Et si les hommes préhistoriques travaillaient mieux que nous
Les hommes préhistoriques riraient de nos méthodes rigides, eux qui excellaient en collaboration adaptative, loin des caricatures, face aux défis en temps réel.
Si les hommes préhistoriques pouvaient nous observer aujourd’hui, leurs éclats de rire résonneraient à travers le temps, amusés par nos tentatives modernes de travail en équipe qui paraissent bien souvent rigides et contre-productives en comparaison avec leur flexibilité et leur ingéniosité d’antan. L’homme préhistorique, loin des caricatures de brutes simplistes armées de massues, fit preuve au contraire d’une étonnante capacité, souvent sous-estimée, à collaborer de manière intelligente et adaptative. Dans un monde où la technologie et les processus formels dominent chaque aspect de notre vie professionnelle, nous avons peut-être perdu la capacité à nous adapter spontanément aux défis en temps réel, une compétence que nos ancêtres maîtrisaient avec brio.
Un passé de liberté et d’adaptation
L’homme préhistorique faisait preuve d’une grande maturité vis-à-vis du pouvoir. Les sociétés préhistoriques ajustaient leur structure sociale avec les saisons, renforçant les hiérarchies durant les périodes de récolte ou de chasse, puis revenant à des formes égalitaires en temps moins intensifs, illustrant une flexibilité organisationnelle face aux besoins changeants. Il arrivait même que le rôle de chef circule d’une tribu à l’autre, en fonction de rites solaires, afin d’éviter la dispute du pouvoir.
En Turquie, le site de Göbekli Tepe
L’archéologie sociale a révélé à Göbekli Tepe, en Turquie, un ensemble de structures monumentales datant de plus de 11 000 ans. Ces cercles de pierres massives, érigées avant même l’émergence de l’agriculture, suggèrent une collaboration collective à grande échelle. Sans hiérarchie apparente, les chasseurs-cueilleurs ont coordonné leurs efforts pour transporter et sculpter ces pierres, créant un lieu à forte signification culturelle. Ce projet montre une capacité à planifier et à travailler ensemble pour atteindre un objectif commun, démentant les stéréotypes de sociétés primitives.
De plus, l’homme préhistorique avait des villes multifonctionnelles. À Çatalhöyük (Turquie), les maisons étaient agencées pour que les toits servent de passages et d’espaces publics, optimisant l’espace et facilitant la défense, tout en favorisant la cohésion sociale, témoignant d’une planification urbaine intégrant des considérations sociales et sécuritaires.
Les peintures rupestres de Lascaux
Les peintures rupestres de Lascaux, en France, ne sont pas seulement des chefs-d’œuvre artistiques, elles sont aussi l’expression d’une dynamique de travail collectif sophistiquée. Les différentes couches de peinture, les superpositions et les techniques utilisées indiquent que plusieurs individus ont travaillé ensemble, partageant des compétences et des outils. La planification des thèmes, des motifs et des emplacements dans des grottes sombres était un exploit logistique, prouvant l’existence de réseaux sociaux et de rôles spécifiques au sein du groupe.
Enfin, l’adaptabilité des outils et techniques était la norme. Les communautés préhistoriques étaient adeptes dans la création d’outils à partir d’os et de silex, adaptés aux besoins variés et souvent modifiables, révélant une approche pragmatique et ingénieuse face aux défis quotidiens.
La chasse à l’épuisement comme modèle de collaboration intelligente
Dans de nombreuses sociétés préhistoriques, la chasse à l’épuisement constituait une méthode collective particulièrement ingénieuse et efficace. Elle consistait à traquer un animal sur de longues distances jusqu’à ce qu’il s’épuise, incapable de continuer à fuir. Cette technique ne nécessitait pas d’armes sophistiquées, mais reposait sur une connaissance fine de l’environnement, des comportements animaux et surtout sur une collaboration étroite entre les membres du groupe.
