Indépendants, pourquoi il ne faut pas se ruer sur le statut d'auto-entrepreneur

Indépendants, pourquoi il ne faut pas se ruer sur le statut d'auto-entrepreneur Les freelances qui ne veulent pas des contraintes administratives liées à la création d'une entreprise se tournent les plus souvent vers le statut d'auto-entrepreneur. Pourtant, il existe des alternatives parfois mieux adaptées à leurs besoins.

Sur les 2,3 millions de travailleurs indépendants répertoriés en 2017, un très grand nombre exerce sous le statut de micro-entrepreneur : plus d'un million en 2017. Il s'agit d'un régime social et fiscal ouvert aux entrepreneurs ayant créé une entreprise individuelle ou une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée. Mais la création d'une entreprise n'est pas obligatoire pour travailler en tant que freelance. Au lancement de son activité, il est possible d'opter pour une couveuse et, ensuite, d'exercer au sein d'une structure de portage salarial ou d'une coopérative d'activités et d'entrepreneurs.

La structure de portage salarial

Les alternatives les plus connues sont les entreprises de portage salarial : l'indépendant est officiellement salarié de la structure, mais c'est lui qui assure la recherche des missions, la négociation sur les conditions avec ses clients, et qui est responsable de l'exécution de la mission. La structure transforme ensuite le chiffre d'affaires réalisé par l'indépendant en salaire. Ce type d'organisation est apparu dans les années 1980, mais la véritable législation sur le sujet n'a vu le jour qu'en 2015. Le nombre d'indépendants en portage est estimé à 50 000 en France.

En portage salarial, l'indépendant cotise aussi bien pour la Sécurité Sociale que pour l'assurance chômage et la retraite

De fait, comme l'indépendant est officiellement salarié, il bénéficie des avantages rattachés à ce statut : il cotise aussi bien pour la Sécurité Sociale que pour l'assurance chômage et la retraite. Les cotisations sociales salariales et patronales sont récupérées sur son chiffre d'affaires par la structure de portage, qui assure leur versement aux différents organismes et se rémunère elle-même par une commission – généralement 5 à 15% du chiffre d'affaires hors taxe. L'indépendant peut également se rembourser ses frais professionnels et ainsi déduire les sommes soumises aux cotisations sociales et à l'imposition.

Ces structures s'adressent à toutes les personnes ayant un statut de cadre, pouvant exercer leur profession de manière indépendante et autonome. Elles concernent en général plutôt des activités principales et régulières, et non un complément d'activité, contrairement à l'objectif du statut d'auto-entrepreneur. Les professions les plus représentées sont celles du conseil. Il est par ailleurs possible d'intégrer une société de portage en conservant ses allocations chômage.

Un chiffre d'affaires minimum est souvent requis afin que le porté puisse se verser un salaire tous les mois

Il n'y a pas de durée limitée à l'activité, pas plus que de plafond de chiffre d'affaires. En revanche, il est souvent demandé un chiffre d'affaires minimum, afin que le porté puisse se verser un salaire tous les mois. L'entrée se fait par la signature d'une convention entre le porté et la société de portage, et les contrats sont ensuite conclus officiellement entre la société de portage et les clients des portés. Un contrat de travail à durée déterminée ou indéterminée est conclu entre le porté et la société est conclu quand il a une mission. En cas de CDI, les périodes sans prestation à une entreprise cliente ne sont pas rémunérées.

Certaines sociétés de portage peuvent offrir des prestations annexes : recouvrement des honoraires non perçus, cartes de visites, standard téléphonique, frappe de documents, formation, appui à la négociation commerciale… Alexis Louvion, chercheur doctorant en sociologie à l'IRISSO, appelle cependant à bien se renseigner avant de choisir sa société de portage : "En 2018, un scandale a éclaté parce que certaines affichaient des commissions très basses mais auraient intégré de faux frais, des cotisations qui n'avaient pas lieu d'être, pour augmenter leurs marges". 

La coopérative d'activités et d'entrepreneurs (CAE)

Peut-être le moins connu des dispositifs pour les travailleurs indépendants, les coopératives d'activités et d'entrepreneurs permettent à l'indépendant d'obtenir le statut d'entrepreneur-salarié. Créées dans les années 1990 et reconnues par la loi de 2015 sur l'économie sociale et solidaire, elles fonctionnent sur un modèle similaire au portage salarial. On compte environ 6 500 entrepreneurs salariés aujourd'hui.

La formation et l'accompagnement sont plus systématiques que dans les sociétés de portage

La formation et l'accompagnement sont plus systématiques que dans les sociétés de portage, notamment pour aider l'indépendant à développer son projet. Au préalable, un contrat CAPE, contrat d'appui au projet d'entreprises,  permet de tester et développer un ou plusieurs projets, avant de se salarier et se verser une rémunération à partir du chiffre d'affaires accumulé. "L'accompagnement, c'est la vraie valeur ajoutée des coopératives", estime Alexis Louvion. C'est d'ailleurs, explique-t-il, l'un des motifs principaux pour rejoindre une coopérative ou une société de portage. "Dans les deux cas, si un indépendant a un problème avec un client, par exemple de recouvrement de facture, il a une grosse structure vers laquelle se tourner."

De plus, dans les coopératives, l'accent est mis sur la coopération entre les membres, qui sont incités à participer à des projets en commun, bénéficient de ressources mutualisées et sont souvent mis en relation par la coopérative. Enfin, ces structures appartenant à l'économie sociale et solidaire, elles s'appuient sur le principe de prise de décision démocratique au sein de l'entreprise. Au bout de trois ans maximum, l'entrepreneur salarié devient associé de la CAE.

"Dans le milieu des CAE, on trouve beaucoup d'intellectuels de gauche, qui ont un niveau de vie assez précaire mais ont la volonté de donner du sens à leur travail"

Ce qui peut donc expliquer une certaine différence de profils, souligne Alexis Louvion : "C'est parmi les auto-entrepreneurs qu'il y a le plus de travailleurs peu qualifiés qui exercent une activité complémentaire, même si de plus en plus de personnes essayent d'exercer une activité à temps plein sous ce statut, ce qui fonctionne rarement. Dans le milieu des CAE, on trouve beaucoup d'intellectuels de gauche, qui ont un niveau de vie assez précaire mais ont la volonté de donner du sens à leur travail. Le portage regroupe quant à lui plus des cadres dont la carrière est en perte de dynamisme et un peu plus âgés. Les sociétés de portage ressemblent plus à des cabinets de conseil. Ils vont plus inspirer confiance à des grands groupes. Mais la différence objective entre les deux n'est pas flagrante. Le lien entre le travailleur et son travail est à peu près le même. Ce sont les liens entre le travailleur et son organisation qui diffèrent".

En revanche, les différences ne sont pas que symboliques avec le statut d'auto-entrepreneur : "Avoir un statut d'auto-entrepreneur, cela prend trente minutes en ligne. Pour le portage ou les CAE, il faut un premier contact, expliquer son projet. Cela peut en rebuter certains de se sentir jugé. Donc les personnes qui y arrivent sont plus prêts. Même si de nombreuses structures proposent un accompagnement et acceptent les projets qui ne sont pas finalisés, il y a une barrière psychologique à l'entrée". Une barrière qu'il peut être intéressant d'affronter pour ceux qui veulent une activité indépendante à temps complet mais ne sont pas à l'aise avec le statut d'entrepreneur.