5 questions pour les dirigeants craignant de devenir le prochain Moubarak

HOW (Comment) n'est pas seulement la question. HOW (Comment) est aussi la réponse. Pourquoi un système de management basé l'auto gouvernance est la réponse pour les entreprises qui doivent se développer dans un monde hyper transparent et hyper connecté.

Je me demande parfois: « Serai-je le prochain Moubarak ?»

Cette confidence ne m’a pas été faite par un despote du Moyen Orient mais par un dirigeant très respecté d’un groupe multinational qui, s’inquiétant de voir les réactions de ses employés et de ses consommateurs se mobilisant contre lui, se sentait un peu désarmé.
Ça me rappelle les questions qu’on peut se poser lorsqu’on cherche à comprendre ce qui anime les manifestants du récent mouvement Occupy Wall Street (OWS) : Quel est leur but ? Que cherchent-ils ? Combien de temps peuvent-ils tenir dans l’actualité ?
Au mieux, ces questions manquent leur cible. Au pire, elles traduisent un dangereux manque d’imagination qui ne garantit en rien que le mouvement durera plus longtemps que nécessaire.
Le problème est que ces questions en demandent trop aux protestataires – et trop peu aux autres, dont nous faisons partie. Comme la plupart des mouvements de contestation, les manifestants d’OWS demandent la liberté vis-à-vis du système en place. De nombreux employés qui rejoignent le mouvement veulent la liberté vis-à-vis de patrons autoritaires et directifs et vis-à-vis de boulots faits de tâches banales. Ils veulent la liberté de contribuer avec leur caractère, leur créativité et leur esprit collaboratif à des missions reposant sur des valeurs, seules dignes de provoquer leur motivation.
L’impact ultime de ce mouvement, comme bien d’autres, dépend de la manière dont ceux qui sont concernés – et nous le sommes tous – vont travailler ensemble afin de créer la liberté de permettre à tous les employés et citoyens d’avoir une carrière et une vie qui aient du sens.
De plus, les manifestants méritent le crédit de nous inspirer à avoir le débat véritable et sans retenue, qu’on aurait dû avoir depuis trop longtemps entre chefs d’entreprises et leaders politiques. En tant que leaders, nous devrions nous interroger, en faisant notre propre introspection, sur la nature sous-jacente de notre système économique et de notre monde des affaires.
Le PDG qui a utilisé le Printemps Arabe comme occasion de repenser son propre leadership et la nature – et véritable qualité – des relations de son entreprise avec toutes ses composantes a parfaitement compris le besoin d’avoir cette discussion.
Il peut aussi considérer les manifestants d’OWS comme l’opportunité de se poser les questions fondamentales que devraient se poser tous les dirigeants:

1. Sommes nous prêts pour une véritable conversation que nous avons évitée jusqu’ici ?
Cela vaudrait mieux car le débat sur la structure fondamentale et la nature des affaires et de l’économie globale se pose maintenant. Le discours des manifestants tourne peut-être autour de problèmes d’équité et de justice, mais il parle fondamentalement de liberté. Les manifestants ne veulent pas un coup de main ponctuel; ils veulent la liberté de mener une vie qui a du sens et de construire une carrière durable.
Dans leurs chants de protestations, leurs Tweets, leurs blogs et leurs actions, les diplômés des universités, les soldats revenant d’Irak ou d’Afghanistan, les parents divorcés et tous les autres manifestants disent que notre système économique actuel ne leur fournit pas cette liberté.

2. Peut-on distinguer l’interdépendance de la co-dépendance ?
Comme si nous avions besoin de plus d’évidence en suivant la crise économique globale, le monde est hyper connecté et interdépendant. Un fiasco immobilier en Floride génère une crise fiscale en Islande. La menace du défaut de paiement de la Grèce fait des ravages sur les comptes des retraites aux Etats Unis. La réalité de nos interdépendances ne signifie pas nécessairement que celles-ci soient salutaires.
En tant que leaders, nous devons créer des interdépendances vraies, profitables et durables parce que nous nous nous élevons et tombons tous ensemble. Un banquier à Londres ou à Paris peut faire perdre des milliards à son entreprise, provoquer la démission de son PDG et générer des ondes de choc dans la communauté financière. Ou encore, un vendeur de légumes peut provoquer une révolution pour la liberté au Moyen-Orient. Le monde est aussi hyper transparent : tout un chacun peut voir comment fonctionnent les entreprises, comment elles  traitent leurs fournisseurs, leurs employés, leurs clients, l’environnement, leur profession et toutes les parties prenantes.
Le PDG qui s’inquiétait de devenir le prochain Moubarak peut comprendre que la relation de notre pays avec le dictateur était plus co-dépendante qu’elle n’était profitable ou durable. Ce dirigeant comprend aussi à quelle vitesse une insatisfaction générale peut devenir spécifique : si son entreprise maltraite son entourage, il peut aussi se demander si une vague de protestation ne le balayerait pas hors de son poste, ou, pire, rayerait sa société hors de la carte.

