Avez-vous intérêt à partager vos grilles de salaires en interne ?

Avez-vous intérêt à partager vos grilles de salaires en interne ? Chez Luko, Lucca et Vendredi, les salariés ont accès aux grilles de salaires détaillées. On vous explique quels peuvent être les avantages et les inconvénients d'un tel système pour leur employeur.

Parler d'argent en entreprise, vous vous y risqueriez ? Le sujet semble (encore) tabou. Seuls 8% des salariés français déclarent que leur entreprise divulgue en interne les échelles salariales - contre 15% au Royaume-Uni et 12% en Allemagne, à titre de comparaison -, d'après une enquête Glassdoor réalisée en avril 2022.

Luko fait partie de ces entreprises qui partagent leurs échelles salariales. "C'est très sain. Il n'y a pas de tensions, au contraire : cela permet d'ouvrir le dialogue entre collègues", avance Mónica Angeli, head of people. La grille des salaires de l'insurtech de 200 collaborateurs, basée sur 5 critères (métier, niveau d'expertise, expérience, niveau managérial et lieu de résidence) et accessible ici, est publique depuis le lancement de la start-up en 2018. "Les collaborateurs la consultent très souvent. Elle prend évidemment plus d'importance au moment du cycle de performance", fait savoir la head of people.

Outil de motivation et d'attractivité

Cette transparence est avant tout un outil de motivation pour les collaborateurs. "Nous sommes tous motivés par le côté financier, on sait qu'on travaille pour atteindre le prochain objectif, remarque Mónica Angeli. La grille de salaires permet aux collaborateurs d'avoir de la visibilité sur leur développement de carrière. C'est aussi un point fort pour notre marque employeur, nous sommes alignés en interne avec notre envie de rendre l'assurance transparente pour nos clients."

Même son de cloche chez Lucca, dont la grille est basée sur trois critères : le métier, le niveau d'expertise et le lieu de résidence du collaborateur. "On s'est donné pour objectif d'atteindre 900 collaborateurs en 2025. Pour cela, nous avons besoin d'attirer les meilleurs talents, appuie Charles de Fréminville, DRH de l'entreprise. La grille de salaires transparente nous permet de fidéliser nos salariés, parce qu'il n'y a pas de tension inutile à ce sujet. D'autre part, c'est un point qui nous différencie des concurrents, donc qui nous aide à recruter. Les candidats comprennent comment vont être fixés leurs salaires." La start-up e-RH mise sur la transparence des salaires depuis son lancement il y a vingt ans. Elle se réserve le droit de verser une prime diplôme de quelques milliers d'euros aux jeunes talents sortant d'une grande école.

L'aboutissement d'une stratégie de transparence

Les collaborateurs se comparent-ils les uns aux autres ? "Pas plus que ça, défend le DRH qui soutient ne jamais avoir été confronté à des cas de curiosité maladive et déplacée. L'idée derrière la grille transparente est de faire taire les bruits de couloir." Pour Yaël Guillon, fondateur d'imfusio, cabinet de conseil en transformation de la culture managériale, "il y a forcément un risque que les équipes se comparent et qu'une grille de salaires transparente en interne soit source de tensions. Mais c'est le cas, même quand ce n'est pas transparent. Là, au moins, il y a possibilité d'en discuter."

Partager en interne la grille de salaires signifie, selon les critères retenus, s'engager a minima à ce que tous les collaborateurs reçoivent à poste égal, le même salaire (et les mêmes avantages salariaux). Atteindre cette transparence présente un intérêt si elle traduit un système de confiance déjà en place dans l'entreprise. En effet, "il est très difficile de passer d'une structure qui n'est pas transparente à une structure transparente", estime Yaël Guillon, qui conseille de ne pas débuter un processus de transformation de la culture d'entreprise avec le sujet de l'argent. "Quand on parle de salaires, cela touche les individus dans leur sentiment de légitimité. Cela peut être émotionnellement très fort. Si soudainement, je rends les salaires transparents, ressortiront jalousie et malaise."

"Ce n'est pas un modèle universel, reconnaît Charles de Fréminville, DRH de Lucca. Il doit correspondre à l'ADN de l'entreprise."

Un système qui force à la réactivité

"Parvenir à une transparence des salaires permet de repérer les écarts de salaires parce que l'information remonte de manière beaucoup plus rapide, assure Charles de Fréminville. "Les collaborateurs abordent davantage le sujet, donc les erreurs sont très vite cristallisées, abonde en ce sens Félix de Monts, cofondateur de Vendredi. Ce système force à l'exemplarité en tant qu'employeur, il oblige à justifier ses décisions." Ou à corriger ses erreurs.

La grille de Vendredi, dont la plateforme permet aux entreprises de proposer à leurs salariés de s'engager auprès d'associations, s'est structurée au fur et à mesure de son évolution, avec un principe directeur. "Nous limitons à 20% l'écart de rémunération entre les salariés qui ont le même niveau de formation, indique Félix de Monts. Cela signifie par exemple que la rémunération de nos développeurs et de nos commerciaux est un peu en dessous du niveau du marché. D'autres métiers sont un peu au-dessus. Ce système nous permet d'incarner nos valeurs, ce qui est important pour l'attractivité. Nous sommes convaincus qu'il est très important d'avoir accès à l'information au sein de l'entreprise."

Un risque de nivellement des salaires par le bas

Reposant sur le principe "à poste égal, niveau d'expertise égal et lieu de résidence 'égal', salaire égal", la transparence des grilles de salaires laisse peu de marge de manœuvre aux employeurs. "On ne négocie pas les salaires, les candidats prennent ou ne prennent pas", résume Félix de Monts. Les talents les plus à l'aise dans l'art de la négociation ne sont pas plus avantagés que les autres.

Si les bénéfices de ce principe sont certains, il induit également une forme de rigidité. "Le fait que cette grille soit transparente favorise l'inertie, admet le cofondateur de Vendredi. On ne peut pas faire d'exception. Si je souhaite vraiment recruter un profil qui demande plus que ce qui est fixé par la grille, je dois la modifier. Si je veux récompenser quelqu'un, c'est pareil." Dans de tels cas, les modifications à la hausse seraient valables pour tous les collaborateurs et impliqueraient de repenser et restructurer la totalité de la grille. "En tant qu'employeurs, nous sommes donc moins poussés à être généreux", regrette Félix de Monts.

Luko a peut-être trouvé une solution en conservant une marge de manœuvre de 3%. "Il y a toujours des candidats plus difficiles à séduire, des candidats dans lesquels on perçoit un potentiel, mais qui viennent d'une entreprise où ils étaient mieux payés que ce que prévoit notre grille de salaires, relate Mónica Angeli. On utilise alors cette petite marge de négociation."