Transformation digitale : les entreprises doivent faire passer la data avant l'IA

Quentin de Beaufort, directeur chez Robert Half, insiste sur l'importance de prioriser les données avant l'IA et de développer une culture d'innovation pour une transformation digitale réussie.

Derrière l’apparent paradoxe entre l’effervescence médiatique et conversationnel autour de l’IA et le démarrage plus mesuré des projets de déploiement se pose toujours la question de la conduite de la transformation digitale. L’intelligence artificielle ne pourra offrir son plein potentiel que si les entreprises se dotent d’une véritable culture de l’innovation et s’attaquent prioritairement à l’enjeu de la data.

L’essor de l’IA est, à n’en pas douter, la rupture technologique la plus importante de l’ère numérique, devant l’IoT, la blockchain ou l’automatisation, qui bénéficieront d’ailleurs de ses avancées. Elle est annonciatrice d’une nouvelle ère du travail et de transformations majeures pour l’entreprise. Accenture estimait l’année dernière que 44 % des heures de travail en France étaient potentiellement impactées, soit qu’elles puissent être automatisée ou augmentées.

De fait, l’IA se trouve déjà au centre de l’attention de nombreux comités exécutifs. Elle invite les entreprises à revoir leurs systèmes d’information et préparer le terrain pour l’avenir.

Pourtant, au-delà de quelques annonces importantes, essentiellement dans l’univers de la tech et l’écosystème startup – les ambitions de Mistral AI, l’ouverture d’un centre Google à Paris, le partenariat signé entre Le Monde et Open AI… –, les entreprises françaises se montrent encore attentistes. Elles nous sollicitent peu à ce jour, en tant que recruteurs spécialistes de l’IT, pour trouver des profils ayant une expertise dédiée ou organiser des équipes dans le cadre de projets IA. De manière significative, l’IA reste absente en 2024 du palmarès des métiers Tech les plus recherchés en France publié par Robert Half, alors que dans le même temps les géants du net américains procèdent à des licenciements ciblés pour faire place à des compétences en intelligence artificielle.

Derrière ce constat, c’est plus largement l’enjeu de la conduite de la transformation digitale qui continue de se poser. Si elles veulent saisir le train en marche et, dans un horizon à cinq ans, tirer pleinement les fruits des promesses de l’IA, les entreprises ne doivent pas se tromper de priorités.

Répondre à des besoins concrets

Le premier impératif demeure, lorsque ça n’est pas le cas, de créer les conditions favorables à la transformation en développant une véritable culture de l’innovation au sein de l’entreprise. Si les potentialités de l’IA peuvent créer un sentiment de vertige, son déploiement doit répondre à des besoins concrets et des bénéfices opérationnels clairs : amélioration de la productivité, planification, vérification, optimisation… Plus que la création de postes ou de départements IA, il s’agit donc d’abord, comme pour toute conduite du changement, de permettre la définition d’un projet stratégique et de constituer les équipes ad hoc pour le porter, avec un leadership fort et en mobilisant les compétences internes, de manière transversale, ainsi qu’externes selon les besoins identifiés.

C’est ensuite au chantier de la data que les entreprises doivent s’atteler, en s’entourant pour cela de spécialistes, car la qualité des modèles d'IA dépend des données sur lesquelles ils sont formés. Qu’attendent-elles de ces modèles ? De quelles données auront-elles besoin ? Comment celles-ci seront-elles utilisées ? Des questions très concrètes de fonctionnement opérationnel, de conformité juridique (IA Act, RGPD), d’impacts sur l’activité et l’emploi se posent. Les dirigeants ne pourront faire l’économie de cette étape avant de se lancer dans la bataille.

Pour mener à bien ce chantier, ils ont tout intérêt à investir dans la formation, non seulement pour faire monter leurs collaborateurs en compétences, mais aussi assurer un socle global d’acculturation suffisant et susciter l’adhésion. A cet égard, l’enquête « Ce que veulent les candidats » 2024, publiée fin avril, montre que les salariés ne sont majoritairement pas hostiles à l’IA : seuls 19 % pensent que l’IA impactera négativement leur emploi. Mais toutes générations confondues les attentes en termes de formation sont réelles, qu’il s’agisse de mieux comprendre les enjeux liés à l’IA, de se préparer à son irruption dans nos quotidiens de travail ou de développer des compétences spécifiques, notamment en analyse, éthique ou gestion des données.