Le management Playmobil

"On n'est pas des pions, on n'est pas des playmobiles !" se plaignent les salariés, d'un coup réorganisés et dispersés selon la nouvelle transformation venue d'en haut.

Bien sûr, ils s’exécutent, et bien sûr, le plan d’actions du comité exécutif, tout brillant qu’il fût, finit par ne pas porter les fruits promis. Le réel résiste : c’est sa définition même.

Schéma mille fois répété, et qui se répétera encore. Appelons-le “le management Playmobil”. 

Enfants & Playmobil

Tout le monde connaît ce jeu où les figurines incarnent les histoires inventées par les enfants. 

Quand on y réfléchit, ce qui caractérise ce jeu, c’est la distinction absolue entre deux catégories de personnages : 

  • les enfants, qui agissent les figurines à leur guise ;
  • et les figurines, qui peuvent prendre tous les rôles qui leur sont assignés.

Grâce à la standardisation des équipements, les figurines sont interchangeables : l’Égyptien antique peut piloter un hélicoptère, la princesse armer un canon, le pirate gérer la ferme, le jardinier devenir cosmonaute… Le monde playmobil ne connaît nulle compétence ni spécialisation.

La métaphore managériale affleure. D’un côté, les “dirigeants”, qui assignent les rôles et décident des actions à mener. Et de l’autre, les “exécutants”, sommés de se conformer à ces plans, indépendamment de toute notion de métier. On a pu ainsi voir un cantonnier nommé contrôleur sanitaire, une secrétaire transformée en chef de produit, ou un responsable de production se retrouver chargé d’affaires juridiques…

Le vrai jeu est entre les enfants

Une fois les figurines installées, le déroulé des événements dépend uniquement du bon vouloir des enfants et de leur jeu entre eux. Les playmobil sont des “objets transitionnels”, pour prendre un terme issu de la psychologie. Ils ne comptent pas en eux-mêmes, ils ne sont que des prétextes, des intermédiaires qui permettent au vrai jeu de se dérouler. Le vrai jeu est celui qui se déroule entre les enfants.

Dans la partie, il n’est pas rare de voir les playmobil dévastés par les disputes des enfants. Il devient alors évident que les plans élaborés par les uns et les autres ne se sont pas déroulés comme prévu, mais au contraire ont été réduits à néant dans leur confrontation au réel du terrain de jeu.

Encore une fois, la métaphore managériale vient avec évidence. L’entre-soi des dirigeants, et la distance maintenue avec les opérationnels, font que certains comités de direction finissent par ressembler davantage à une cour d’école qu’à un collectif de professionnels orientés par un objectif commun. 

Pendant ce temps, les équipes se disloquent, et le travail ne se fait plus… 

Diriger, c’est permettre à un corps social de fonctionner 

La distinction étanche entre dirigeants et exécutants est fantasmée. La force du fait social l’emporte sur ces considérations hiérarchiques. 

Toute organisation est un corps. Ses membres, où qu’ils soient situés, sont pris dans des interactions profondes auxquelles ils ne peuvent se soustraire. Le rôle des dirigeants est précisément de faire en sorte que ce complexe social fonctionne, c’est-à-dire qu’il agisse selon son objet : que l’entreprise ou l’administration produise ses services dans la durée.

Agir comme si l’action collective était essentiellement descendante, c’est se vouer à l’impuissance organisationnelle : les plans ne passent pas en œuvre. Le dirigeant doit s'inscrire dans le corps social pour contribuer à le faire vivre et à orienter ses interactions. 

Le management playmobil est l’enfance du management. La maturité du management oblige à s’intéresser aux dynamiques sociales, qui sont l’objet même de son action. Et elle oblige à voir dans chacun une personne à part entière, avec ses compétences propres et les responsabilités qui les accompagnent. 

Dans la vie, les acteurs ne sont pas les enfants mais les playmobil.