Le bonheur au travail… Mytho, boulot, dodo ?

A l'heure où la bataille fait rage dans le monde des technologies pour attirer les meilleurs profils, la messe est loin d'être dite pour les PME et ETI ! Intéressons-nous donc à quatre leviers essentiels à l'épanouissement, et donc à la fidélisation des profils "Tech ".

Le secteur du numérique n’échappe pas aux effets de mode. Le dernier en date a vu débarquer des chief hapiness officers et autres responsables du bonheur au travail. Le seul énoncé de la fonction résume sa contradiction fondamentale : le bonheur n’est ni un diktat, ni un décret, et le seul fait de l’instaurer comme nouvel objectif professionnel crée une injonction paralysante, dénoncée par l’économiste Nicolas Bouzou et la philosophe Julia de Funès.

Dans la technologie comme ailleurs, le vrai débat se situe derrière cet écran de fumée. Une entreprise saine et performante repose sur un premier pilier qui est un truisme : avant de proclamer le bonheur des équipes, soucions-nous de ne pas les maltraiter ! Que ce soit au plan physique (bruits, pollutions, charges, risques, horaires décalés) et psychique (manipulation, harcèlement, dénigrement, surmenage). À ce propos, rappelons que le terme anglais manager vient du français ménager. 

Une fois ceci posé, les facteurs d’épanouissement professionnels sont bien plus subtils et le plus souvent spécifiques au métier concerné. Voici, selon moi, les quatre leviers essentiels à l’épanouissement, et donc à la fidélisation des profils "Tech". Bonne nouvelle : nul besoin d’être né dans la Silicon Valley pour les mettre en pratique (bien au contraire) !

Le socle : la passion de la technologie

Dans notre industrie de la Tech, il va sans dire que le premier facteur de motivation repose sur la passion de l’innovation, de la disruption, sur le besoin incessant de créer de nouvelles voies, pour faire mieux ou différemment. Cela signifie que les recrues (ingénieurs, développeurs, techniciens) veulent intégrer un environnement de travail a minima "à l’état de l’art", tant en termes de technologies (Python, .NET Core, Java, Progress SQL, Greenplum, Dataiku, React, Angular…) que de méthodes utilisées (Kanban, Scrum).

Cette assurance ne naît pas de promesses marketing mais de preuves. Pour attirer les bons profils, toute entreprise tech doit révéler ce qui se passe sous le capot », à travers des blogs et des communautés animées par ses salariés, des conférences, des séminaires... Le code est un langage vivant, d’autant plus performant qu’il se propage de pair à pair. Il est aussi essentiel d’associer lors des recrutements des binômes technologiques et ressources humaines afin de s’assurer au plus tôt d’une évaluation "à 360 degrés" du candidat, et réduire ainsi le risque de manquer le recrutement d’une pépite. La future recrue sera au moins autant intéressée par les avantages matériels liés à un poste et les technologies à disposition que par la prise en compte intelligente de sa singularité.

Deuxième levier : recruter et penser "hors du cadre"

J’ai dans mes équipes un ancien cuisinier devenu administrateur de base de données ou un jeune diplômé en biologie devenu ingénieur de développement. Pourquoi avoir recruté de tels profils ? Leur trajectoire atypique est révélatrice de qualités essentielles : savoir se remettre en question, se donner les moyens d’aboutir, avoir confiance en soi et être persévérant. Disposer de telles personnalités insuffle d’autres façons de penser et d’agir. Cela joue sur l’émulation et "l’émulsion" de ces talents en puissance.

De même, un ingénieur évoluant vers le commercial ou un ingénieur support client devenant développeur sont porteurs d’une double culture, technologique et relationnelle. Dans les deux sens, je constate que cela donne un engagement plus grand dans la résolution des enjeux et une aptitude à mieux comprendre et dialoguer avec les équipes de développement comme avec les clients et les utilisateurs.

Laisser ouverts les choix d’évolution contribue aussi à l’épanouissement professionnel. Le management n’est pas le seul Graal après une carrière débutée dans des fonctions R&D. On peut concilier des savoir-faire techniques et managériaux, en restant par exemple développeur tout en encadrant une équipe. On peut également gravir des échelons en approfondissant exclusivement son expertise technologique. Ces deux axes rejailliront en interne comme en externe, tirant vers le haut l’ensemble d’un département R&D et l’image de marque de l’entreprise.

Troisième levier : autonomie et concrétisation

Une fois recruté(e) un(e) professionnel(le) compétent(e) et passionné(e), il reste à proposer un cadre d’évolution attractif dans le temps. Plus de vingt ans d’expérience dans le numérique m’ont démontré que l’autonomie et la concrétisation sont deux facteurs clé. L’autonomie s’exerce individuellement et collectivement : chacun(e) doit se sentir apte à proposer de nouvelles fonctions, de nouvelles façons de faire, et doit disposer des moyens de les réaliser (en temps et en ressources, via des hackathons par exemple). Laisser de l’autonomie sur les projets débouche sur des succès mais aussi parfois des ratages. Dans les deux cas, l’essentiel est d’en partager les enseignements. Impossible d’instaurer un esprit d’intrapreneur sans droit à l’échec ! Mais si l’on peut échouer, il s’agira "d’échouer mieux et le plus tôt possible" la fois d’après...

La concrétisation, c’est la possibilité de prototyper une fonctionnalité le lundi, la développer et tester le mardi, la mettre en production dans la foulée, et obtenir les premiers retours clients le lendemain. Penser, faire et voir très vite les résultats de sa création. Ce simple fait démultiplie la motivation d’équipes techniques qui évitent ainsi l’effet tunnel si souvent vécu au sein des grands groupes.

Quatrième levier : spontanéité & culture informelle

Enfin, je considère que le rôle clé du management consiste à créer un environnement favorable aux initiatives. Ainsi, plutôt que d’imposer un rituel par le haut, mieux vaut mettre à disposition des locaux, du matériel et un budget à des salariés qui proposent de partager des temps "hors production", qu’il s’agisse d’un tournoi sportif ou de jeu vidéo, d’une action solidaire, d’une célébration.

La possibilité de sortir de la routine renforce l’appartenance, la motivation, l’engagement, le sentiment collectif. L’art de manager consiste aussi à savoir sous-tendre ces initiatives, être un facilitateur et un accompagnateur.

Finalement, l’épanouissement au travail se joue dans cet échange permanent entre soi (ses envies, ses possibilités, ses motivations), le collectif (collègues, pairs, clients) et la culture d’entreprise qui s’en trouve finalement augmentée de nouveaux apports. À charge pour les managers de favoriser ces pratiques positives, qui ont fait leurs preuves, et de chasser les écrans de fumée propagés par les impos(t)eurs du bonheur à tout prix.