dans son ensemble – avancer brique par brique est plus onéreux – et qu'elles s'entourent bien, d'acteurs solides, car en cas de fraudes, ce sont elles qui en paieront le prix fort."

La renaturation des parkings

"La géo-énergie est une énergie renouvelable qui n'est pas dépendante de la météo, évite les nuisances visuelles des ombrières et s'accorde avec la désartificialisation des sols"

Prochain sujet phare lié à la gestion des parkings : la renaturation des sites, par davantage de végétalisation.  Pour privilégier cette pratique, l'entreprise Geosophy met en avant les atouts de la géo-énergie, qui consiste à utiliser la chaleur du sol, sous le bâtiment via un échangeur placé par forage, pour le chauffer ou le refroidir. "La loi ENR prévoit d'exempter d'ombrières les parkings produisant de l'énergie par un autre moyen. La géo-énergie est une énergie renouvelable destinée à l'autoconsommation, qui n'est pas dépendante de la météo, évite les nuisances visuelles des ombrières et s'accorde avec la désartificialisation des sols et la renaturation, ce qui a un effet sur les îlots de chaleur", met en avant sa fondatrice Alice Chougnet. Sa solution décarbonée, qui évalue par IoT et jumeau numérique le potentiel du sol, a pour résultat de réduire la consommation énergétique d'un bâtiment par cinq.

Quelle que soit la solution choisie, le parking s'affirme selon Laure Lepin comme un élément essentiel du smart building : "Cette loi ENR constitue un accélérateur pour l'essor du bâtiment intelligent, le parking en devient la porte d'entrée, tout son environnement est désormais intégré à l'écosystème", se réjouit-elle en conclusion.