Le sauvetage en cours de l’économie sera-t-il éthique et durable ?

Les gouvernements débloquent des milliards pour sauver les entreprises les plus touchées par la crise. Mais ces dernières le méritent-elles vraiment ? Quels sont les risques ? Comment faire accepter cela à la société ? Les explications de Dan Vogel.

5 000 milliards de dollars ont été mobilisés par les gouvernements depuis six mois pour recapitaliser les banques ou garantir des dettes. Cela représente plusieurs centaines de fois le déficit de la Sécurité sociale, ou deux fois le PIB français. Ces chiffres donnent le vertige. Ce montant, égal à 155 millions de SMIC annuels, charges comprises, interpelle le nouveau licencié ou celui qui a des difficultés à boucler ses fins de mois ; ils aimeraient bien profiter de ces sommes également...
 
Il ne fait aucun doute que les injections massives de cash dans l'économie sont indispensables. Il faut à tout prix, au sens presque littéral du terme éviter une crise systémique similaire à celle de 1929. Elle s'est transformée en grande crise (monétaire, boursière, immobilière, économique) notamment à cause d'un manque de liquidités : des entreprises saines et des citoyens solvables ne disposaient plus des fonds nécessaires pour investir et consommer.
 
Cependant, pour éviter d'alimenter une explosion sociale qui aurait plus qu'accessoirement des répercussions économiques, l'intervention salvatrice des gouvernements doit être entendue comme juste, sinon les derniers événements sociaux seront une broutille comparés à ce que nous pourrions connaître.
 
Que doit-on redouter alors ? Dans les années 1930, les sentiments d'injustice, d'appauvrissement général et de chômage participèrent à l'accroissement du racisme, de la xénophobie, de l'antisémitisme puis au déclenchement de la guerre.
 
Nous sommes très loin du pire, mais nous ne l'éviterons que si l'économie ne s'effondre pas et si le sentiment de justice reste peu ou prou intact. Cette équation est difficile. L'économie de marché reste toujours le seul système viable pour assurer la croissance.  Le capitalisme repose théoriquement sur la récompense du plus performant. Or, les aides actuelles se font au gré des urgences et ne gratifient pas les meilleurs acteurs économiques. Elles iraient même jusqu'à aider ceux qui ont été les moins efficaces...
 
Les montants mobilisés posent dès lors plusieurs défis de compréhension dans leur équité. Tout d'abord, comment trouve-t-on si rapidement de pareils montants ? Ensuite, quelle justice prime dans la distribution de ces richesses ?
 
Pour répondre à la première question, 5 000 milliards de dollars représentent un mois de la production de la richesse mondiale, ou encore 20 % de la baisse potentielle du PIB mondial si l'on connaissait une chute de la production mondiale du même ordre que celle entrainée par la crise de 1929 aux Etats-Unis.  Autrement dit : aux grands risques, les grands moyens ! Des investissements de cette ampleur font sens relativement aux pertes qu'ils cherchent à éviter
 
A la seconde question : la distribution de ces aides est elle juste ?, ces montants doivent apparaître essentiellement comme un investissement pour relancer une machine économique en panne. Les gouvernements ne peuvent pas « pêcher » pour des entreprises ou salariés en difficulté, ce ne serait pas durable ; mais leur donner les moyens de « pêcher » par eux-mêmes. Pour le reste, la société civile n'acceptera les renflouements des banques et des entreprises que dans un cadre éthique bien strict. Les entreprises relaient d'ailleurs cette démarche : selon une enquête Enablon du mois de décembre dernier, 74% des entreprises estiment que le manque d'éthique est responsable de la crise financière actuelle. Ainsi, Nicolas Sarkozy en France et Barack Obama aux Etats-Unis exigent des entreprises aidées des règles très strictes de rémunération. Dans la même lignée, ce dimanche 22 février, les dirigeants européens ont convenu que tous les acteurs du système financier devaient être soumis à une réglementation et à des contrôles.
 
 
Les enjeux à court terme de la crise actuelle, ne doivent pas faire oublier le plus long terme. Il faut maintenir la lutte contre le réchauffement climatique. Il faut relancer la construction en investissant sur des matériaux verts : le redémarrage du secteur automobile devra s'appuyer sur les biocarburants et les technologies d'économie d'énergie. Les banques doivent contribuer au financement de programmes pour la gestion durable des forêts dans les pays en voie de développement, etc.
 
Le défi sera alors de faire entendre ces aides par les citoyens, même s'ils sont condamnés à n'en profiter que très partiellement à court terme.