3. Nos entreprises peuvent-elles développer des cultures d’auto-gouvernance ?
Les manifestants d’OWS ont démontré leur capacité à s’auto organiser. Maintenant il est temps que nos entreprises montrent leur capacité à s’auto gouverner. Dans les organisations qui s’auto gouvernent, les personnes agissent en fonction d’un ensemble de principes centraux et de valeurs qui inspirent chacun à se comporter dans le respect de la mission, des objectifs et du positionnement de l’entreprise. Les employés rejettent le leadership « top-down », hiérarchique et directif, les processus de contrôle et les systèmes de récompenses ou de punitions basés sur la pure performance.
Serait-ce le monde des Bisounours ? Pas du tout. Comme le démontrent les conclusions du HOW Report – une enquête indépendante commandée par LRN, mon entreprise, publiée récemment dans « The Economist » - les organisation fondées sur l’auto gouvernance obtiennent plus de ce qu’elles veulent et moins de ce qu’elles veulent éviter.
En fait,
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elles enregistrent un niveau d’innovation cinq fois plus élevé que les autres,
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elles constatent trois fois plus de « loyauté » de la part de leurs collaborateurs comparés à leurs concurrents,
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elles fournissent des niveaux de satisfaction de leurs clients neuf fois plus élevés que les autres organisations,
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elles ont beaucoup moins de risques de comportements non éthiques que leurs concurrents.

4. Les leaders peuvent ils exercer un « pouvoir à travers » plutôt qu’un « pouvoir sur » ?
Dans notre économie actuelle du savoir, les sources de pouvoir – informations et idées – sont infinies. Comme on ne peut pas enfermer l’information, les habitudes de leadership directif datant de l’ère industrielle ne sont plus efficaces. Les personnes veulent aujourd’hui plus qu’un chèque en fin de mois – elles veulent sentir qu’elles travaillent avec d’autres pour accomplir quelque chose d’important qu’elles ne pourraient faire seules. Si la seule raison pour laquelle je travaille pour une entreprise est un salaire, je partirai quand on m’en offrira un meilleur. Si la seule raison pour laquelle j’achète les produits d’une entreprise est le prix, alors je changerai de fournisseur si on m’offre un meilleur prix. De ce fait, les leaders doivent passer du « j’ordonne et je contrôle » au « je me relie et je collabore », de l’exercice du pouvoir sur les personnes à celui du pouvoir à travers elles.

 5. Peut-on faire quelque chose pour la crise des carrières ?
Oui, le chômage est élevé et requiert absolument des solutions de la part des leaders politiques, mais ce n’est pas la cause profonde de la colère des manifestants d’OWS, beaucoup d’entre eux ayant déjà un emploi. Ce que de moins en moins de personnes ont de nos jours, c’est une carrière : un chemin clair vers un emploi durable, porteur de sens. Nous devons commencer à donner une priorité bien plus grande à libérer le potentiel de ceux qui ont un emploi, pas seulement de ceux qui n’en ont pas. Dans le monde actuel du travail, nombreux sont les jeunes diplômés qui ne savent pas où investir leur énergie, leurs talents, leurs compétences et leurs capacités d’innovation. Nous avons besoin d’un répertoire des carrières s’inscrivant dans un objectif national et un projet pour retrouver la grandeur de la nation, qui décrirait précisément quels secteurs, quels métiers et quelles compétences fourniront des carrières enrichissantes à la génération qui arrive maintenant dans le monde du travail. Dans les entreprises, un répertoire semblable, portant sur le long terme, inspirerait les employés à proposer de nouvelles formes de relations, de collaboration et d’innovation.
L’innovation, nous le savons tous, ne fait pas seulement avancer l’entreprise, elle stimule aussi la croissance économique nécessaire pour créer des emplois supplémentaires et des carrières.
Les clés d’un progrès économique durable ne sont pas de réformer notre système mais de le repenser et de le reconstruire. De même que le PDG, qui tira des enseignements sur le leadership d’une source improbable, se mit à repenser à la manière avec laquelle il dirige son entreprise et à celle avec laquelle son entreprise se comporte, nous devons nous engager à repenser à la manière dont nous nous comportons en tant que dirigeants et en tant qu’entreprises.

Si nous ne le faisons pas, nous risquons de marcher sur les traces de Moubarak.

(Article traduit de l'anglais. Initialement écrit pour www.Forbes.com)