Les cadres sont-ils trop gentils ?

Un cadre trop gentil ? La question semble incongrue. Car qui s’en plaindrait ? Ses collaborateurs ? Certes non. Tout au plus, pourraient-ils lui reprocher un manque d’autorité, de prise de décision. Alors, qui pourrait le déplorer ? Son propre management ?

A ce stade, il est éclairant de considérer combien de pressions différentes le manager doit endurer. Combien peut être lesté le costume qu’il se propose d’endosser.

Le poids du passé le pousse vers une posture déterminée

* Le poids culturel d’un pays historiquement centralisé dont le fonctionnement « naturel » passe par une autorité et un contrôle exacerbés.
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Le poids d’un système éducatif verticalisé où le professeur dispense son savoir de manière non contradictoire (alors que les pays scandinaves favorisent le travail collaboratif, dès le plus jeune âge).
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Le poids d’un enseignement supérieur qui favorise la formation d’une élite à la source d’une fracture entre deux mondes qui ne se comprennent plus : ceux qui ont le pouvoir, qui « savent » et … les autres.

Autorité, emprise, supériorité, dirigisme ; tout incite le manager à adopter une posture prédéterminée par le système. A l’opposé du « gentil », souvent caractérisé comme un naïf manquant de personnalité.

 Le poids du présent et celui du futur (proche !) lui dictent une attitude imposée 

* Le poids de la finance régie par la sacro-sainte loi de la rentabilité et du compte de résultat trimestriel.
* Le poids des stratégies qui se font et se défont au gré des changements de dirigeants.
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Le poids de l’urgence en toutes choses qui fait qu’une action peut être arrêtée avant même qu’on ait pu en mesurer les effets.

La posture stéréotypée du manager se mute alors en figure imposée. Il doit savoir affirmer « noir » avec autant de certitude et de conviction que « blanc ». Il doit pouvoir expliquer à un collaborateur qu’il a lui-même embauché que l’entreprise n’a désormais plus besoin de ses services.

A la croisée de deux mondes

Au même moment, la révolution internet, la génération Y ébranlent son autorité. Car voici qu'il n'est plus le détenteur unique de l'information, source du pouvoir. Sa raison d'être en tant que manager est remise en cause, sa légitimité est menacée. Aussi cherche-t-il à renouer avec son équipe risquant alors d’apparaître « trop gentil ».

* Ose-t-il préserver ses collaborateurs d’une pression excessive afin qu’ils travaillent plus sereinement, plus efficacement et on le qualifie de paternaliste.
* Se risque-t-il à concevoir un projet propre à motiver ses équipes et on le traite de doux rêveur.
* Cherche-t-il à les faire adhérer à ce projet en leur montrant leur contribution et en donnant du sens à leur travail, et on le classe parmi les faibles.

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Qu’il consacre du temps à les écouter, à leur donner du feed-back à répondre à leur angoisse et on soulignera son côté par trop maternel.
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Tente-t-il d’apaiser des tensions, de résoudre des conflits et on remarquera son manque d’agressivité.

Bien que ce raisonnement soit volontairement exagéré, la mission du manager n’est pas aisée. Déchiré entre le modèle qui s’impose à lui et ce que la situation lui inspire, il cherche à tracer une voie nouvelle.
Au-delà du fameux QI qui caractérise si bien notre société et nos entreprises mais qui trouve ses limites, se dressent de nouveaux facteurs tels que le quotient émotionnel ou encore le quotient relationnel.
Aussi, la vraie question ne serait-elle pas, au contraire, de regretter le manque de gentillesse ? Pas dans un sens de complaisance ou d’indécision mais bien au travers d’une vraie écoute, d’une empathie réelle, d’un sens du partage et de la générosité. De ce fait, le succès rencontré lors de la 4ème édition de la journée de la gentillesse en novembre dernier n’est sans doute pas le fruit du hasard.