Tech et management libéré au service de l’expérience client

L’industrie des centres d’appel a connu un essor spectaculaire au XXe siècle. Son origine ? Le développement des standards téléphoniques à une époque où il fallait des opérateurs pour mettre en relation l’appelant et l’appelé. Ensuite, la Tech (routage des appels, couplage téléphonie-informatique…) alliée à l’organisation scientifique du travail (management taylorien, enregistrement des appels…) ont été les deux moteurs de l’évolution de la profession.

Comment cette industrie mature aborde-t-elle le XXIe siècle ? Les experts, les consultants et éditeurs de logiciels s’enthousiasment pour les nouvelles technologies comme l’Intelligence Artificielle, les bots ou le "speech analytics". A appliquer leur raisonnement, demain, les téléopérateurs seront magiquement remplacés par des robots qui géreront les appels ou messages écrits aussi bien voire mieux que des individus.

Certes l’accélération des innovations permettra d’aller plus loin en matière De numérisation. Par exemple, les assistants conversationnels ou "callbots" remplaceront progressivement les classiques serveurs vocaux interactifs et pourront effectivement prendre en charge des questions simples. Ils permettront sans doute de contribuer à faire baisser l’usage trop intensif des écrans dont nous sommes tous victimes en les remplaçant par la voix (par exemple lorsque l’on marche ou conduit…).

Bref, il y aura naturellement des phénomènes de destructions créatrices : les nouvelles technologies effaceront les anciennes.

Pour autant, soyons lucides : la place des humains restera prépondérante pour les entreprises qui souhaitent une expérience client de haute volée.

Repartons du consommateur. Où en est-il par rapport aux centres de contact ? Lui aussi est devenu mature ! Et soyons clair : appeler un centre de contact, cela l’embête, cela génère du beaucoup de stress. Stress d’avoir à patienter : la maîtrise des temps d’attente reste l’un des fondamentaux de la profession. Le NPS[i] est impacté négativement dès que les clients jugent les temps de réponse trop longs. Stress de ne pas tomber sur un interlocuteur qui maîtrise son sujet. Désormais près de 80 %[ii] des clients appellent un centre de contacts quand ils n’ont pas pu résoudre par eux-mêmes – le fameux "Selfcare" –un problème décident de parler à quelqu’un au téléphone, c’est parce qu’ils en ont besoin. Ils n’ont guère envie de parler à un robot qui imite… un conseiller parlant comme un robot, en suivant un script prédéfini.

Comment y parvenir ? D’une part en recrutant des personnes qui ont des profils de solutionneurs de problèmes, d’autre part en favorisant une gestion des appels fondée sur l’authenticité et donc sur l’intelligence émotionnelle des téléconseillers. Comme l’explique[iii] Adam Grant, professeur de psychologie des organisations à Wharton, il ne s’agit pas de "jouer"  simplement un rôle mais de le vivre pleinement en prenant plaisir à le faire ("deep acting"). Certes le sourire s’entend au téléphone, mais le conseiller forcé de sourire se lassera vite de sa mission.

Comment lâcher prise et favoriser cette approche ? Au sein du Contact Center d’AXA Banque (où 75 conseillers traitent plus de 700 000 contacts par an), nous prenons de multiples initiatives. Abandonner les scripts d’appels formatés ? C’est un groupe de travail composé des conseillers qui a réfléchi dans une logique de co-construction aux améliorations à apporter au discours téléphonique. Sensibiliser encore plus les équipes du Contact Center mais aussi du back office au thème de la qualité et de la satisfaction ? La première "satisfaction week" est organisée en février 2019 : une semaine d’animations originales et inspirantes autour d’un jeu de société maison, d’un quizz, de key-notes, d’ateliers de co-création… Favoriser le bien-être au travail ? La soirée annuelle des Awards du Contact Center, animée par des talents internes, est un moment culte de célébration. Quant au télétravail, il permet aux téléconseillers de trouver un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, tout en restant engagés.

Comme le disait récemment le psychiatre Eric Albert[iv], "la Tech du XXIe siècle ne doit pas se mettre au service de modèle de management du XXe siècle" Les services clients du XXIe siècle qui seront plébiscités par les consommateurs continueront à reposer sur la Tech et le Management, mais un management plus "libéré" qui déverrouille les énergies et favorise la responsabilité individuelle et collective, l’authenticité et l’émotion partagée.

[i] NPS Net Promoter Score indice mesurant le bouche à oreille

[ii] "Un service client qui tue" par Rick DeLisi, Matthew Dixon, Lara Ponomareff, Scott Turner - Harvard Business Review France 2017

[iii] Podcast TED Series, WorkLife with Adam Grant :"Faking your emotion at work"

[iv] Edito : Tech et modèles de management d’Eric Albert - Les Echos 28/05/2018