Management constitutionnel : la clé pour aller vers le self-management

Comment une entreprise, évoluant dans un environnement en accélération permanente, pourrait-elle espérer se développer sans une réelle capacité à s'adapter et à se transformer aussi vite que le changement lui-même ?

Enjeu central de cette transformation, l’organisation est au cœur de la question dès lors que l’entreprise décide de se lancer. D’ailleurs, pour beaucoup, le meilleur moyen de changer et de s’adapter serait, invariablement, de se réorganiser. Pourtant, une réorganisation se traduit le plus souvent par un simple changement de forme et non cette profonde mutation qui seule permet de vraiment tenir compte d’un monde qui change voire de l’anticiper, de faire du changement au quotidien une seconde nature de l’organisation, son ADN.

De la transformation à la "transmutation"

Le concept VUCA, inventé par des militaires américains pour essayer de traduire la difficulté de prendre des "décisions dans un environnement complexe et incertain", illustre à merveille le dilemme auquel la plupart des entreprises et leurs patrons se trouvent confrontés. Face aux risques et aux incertitudes qui sont leur quotidien, ces derniers se lancent dans la transformation de leur entreprise. Avec un objectif somme toute simple : garantir la pérennité et le développement de l’entreprise dont ils ont la responsabilité.

Malheureusement, face à l’importance et la complexité de l’enjeu, la transformation ne suffit pas. Car, telle que nous l’observons depuis des décennies, elle se construit invariablement sur une illusion. Celle d’une réorganisation de l’entreprise et des équipes qui change la forme mais ne répond pas aux questions de fond.

En soi, cette transformation cherche à apporter une réponse à un enjeu, à un problème identifié. Elle est une réponse conjoncturelle ou ponctuelle à une question qui, en réalité, est, elle, structurelle. L’enjeu est donc, non de transformer l’entreprise mais de la doter d’une organisation, d’une gouvernance capables d’incarner "nativement" le changement. En somme, dans un monde incertain comme celui que décrit le concept VUCA, l’idée est de changer d’échelle, de bâtir des organisations évolutives, dont le changement est l’ADN.

Pour ce faire, le dirigeant doit accepter de se réinventer, permettre à l’entreprise de se transformer, parfois, sans qu’il intervienne directement. Pour que chacun soit en capacité de transformer l’entreprise au fil de l’eau, embrasse et incarne le changement. Chaque collaborateur doit avoir le pouvoir d’agir, de "gouverner" toutes les limites, les tensions qu’il rencontre dans l’exercice de ses activités. C’est ce que permet l’holacratie. Surtout, tous participent au changement, mettent en œuvre une somme considérable de micro-restructurations au fil de l’eau. C’est ceux qui font et qui savent qui sont enfin ceux qui gouvernent leur travail. L’entreprise et son organisation se comportent alors comme un organisme vivant. De son côté, le dirigeant se concentre sur l’organisation et son fonctionnement. Il agit en véritable chef d’orchestre, donne vie à un système de rôles et de responsabilités distribués, conduit l’organisation vers une forme de "fractalisation" où tous fonctionnent de concert.

To be or not to ?

Bien sûr, la rupture est majeure et le changement d’échelle tout sauf un jeu d’enfant. Conscients que leur entreprise ne peut rester figée dans un modèle de fonctionnement, un modèle organisationnel incapables de répondre aux mutations de notre monde, et aux accélérations croissantes qui le traversent, beaucoup de patron tentent de se réinventer. Ils sont convaincus que pour rester dans la course, leur entreprise doit être en mesure de s’adapter, de "pivoter" ; de répondre aux aspirations d’autonomie, de responsabilité et de reconnaissance des collaborateurs. Pourtant, bien souvent, du moins dans une phase initiale, il reste difficile pour ces dirigeants d’accepter l’idée qu’il ne s’agit pas de réorganisation, de transformer leur organisation mais de la réinventer, de revoir l’exercice du pouvoir à sa racine.

Prenons l’exemple de ce dirigeant d’une entreprise d’import-export que j’accompagne depuis quelques mois. Dès le départ, il est convaincu qu’amener son entreprise au-delà de la transformation, à se transmuter est vital. Pourtant, difficile pour lui d’abandonner ses réflexes, ses repères et ses prérogatives. S’il a conscience de la nécessité d’une organisation "réinitialisée", il continue de se voir comme celui qui trace l’horizon, fixe les objectifs, celui qui réinvente l’entreprise mais dans le cadre de sa perception du besoin et du changement. Il se focalise sur le "to be" même s’il sait par expérience qu’il aura du mal à le mettre en œuvre auprès des équipes, au lieu de partir de la situation réelle et constatée, de laisser opérer l’holacratie, vecteur et moteur permanent de changement. De plus, comme le démontre Elliott Jaques dans ses travaux sur la structure requise, il est illusoire de penser que le patron est en capacité de définir seul, ce qui est ou doit être, le "to be". En somme, soucieux de concilier la nécessaire mutation de l’organisation et sa vision, il cherche à accommoder les deux. Ayant choisi l’holacratie, il éprouve une grande difficulté à accepter qu’il n’y aura pas de retour en arrière possible. Inconsciemment, il tente de faire rentrer" l’holacratie dans sa vision. Et malgré ses efforts pour créer les conditions pour accompagner le changement en embarquant les collaborateurs à coup de forum, d’intelligence collective, la solution se dérobe ; le "to be" reste illusoire et inaccessible.

La gouvernance constitutionnelle, clé de la méta-transformation

Plutôt que de persister avec une transformation de l’entreprise incapable de répondre aux challenges d’un monde en constante mutation, il est donc essentiel d’agir sur l’essence même de la gouvernance pour en faire un système évolutif. L’entreprise doit se muer en un organisme vivant, en un organisme en mouvement, en un organisme "mutant".

C’est ce que permet l’holacratie. Elle offre à chacun le cadre et les outils pour mettre en place les transformations qu’il juge nécessaire dans l’exercice de son travail. Désormais, la transformation est à la charge de chacun ; à partir de ses tensions, dans le cadre de ses rôles. Alors que le patron se concentre sur la méta-transformation de l’entreprise, chacun gouverne ses changements. Un gage d’efficacité et un gain de temps considérables pour l’organisation.

Un résultat rendu possible grâce à la mise en place d’une organisation et d’une gouvernance constitutionnelles. Bâtie sur une Constitution qui vient expliciter les règles qui régissent l’organisation et instaure une égalité de tous devant ces dernières, l’entreprise dispose des armes pour faire face aux mutations qui animent son environnement. Désormais, le gouvernance descend à tous les étages. Elle est distribuée, en fonction des talents et des aspirations, et donc démultipliée. Avec la gouvernance constitutionnelle, fini le traumatisme des restructurations incessantes ; fini le lien de subordination qui contraint chacun et, finalement, empêche l’entreprise de faire du changement une "seconde nature".

La gouvernance constitutionnelle permet enfin de concilier le management – les leaders de cercles en holacratie, ces rôles qui structurent et distribuent les responsabilités – et le self-management qui permet à chacun et à tous de gouverner tout ce qui limite l’exercice des rôles dont ils ont la responsabilité et sur lesquels ils ont pleine autorité. Les fondements d’une organisation vraiment évolutive et pérenne sont en place.