Les deux combats que Google a dû mener contre lui-même

La firme de Mountain View a failli rater un grand rendez-vous stratégique au moment de l'intégration de YouTube et a complètement manqué celui de la Chine.

Rapidement après le rachat de YouTube par Google, un problème de taille va se poser. Les deux entreprises vont réaliser qu’elles ont des approches parfaitement divergentes. Tout l’effort historique de YouTube est naturellement de proposer à l’utilisateur la vidéo qu’il a recherché, mais surtout de lui en proposer d’autres afin qu’il reste sur YouTube le plus longtemps possible. Google quant à lui fonctionne avec une logique parfaitement inverse. Le moteur de recherche vise précisément à minimiser le temps que vous passez sur Google pour, en vous présentant les meilleurs résultats de recherche, vous encourager à cliquer sur un lien qui vous conduira ailleurs que sur Google.

Deux philosophies s’affrontent alors en interne. La première vise à augmenter l’engagement, autrement dit le temps passé sur YouTube. La seconde cherche à augmenter votre dépendance à Google, comme passage obligé. Il en coûtera six mois de débats internes, houleux et tendus, pour que Google acceptent d’adapter son algorithme aux impératifs et à la logique de YouTube. Une décision clés dans l’histoire de la firme de Mountain View étant donné qu’un choix contraire aurait peut-être tout simplement contribué à l’étouffement de YouTube.

Le second virage stratégique que Google ne saura pas prendre cette fois-ci est celui de la Chine. Quand Google décide de partir à l’assaut de l’Empire du milieu, les Chinois utilisent déjà massivement le moteur de recherche local Baidu. Son fondateur Robin Li est un spécialiste de la recherche en ligne et n’a qu’une seule obsession : imiter les fonctionnalités de base de l’algorithme de Google mais adapter constamment son moteur de recherche aux pratiques chinoises.

Les cartes thermiques permettent de comprendre combien les Chinois naviguent d’une manière différente de la nôtre. Les zones vertes sont celles que les personnes survolent, les jaunes celles qui ont été regardées attentivement, et les points rouges marquent les clics. La comparaison de deux panels d’utilisateurs, les uns chinois, les autres américains permis à Kai-Fu Li, alors PDG de Google China, de montrer que les Américains passaient en moyenne dix secondes par page avec des cartes thermiques comprenant des amas de vert et de jaune en en haut à gauche de la page, là ou apparaissent les résultats les plus pertinents et deux ou trois points rouge se baladant sur les deux premiers de la liste. En revanche, les utilisateurs chinois s’attardaient entre trente et soixante secondes sur la page. L’angle situé en haut à gauche concentrait la majorité des survols, et le reste de la page offrait un joyeux fouillis de tâches vertes et de petits points rouges. En réalité, les yeux des chinois bondissaient d’un résultat à l’autre, cliquant presque impulsivement à chaque occasion. Là où les Américains utilisaient Google comme on recherche dans les Pages Jaunes, les Chinois se comportent comme dans les centres commerciaux, curieux de tout, voulant essayer tous les produits avant d’en choisir un.

De ce constat, Kai-Fu Li sortit convaincu qu’il fallait faire évoluer l’approche de Google pour la Chine. Sa préconisation fut que Google permette l’ouverture d’autant de fenêtres que de clics effectués par un utilisateur depuis une page de résultats de recherche. Une demande inhabituelle et difficile à défendre puisque le titan de la Silicon Valley était alors doté de processus d’évaluation indéterminable car ce type de changement génère dans le code source des forks, des sortes de "dérivés" rendant alors la maintenance plus compliquée. Les tractations internes dureront six mois. Six mois de trop, puisqu’ils suffirent au moteur de recherche local Baidu pour prendre un temps d’avance, qu’il a ensuite conservé.

Par delà la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis et une volonté manifeste de Pékin de protéger ses champions de l’Internet localement de la menaces des titans américains, l’attitude de Google en Chine fait immanquablement penser à celle de McDonald qui proposa des menus non-végétariens en Inde pendant quinze ans, avant de se résigner à faire évoluer ses menus. Sergey Brin et Larry Page pensent-ils à l’échec de Google China chaque fois qu’ils mangent un Big Mac ?