La partition sexuée de l’économie : un obstacle à la croissance mondiale ?

Alors qu’il était admis il y a plusieurs dizaines d’années que les femmes étaient moins destinées que les hommes à comprendre les sujets économiques, il est aujourd’hui clair pour tous, ou presque, que la finance et ses marchés sont loin d’être une affaire de chromosomes, et encore moins d’hommes.

Une affaire de chromosomes ou d’idées reçues ?

Chaque année, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, plus communément appelé « prix Nobel d’économie », récompense une ou plusieurs personnalités du monde économique et ce, depuis 45 ans. Presque un demi-siècle qui a vu plus de 70 lauréats primés, parmi lesquels seulement une femme ; Elinor Ostrom, économiste et politologue américaine, nommée en 2009 pour ses analyses de la gouvernance économique. C’est un fait : aujourd’hui et depuis tout temps, les femmes sont moins présentes que les hommes dans la sphère économique mondiale. La prévalence des hommes dans le domaine commence dès l’Université. Les filières mathématiques voient 84 % d’hommes contre seulement 16 % de femmes. Une supériorité numérique des hommes qui se confirme dans tous les secteurs économiques de l’enseignement secondaire. Si ce constat n’est pas discutable, ses causes et ses conséquences ont été largement débattues aux quatre coins du monde et une première question, à la réponse évidente, est souvent entendue : le chromosome Y serait-il plus doué pour les mathématiques et l’économie que le chromosome X ?
Les chercheurs de l’Université de Provence se sont penchés sur la question et leur réponse est sans appel (et sans surprise) : si les femmes semblent aujourd’hui moins attirées par les domaines économiques, c’est parce qu’elles sont bloquées par l’idée reçue selon laquelle elles y montreraient moins de compétences que leurs homologues masculins. Des chercheurs américains ont mis en évidence les mêmes conclusions il y a une quinzaine d’années. Lorsque l’on présente un test de mathématiques à des étudiants et des étudiantes en leur précisant que ce test a déjà mis en évidence une différence de résultats entre les sexes, les étudiantes présentent des notes inférieures aux étudiants. Dans le cas inverse, lorsqu’il est précisé que le test n’a jamais mis en évidence de différences entre les deux sexes, les résultats des étudiantes sont similaires à ceux des étudiants.
Le stéréotype perpétré depuis des centaines d’années selon lequel l’économie serait exclusivement une affaire d’hommes a fait son petit bonhomme de chemin jusque dans la tête de nombreuses femmes, qui ont aujourd’hui du mal à se projeter dans la sphère économique mondiale.

Femmes au volant, croissance au tournant

Une absence de participation dommageable pour le secteur dans son ensemble. D’Irina Bokova à Christine Lagarde, depuis plusieurs années, nous assistons à l’accession de certaines femmes à des postes de pouvoirs importants et dont les résultats sont loin d’être décevants. Des modèles de réussites féminins qui permettent aux jeunes filles de mieux imaginer faire carrière dans ce type de discipline. Tant et si bien que de nombreux chercheurs prédisent aujourd’hui une recrudescence de la présence féminine dans les filières économiques dans les années à venir.
Depuis le 15 novembre 2009, une des organisations les plus influentes du monde, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), est dirigée par une femme : Irina Bokova. Réélue le 12 novembre 2013 dernier, elle a su habilement redresser la barre de l’organisation. Fin 2011, alors que l’UNESCO admet la Palestine comme état membre, les États-Unis et Israël décident  de couper leurs financements. L’organisation se voit en quelque jour amputée de 65 millions de dollars. Une perte grave qui n’est pas restée sans réponse. Grâce à la mise en place de fonds d’urgence en 2012, provenant principalement de la Turquie et du Qatar, et une diminution significative des dépenses en 2013, Irina Bokova a su éviter un déficit dont l’intégralité des projets de l’UNESCO aurait pâtie.
Les réformes de l’Organisation ont continué de progresser alors même que leurs frais ont diminué. Preuve qu’il n’est pas nécessaire d’être un homme pour maintenir à flot un des navires les plus complexes du monde d’aujourd’hui.
Exemple plus français et d’autant plus édifiant : Christine Lagarde. Avocate, ministre déléguée au Commerce extérieur de 2005 à 2007, ministre de l’Agriculture et de la Pêche en 2007, ministre de l’Économie de 2007 à 2011 et finalement directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), le parcours de Christine Lagarde n’a rien a envié aux plus grands économistes masculins de ce siècle.
La femme d’affaires française serait de plus, selon certains médias, pressentie pour la présidence de la Commission européenne. Au fur et à mesure de ses sorties médiatiques, elle s’engage pour le travail des femmes dans les pays développés et émergents, véritable « tremplin de croissance » selon le FMI. Que l’on soutienne ou non ses décisions, elle est aujourd’hui une figure incontestable de la sphère économique internationale.

Les bénéfices économiques de l’économie paritaire

Pour Christine Lagarde, il est d’ailleurs clair que le monde économique aurait beaucoup à gagner en favorisant l’égalité des sexes. Dans une note publiée en septembre dernier, « Les femmes, le travail et l’économie ; les gains macroéconomiques (à attendre) d’une égalité des sexes », elle affirme que la plupart des conflits socio-économiques actuels pourraient être résolus par la fin de la partition sexuée de la vie économique mondiale. « Les femmes constituent un peu plus de la moitié de la population mondiale, mais leur contribution aux chiffres d’activité, de croissance et de bien-être économiques est nettement inférieure à leur potentiel », déchiffre-t-elle. Relance de la croissance, diminution des déficits sociaux, financements des retraites et stabilité des marchés financiers seraient autant de bénéfices qu’une meilleure intégration des femmes dans toutes les couches de l’économie mondiale pourrait nous apporter.
Si les explications quant à l’apport possible des femmes sur des sujets tels que les déficits ou les retraites paraissent tout à fait cohérentes, le dernier point sur la stabilité des marchés peut paraître dangereux. Ce dernier affirme qu’une présence plus accrue des femmes sur les marchés financiers leur permettrait d’être moins volatiles, les femmes, toujours selon le rapport de Christine Lagarde, préférant le long terme et étant « moins portées aux excès ». Un argument partant donc du principe que la femme et l’homme n’ont pas le même rapport à l’économie. Voilà qui pourrait facilement nous faire repartir au point de départ de cette réflexion sur la place de la femme dans la sphère économique mondiale. Christine Lagarde, au même titre qu’Irina Bokova ou encore Janet Yellen (présidente de la Réserve fédérale américaine), Angela Merkel, Marissa Mayer (présidente de Yahoo), Hillary Clinton, Sheryl Sandberg (directrice des opérations de Facebook)… Toutes sont des exemples de réussite féminine à montrer aux jeunes filles, et il serait sombre de les voir véhiculer elles-mêmes des idées reçues qui ont aliéné des générations d’étudiantes et de femmes jusqu’ici, bloquant par la même occasion toute une économie.