Bonheur et plaisir au travail : pourquoi ça n'a rien à voir

Après l'amélioration des conditions de travail, la prévention des risques psychosociaux et le développement du bonheur au travail, voici venu le temps du plaisir au travail. Mais peut-on manager le plaisir ? Qui est responsable et comment s'y prend-on ?

Si je vous dis plaisir, à quoi pensez-vous ? En France, la plupart des personnes associent le mot plaisir à une bonne bouffe, aux rapports charnels, aux loisirs mais rarement au travail. Plutôt dommage quand on sait qu'on y consacre environ 66.000 heures de sa vie... Si presque 80% des Français se disent heureux au travail, ils ne sont plus que 20% à déclarer éprouver du plaisir au travail. Surprenant ? Loin de là puisque bonheur et plaisir dont des ressentis très différents, voire opposés.

Bonheur et plaisir n'ont (vraiment) rien à voir ! Si la notion de plaisir au travail est de plus en plus évoquée, elle reste assez floue et se confond souvent avec celle de motivation, satisfaction et plus particulièrement de bonheur et de bien-être. Bien que tous deux soient des ressentis agréables, ils sont vraiment très différents. D'après le professeur Robert Lustig, spécialiste américain en neuroendocrinologie, le plaisir est provoqué par la dopamine alors que le bonheur résulte de la production de sérotonine. Or, ces deux substances neurochimiques ont des effets opposés. Alors que la dopamine est un excitant, la sérotonine est inhibitrice et induit un état de plénitude, de relaxation.

Non seulement le bonheur et le plaisir sont deux ressentis différents mais ils ont des conséquences totalement opposées. L'excès de dopamine peut exciter un neurone à un tel niveau qu'il peut le tuer alors que la sérotonine a un effet inverse. Elle calme et apaise.Pour différencier ces 4 notions en apparences similaires, vous pouvez vous les représenter par la formule suivante : Bonheur au travail = motivation (avant de travailler) x plaisir au travail (pendant le travail) x satisfaction au travail (après avoir travaillé).

Que font les entreprises pour développer le plaisir au travail ?

Les entreprises sont nombreuses à tenter d'améliorer le plaisir au travail. Mais parfois, il s'agit de fausses bonnes idéés. Impossible d'échapper à la déferlante d'initiatives d'entreprises qui mettent du fun dans leur entreprise à l'image des startup de la Silicon Valley. Mais mettre du fun dans le travail ne rend pas pour autant le travail plus fun.

Si les toboggans, les baby-foot renforcent la convivialité, les cours de Yoga, les massages améliorent le bien-être, les conciergeries et l'aménagement des horaires renforcent la satisfaction, aucune de ces mesures n'a vraiment d'impact direct sur le niveau de plaisir que ressentent les collaborateurs à réaliser leurs activités au quotidien.

Mais alors, que faire pour augmenter le plaisir au travail ?

Le premier levier du plaisir au travail n'est pas celui que l'on croit. Puisqu'il n'existe pas d'études spécifiques sur le plaisir au travail, la société Dynesens a demandé à des milliers de personnes pendant dix ans d'évoquer ce qui leur procure du plaisir. Toutes les réponses ont été agrégées pour être regroupées en quatre sources de plaisirs professionnels. Les plaisirs liés aux conditions de travail (4%), à la notoriété et la stratégie d'entreprise (8%), la nature des relations (32%) et le contenu de l'activité (56%).

Les résultats de ces sondages démontrent que l'amélioration des conditions de travail réduit la souffrance, donner du sens rassure, renforcer la collaboration apporte plus de convivialité et de bien être mais l'épanouissement personnel au travail dépend avant tout du niveau de plaisir que ressent une personne à réaliser les activités confiées.

Mais comment savoir si les activités confiées sont ou seront sources de plaisir 

Si les managers sont en mesure d'évaluer ce que leurs collaborateurs savent-faire, cela ne signifie pas pour autant sont capables d'apprécier ce qu'ils aiment ou aimeraient faire. Ce n'est pas parce qu'une personne sait faire qu'elle aime pour autant le faire.

C'est la raison pour laquelle il importait de différencier ces deux notions et d'ajouter au concept de compétence, celui d'appétence, qui peut être défini comme une "aptitude naturelle, facile à mobiliser, qui procure du plaisir et mène au succès" comme par exemple la débrouillardise, l'originalité, la pensée critique ou encore l'esthétisme.

Les nouveaux outils du management du plaisir au travail

Si les managers disposent d'outils qui permettent dans l'ensemble d'évaluer avec objectivité les niveaux de performance et de compétence, on ne peut pas en dire autant en ce qui concerne l'appréciation de la motivation et encore moins du niveau de plaisir au travail.

C'est pourquoi, pour les y aider, voici deux exemples d'outils qui permettent de développer le plaisir au travail :

Faire déclarer le niveau de plaisir procuré par les activités de l'emploi : Puisque le premier facteur d'épanouissement personnel est le plaisir provoqué par la réalisation des activités confiées, le manager peut inviter son collaborateur à classer chacune de ses activités dans une matrice à double entrée qui croise les notions de compétence et d'appétence.

Il suffit au collaborateur de classer ses activités dans 4 cadrans. Le cadran "je sais faire et j'aime faire", ce qui permet d'identifier sa zone de plaisir, "je ne sais pas faire et j'aimerais faire", pour accéder à sa zone de désir, "je sais faire et je n'aime pas ou plus faire" en vue de révéler sa zone de concession et "je ne sais pas faire et je n'aimerai pas faire" pour échanger sur sa zone de résistance.

Proposer des actions de valorisation des appétences : Après avoir invité un collaborateur à identifier ses principales appétences, le manager peut lui demander de proposer des actions de valorisation de chacune de ses appétences à différents niveaux tels qu'au sein de son emploi, de l'équipe, de l'entreprise, des projets ou vis-à-vis de l'environnement.

Développer le plaisir au travail : pourquoi c'est difficile ?

Instaurer une démarche de développement du plaisir au travail n'est pas aussi aisé qu'il n'y parait. Les nombreux retours d'expériences mettent en avant trois principaux facteurs de résistance.

La notion de plaisir au travail peut parfois prêter à sourire et être prêté en dérision (vous n'êtes pas sérieux !). C'est la raison pour laquelle l'entreprise doit ancrer le plaisir au niveau identitaire (valeurs, principes collaboratifs...) et identifier avant de s'engager le niveau d'adhésion des salariés à la notion de plaisir au travail.

Certains collaborateurs peuvent rencontrer des difficultés à exprimer ce qu'ils aiment et n'aiment pas, souvent par crainte d'être mal vus, d'où la nécessité de former les managers aux postures que sous-tendent cette nouvelle approche managériale.

Le rapport Adulte-Adulte qu'induit cette approche peut perturber certains collaborateurs habitués à attendre les solutions de leurs managers ainsi que certains managers qui ont toujours pris des décisions à la place de leurs collaborateurs (je sais ce qui est bon pour toi !).

Le management de l'aimer-faire suppose d'apprendre à désapprendre les modes de collaboration, de s'émanciper du principe "Command & Control" (lien de subordination unilatérale) pour adopter un mode de fonctionnement "Test & Learn" pour co-construire avec leurs collaborateurs pour trouver un plus juste équilibre entre épanouissement et performance professionnelle.