Le commerce pour sauver la planète ?

Pour assurer le développement durable, les directeurs achats réussiront-ils là où les gouvernements échouent ?

Hong Lee est heureux : son entreprise d'injection plastique située Shangaï vient de décrocher un label environnemental, critère indispensable à la sauvegarde d'un contrat avec une grande entreprise française d'équipements électriques. Demain il appellera son client à Paris pour lui annoncer la bonne nouvelle. En tentant de faire appliquer aux fournisseurs des pays émergents les nouvelles pratiques du développement durable, les acheteurs des multinationales européennes et américaines ne réussiraient-ils pas mieux là où les gouvernements ont en partie échoué ?

Sur le front de l'environnement, les 57 pays qui viennent d'annoncer, suite au sommet de Copenhague, leur objectif de réduction des gaz à effet de serre ont encore montré de par leur manque d'ambition les difficultés des états à s'accorder. Et ce n'est guère plus encourageant sur le plan social, où le conseil des Droits de l'Homme avec ses 47 pays membres est sujet à d'incessantes luttes internes alors même qu'il a été créé pour en renforcer la promotion autour du globe. Mais ces exemples d'une logique onusienne « à bout de souffle » ne doivent pas occulter le mouvement vers un monde plus responsable.

Un nombre croissant de consommateurs exigent que les produits en provenance des pays en voie de développement soient conçus dans des conditions sociales acceptables et sans impacts négatifs sur l'environnement. Quelle maman française achèterait des jouets assemblés par des enfants? Quelle entreprise de cosmétiques survivrait si ces clients apprenaient que la fabrication de leur crème de jour pollue gravement des rivières en Asie? Pour répondre à ces nouvelles attentes, les acheteurs des grandes entreprises introduisent des critères « Développement Durable » dans leurs consultations, obligeant ainsi les entreprises des pays émergents à s'améliorer. Ainsi le Carbon Disclosure Project (qui rassemble 44 multinationales telles que Boeing ou Carrefour) publie un sondage révélant que 59% des entreprises prévoient de déréférencer les fournisseurs qui n'atteindraient pas les objectifs fixés en matière de réduction des émissions de CO2. Mêmes avancées sur les aspects sociaux où une récente étude d'Harvard indique que 45% des plus grandes entreprises européennes intègrent des critères relatifs aux droits de l'homme dans leurs politiques d'achats et que les « Achats Responsables » deviennent une « norme de management ».

Dans le contexte actuel les chances des gouvernements européens de convaincre leurs homologues chinois ou indiens sur les questions du climat et des droits de l'homme sont minces. Et même s'ils parvenaient à leurs fins, combien de temps faudrait-il pour faire appliquer de nouvelles dispositions ? Ce qui d'un côté passe par un long et complexe processus international aux issues incertaines n'est parfois de l'autre que l'affaire de quelques emails. « Plus de trois quarts des fournisseurs mal notés lors de nos audits Développement Durable s'engagent sur des plans d'améliorations» commente le directeur Achats d'un grand groupe de télécommunication. Notre système économique, émancipé des cadres étatiques et ne faisant plus qu'un à l'échelle de la planète, est devenu un vecteur de progrès plus efficace que les traditionnelles relations inter gouvernementales. Et du coup, notre capacité d'influence en tant que consommateur dépasse maintenant largement celle que nous avons en tant que citoyen.

La France vient d'annoncer un déficit commercial de plus de 45 milliards d'euros, un volume encore très important à l'instar des principaux pays occidentaux, en premier lieu les Etats-Unis. Ce chiffre confirme un monde économique où les acheteurs sont les pays industrialisés et les fournisseurs deviennent les pays tels que la Chine, l'Inde ou le Brésil, les plus fortes croissances en matière d'exportations. Ce déséquilibre est un problème mais il s'avère aussi être un espoir dès lors que les consommateurs et les acheteurs intègrent systématiquement le Développement Durable dans leurs décisions d'achat à l'égard des pays exportateurs. « Le temps des grands traités, des grandes déclarations peut s'effacer pour faire du concret » déclarait Nicolas Sarkozy au dernier sommet franco-allemand. Donc acte. Notre déficit commercial est un formidable révélateur de notre position en tant que client et à ce titre il est un effet de levier à ne pas sous-estimer dans un monde, ou plus que jamais et comme le sait parfaitement Hong Lee, le « client est roi ».