Ne ridiculisons pas notre Code du travail en entravant les décisions de gestion de nos entreprises
L'arrêt Vivéo de la Cour d’appel de Paris a conclu le 12/05/2011 à la nullité de la procédure des licenciements pour motif économique considérant que cette procédure ne reposait pas sur un motif économique. La Cour de cassation en a décidé autrement le 3 mai 2012.
Cet arrêt de la Cour d'Appel de paris de 2011 était en plusieurs points « original ». La nullité de la procédure de licenciement et de tous ses effets subséquents avait été prononcée au stade de la consultation du Comité d’Entreprise sur le projet de réorganisation avant même que les licenciements ne soient notifiés et sur le fondement de l’absence de cause économique justifiant l’engagement de cette procédure.La Cour de Cassation a tranché le 3 mai 2012 ou plus exactement s’est contentée d’appliquer la loi et de rappeler aux Juges du fond qu’ils sont nécessairement mais uniquement les garants de l’application de la loi.
Selon l’article 4 du Code Civil, le juge doit statuer en dépit de l’insuffisance de la loi, mais
dans les limites de l’article 5. Si la jurisprudence est source de droit, elle
n’octroie pas un pouvoir normatif absolu aux Juges. « Les juges de la nation ne sont que la bouche qui
prononce les paroles de la loi ». Est-ce
en détournant cette citation de Montesquieu que la Cour d’Appel a succombé à la
tentation d’ajouter « des paroles » à la loi ?
En effet, sans
feindre d’ignorer l’adage selon lequel il n’y a « pas de nullité sans texte », ni les cas de nullité
prévus par le Code du Travail en matière de Plan de Sauvegarde de l’Emploi, la
Cour d’Appel avait pour partie motivé sa décision en se voulant le porte-parole
du législateur (sic) « lequel aurait
manqué à la logique la plus élémentaire s’il avait entendu prévoir la nullité
de la procédure de licenciement, en cas d’absence de plan de reclassement, sans
avoir voulu la même nullité lorsque c’est le fondement même de ce plan et
l’élément déclenchant de toute la procédure qui est défaillant ».
Ainsi donc, selon
la Cour d’Appel, le législateur aurait nécessairement envisagé la nullité de la
procédure mais aurait simplement omis de le préciser dans le Code du Travail.
Si elle a fait
couler beaucoup d’encre, cette motivation a eu le mérite de laisser de nombreux
avocats sans voix.
C’est dans ces
conditions que la Cour de Cassation a simplement été contrainte de rappeler que
les dispositions de l’article L.1235-10 du Code du Travail ne permettent d’annuler
une procédure de licenciement pour motif économique qu’en cas d’absence ou
d’insuffisance du Plan de Sauvegarde de l’Emploi et que cette nullité ne peut
en conséquence être prononcée au motif que la cause économique du licenciement
n’est pas établie.
Plus encore,
aucune disposition du Code du Travail ne vise la nullité de la procédure pour
défaut de motif économique. Enfin, selon les articles L. 1235-3 et L.1235-5 du
Code du Travail, la sanction de l’absence de cause économique est prévue :
il s’agit de l’octroi de dommages-intérêts au bénéfice du salarié licencié.
Ce désormais
célèbre arrêt Vivéo a fait et fera l’objet de nombreux commentaires. Pour
autant, il suffira de se reporter aux articles du Code du Travail précités qui,
pour une fois explicites, ne souffraient d’aucune interprétation.
Mais
le cas de Vivéo n’est pas isolé dès lors que la Cour de Cassation aura
prochainement à se prononcer sur l’affaire Sodimedical (Arrêt de la Cour
d’Appel de Reims, 3 janvier 2012, n° 11/00337), et que la Cour d’appel de
Versailles devra statuer dans le cas de l’affaire Ethicon (le TGI de Nanterre
21 octobre 2011 n° 11/7607). Si les moyens de droits sont différents (c’est
l’inexistence du motif économique qui est invoquée au lieu de la nullité), le
but poursuivi est le même : faire annuler une procédure licenciement pour
motif économique par les Juges sur le fondement de l’absence de motif
économique.
Alors
pourquoi ce débat ? Pourquoi cette œuvre créatrice de la part des très
respectables Magistrats des Cour d’Appel de Paris et de Reims ?
Pourquoi cette
tentative de retour en arrière quand l’autorisation administrative de
licenciement a été supprimée depuis 1986 ? Pire encore, il s’agirait d’un
contrôle des Juges préalable à la notification des licenciements (qui pourtant
seule « fixe les limites du litige » selon la jurisprudence constante
de la Cour de Cassation…) mais postérieur à l’engagement de la procédure de
licenciement.
Le résultat
aboutirait à un cauchemar économique et social : paralyser en France toute
tentative de restructuration.
Vivéo
comme ses salariés ont été pris en otage par la crise et par une campagne
présidentielle qui n’a eu de cesse que d’opposer les honnêtes travailleurs aux
prétendus bourreaux de la finance.
Les premières
réactions des salariés de Vivéo sont d’ailleurs éloquentes : certains
évoquent l’injustice et la victoire de la finance, d’autres expliquent qu’ils attendaient
une loi contre les licenciements boursiers. Preuve s’il en est de la confusion
des genres.
Une question
pratique se pose: à quoi servirait d’annuler des projets de
restructurations, d’empêcher des licenciements économique fondés sur l’absence
ou l’insuffisance de motif si ce n’est conduire à la liquidation judiciaire de
nos entreprises et aboutir in fine à
des licenciements sans reclassement possible, sans aucune mesure
d’accompagnement et sans indemnisation si ce n’est le minimum prévu par la loi
ou la convention collective ?
Si le nom donné au
Plan de Sauvegarde de l’Emploi est plus que cynique s’agissant de licencier par
définition au moins 10 salariés sur 30 jours, il convient de rappeler qu’en
effet, son objet est de permettre de réorganiser une entreprise, de reclasser
des salariés, in fine d’en licencier
certains pour maintenir l’emploi des autres.
La France est
montrée du doigt pour la rigueur de ses règles sociales, mais la France est
digne car elle montre l’exemple contre l’arbitraire en offrant un socle de
protection véritable à ses salariés, situation rare comparée aux Etats dans
lesquels règne le « licenciement sans cause ».
Ne ridiculisons
pas notre Code du travail en entravant les décisions de gestion de nos
entreprises.
Si certains abus
ont pu être commis par certains, n’oublions pas nos PME, nos chefs d’entreprise
réellement contraints de faire face, comme ils le peuvent, à se désordre
économique inquiétant.
La Cour de
Cassation vient de sauvegarder à la fois l’attractivité économique de la France
déjà suffisamment mise en péril et les garanties accordées par nos lois à nos
salariés.
En effet, à quoi
bon être réintégré après un licenciement nul ou maintenu dans un emploi à
l’issue d’une procédure de licenciement nulle si au terme de la procédure judiciaire
les salaires ne peuvent plus être payés et la société ferme définitivement ses
portes ? Consciente des enjeux économiques et sociaux que risquaient
d’engendrer des nullités massives de procédure de licenciement pour défaut ou
insuffisance de motif économique, la Cour de Cassation a évité que nos salariés
perdent tout en étant licenciés pour de faux motifs personnels ou dans le cadre
de liquidations judiciaires sans mesure sociale d’accompagnement.
Dans le respect de nos lois, le 3 mai 2012, la Cour de Cassation a ainsi œuvré également dans l’intérêt des salariés.