Le digital, un rempart à la crise pour les entreprises, oui… mais pas pour les raisons auxquelles on pense !

Beaucoup a déjà été écrit sur le fait que les entreprises qui résistent le mieux à la crise du COVID-19 sont celles qui ont le plus avancé leur digitalisation… Mais est-ce réellement une question d'outils ?

Certes, les distributeurs qui ont déployé des stratégies omnicanales, les industriels qui ont connecté leur supply chain ou les entreprises qui avaient posé les bases du télétravail s’en sortent globalement mieux et peuvent assurer une certaine continuité de service. Mais cela sera-t-il suffisant pour résister à long terme ? 

Encore une fois, cette vision de la digitalisation réduit la transformation numérique à une logique d’outils et de technologies. Or, pour que ces outils soient déployés de façon efficace, un travail de fond sur la culture de l’entreprise doit être mené. Il ne suffit pas d’équiper ses collaborateurs d’un ordinateur portable pour basculer toute une organisation vers le télétravail. Il ne suffit pas de multiplier les capteurs connectés sur ses chaînes de production pour vraiment “digitaliser” son usine. 

Si certaines entreprises arrivent à répondre à la crise avec plus de réactivité et de pertinence que d’autres, c’est certes parce qu’elles ont intégré les outils numériques à leurs organisations, mais surtout parce qu’elles ont adopté la culture du digital et les valeurs qui en découlent.

Il s’agit par exemple de l’agilité, qui passe souvent par la mise en place d’équipes pluri-disciplinaires responsables de leurs “produits” et conscientes des attentes de leurs clients. Il y a aussi la rapidité d’exécution, grâce à des cycles courts qui permettent d’innover, pivoter et itérer rapidement. Citons enfin la culture de la collaboration, qui permet d’intégrer rapidement de nouveaux partenaires pour co-concevoir des produits et des services innovants.

Si Decathlon a pu si rapidement s’organiser pour répondre à la demande des hôpitaux pour son masque Easybreath et monter une “task force” de cocréation avec une trentaine d’acteurs, c’est parce que l’entreprise a, de longue date, intégré ces principes d’agilité et de collaboration à ses modes de fonctionnement. Plus prosaïquement, cette approche lui a aussi permis de lancer rapidement un nouveau canal de vente, avec l'installation de corners dans les Franprix parisiens, quelques semaines après le début du confinement.

De la même manière, nul doute que dans cette crise, Carrefour a profité du travail mené depuis plusieurs années avec Google, mais aussi de l’intégration de différentes start-up (Greenwiz en 2016, DejBox et Potager City en 2020) pour imaginer rapidement des offres alternatives de livraison ou monter en un temps record un partenariat avec Uber Eats à Paris.

A ces valeurs, on pourrait aussi ajouter le sens, ou le “why” en anglais, qui trouve une traduction en français dans la “raison d’être” désormais à la mode. Par exemple, le “why” de Google n’est pas de vendre de la publicité (même si c’est toujours le coeur de son activité et de ses revenus), mais d'organiser les informations à l'échelle mondiale pour les rendre accessibles et utiles à tous” : un “purpose” suffisamment porteur (et large) pour motiver les équipes et adapter l’organisation aux changements de son marché. 

Si Pernod Ricard a été l’une des premières grandes entreprises à réorienter la production de ses usines dans le monde vers les gels hydroalcooliques, c’est parce que “construire un monde meilleur” (“Let’s live together, better”) fait partie de ses valeurs… mais l’entreprise n’a pas attendu Google pour se doter d’une raison d’être et faire preuve d’agilité : en 1940, Paul Ricard ne pouvant plus fabriquer son pastis a réorienté sa production vers le riz, pour participer au ravitaillement du pays... La leçon de cette crise, pour les entreprises, et plus largement pour la société dans son ensemble, pourrait être la suivante : la technologie, seule, ne fera pas de miracle - les hommes qui l’opèrent, si.