Graeber et Wengrow soulignent que ce type de chasse exigeait :
- Une planification collective : les chasseurs devaient anticiper les mouvements de l’animal, identifier les terrains les plus favorables et ajuster leur stratégie en temps réel.
- Une répartition des rôles : chaque individu jouait un rôle spécifique, que ce soit pour pister l’animal, relayer l’information ou préparer des embuscades. La coordination était essentielle pour maximiser les chances de succès.
- Une endurance et une adaptation remarquables : les chasseurs utilisaient leur capacité à réguler leur température corporelle et à parcourir de longues distances pour surpasser l’animal, démontrant une maîtrise exceptionnelle de leurs capacités physiques et mentales.
Une leçon d’ingéniosité collective
La chasse à l’épuisement n’était pas seulement un moyen de subsistance, mais aussi une activité qui renforçait la cohésion sociale. Chaque membre du groupe devait non seulement contribuer à l’effort commun, mais aussi avoir confiance en ses pairs pour accomplir leur rôle. Cette approche collective contraste fortement avec la perception individualiste souvent attribuée aux sociétés préhistoriques. Graeber et Wengrow utilisent cet exemple pour démontrer que ces communautés étaient capables d’une organisation sophistiquée, adaptative et profondément collaborative.
En regardant cet exemple à travers le prisme des sociétés modernes, la chasse à l’épuisement nous rappelle l’importance d’une planification flexible et d’une répartition équitable des responsabilités, des qualités souvent négligées dans les organisations bureaucratiques contemporaines.
La bureaucratie moderne : un spectacle comique pour nos ancêtres
Imaginez la scène : des hommes et des femmes de la préhistoire, observant les employés d’aujourd’hui naviguer dans un labyrinthe de bureaucratie, de réunions interminables et d’emails incessants. Leurs rires seraient nourris par l’absurdité de notre incapacité apparente à communiquer efficacement face à des tableurs Excel plutôt qu’à des défis tangibles et immédiats. La juxtaposition de notre dépendance à des outils de gestion et leur approche organique de la collaboration souligne un décalage presque drôle.
Ce regard vers le passé devrait nous inciter à réfléchir sur notre propre manière de travailler. Sommes-nous vraiment plus avancés si notre « progrès » entrave la spontanéité et l’adaptabilité qui caractérisaient tant nos ancêtres ? Il est temps de redécouvrir certaines de leurs méthodes de collaboration et d’intégration sociale, et peut-être de rire un peu de nous-mêmes au passage.
Notes et références
(1) C’est du moins ce que met en lumière le livre « Au commencement était : Une nouvelle histoire de l’humanité » par David Graeber et David Wengrow. Graeber, D., & Wengrow, D. (2021). Au commencement était : Une nouvelle histoire de l’humanité. La Découverte.
(2) Schmidt, K. (2000). Göbekli Tepe \u2013 the Stone Age Sanctuaries: New results of ongoing excavations with a special focus on sculptures and high reliefs. Documenta Praehistorica, 37, 239-256.Hodder, I. (2006). Çatalhöyük:
(3) Clottes, J. (2008). Lascaux: A Work of Memory. In The Dawn of Human Culture, Cambridge University Press, 25-35.
(4)Bar-Yosef, O. (2002). The Natufian Culture in the Levant, Threshold to the Origins of Agriculture. Evolutionary Anthropology, 6(5), 159-177.
(5) Whallon, R. (2006). Social Networks and Information: Non-\u00E9galitarian Mobility among Hunter-Gatherers. Journal of Anthropological Archaeology, 25(2), 258-270.
(6) Crozier, M. (1964). Le phénomène bureaucratique. Éditions du Seuil.
(7) Simon, H. A. (1947). Administrative Behavior: A Study of Decision-Making Processes in Administrative Organizations. Macmillan.
(8) Galbraith, J. K. (1967). The New Industrial State. Houghton Mifflin.